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Averroïsme latin

 Introduction

Les « averroïstes » apparaissent pour la première fois en 1270 dans un texte de Thomas d’Aquin. Le substantif désigne de mauvais lecteurs d’Aristote, dont les thèses erronées seront ensuite visées par plusieurs censures ecclésiastiques, du XIIIe au XVIe siècle. L’« averroïsme latin » apparaît dans l’historiographie philosophique à l’âge moderne. Le passage de l’usage polémique du mot « averroïstes » à l’existence littéraire de la catégorie « averroïsme » pour signifier un corps doctrinal et une attitude scientifique qualifiée présuppose un long processus d’institutionnalisation et de spécialisation scientifique. Ce processus historique se signale par sa dimension éminemment polémique : du moyen âge au XIXe siècle, les mots « averroïstes » et « averroïsme » sont très majoritairement connotés négativement, désignant un adversaire ou une position erronée ou hétérodoxe. Très peu d’intellectuels se sont dits « averroïstes », à l’instar de Pomponazzi. Du point de vue historique, l’averroïsme est un vaste et mouvant champ de bataille. L’averroïsme a été perçu comme une contagion arabe, et l’imputation d’averroïsme a visé des cibles très diverses, de la philosophie des maîtres ès arts du XIIIe siècle au luthéranisme et à l’athéisme moderne.

Comme corps doctrinal, l’averroïsme se laisse décrire en l’espèce d’un ensemble restreint de thèses, qui furent constituées en canon averroïste durant la seconde moitié du XIIIe siècle. Ces thèses sont toutes des erreurs qui contredisent des vérités réputées orthodoxes dans un certain contexte. L’averroïsme physique se résume souvent à la thèse de l’éternité du monde (ou de la matière), thèse qui exclut une création temporelle. En psychologie et noétique, l’averroïsme coïncide avec la théorie de l’unicité de l’intellect, thèse qui exclut que la pensée soit l’œuvre de l’individu humain. En commentant le troisième livre du traité De l’âme d’Aristote, Averroès décrit en effet la pensée comme un acte et comme processus d’universalisation : l’intellect pense les représentations individuelles acquises par la sensation et stockées dans l’imagination, c’est-à-dire qu’il les transforme en représentations universelles, intersubjectives, dépouillées de toute particularité individuelle et contingente. La nécessité et l’universalité de la pensée présupposent un lieu universel, un monde de la pensée toujours en acte qui soit soustrait à la temporalité, à la spatialisation et aux conditions individuelles et contingentes du monde sublunaire. Selon Averroès, ce lieu universel est l’intellect, un, donc unique pour toute l’espèce humaine. Selon Thomas d’Aquin, cette thèse désormais qualifiée d’unicité de l’intellect (« unitas intellectus ») exclut, sur le plan moral, la responsabilité individuelle de celui qui pense.

En théologie et en cosmologie, l’averroïsme signifie un déterminisme astral qui exclut toute intervention divine sur l’ordre du monde et nie ainsi la toute-puissance divine. Le Dieu d’Averroès ne connaît pas les choses singulières ; il appartient lui aussi à l’ordre universel de la raison. En éthique, l’averroïsme est assimilé à une théorie du bonheur qui exclut la grâce divine de son plan. La félicité s’acquiert par l’acte de pensée, quand l’individu, ses images et représentations sont conjoints à l’intellect, autrement dit, lorsque l’individu est pensé, donc pensée. En épistémologie enfin, l’averroïsme signifie la théorie qui sera désignée comme doctrine de la « double vérité » au XVIIe siècle. Elle affirme l’autonomie de la raison par rapport à la croyance religieuse, qui appartient à un autre type de discours. Elle exclut de fait la nécessité d’un accord entre révélation et raison, une inclusion de la raison scientifique dans un plan religieux. En 1270, Thomas d’Aquin reprochait à son adversaire « averroïste » d’affirmer qu’une proposition est absolument vraie du point de vue de la foi, alors que sa négation peut être rationnellement démontrée.

L’histoire de l’averroïsme est à la fois l’histoire d’une translatio studiorum qui fait passer Aristote par l’al-Andalus puis dans le latin scolastique, l’histoire de l’institutionnalisation de la lecture d’Aristote dans les universités européennes et l’histoire de l’écriture de l’histoire de la philosophie. Les pages qui suivent alternent donc les approches historiques et historiographiques. Le parcours débute au milieu du XIXe siècle (partie 1), avec une présentation de l’enquête dédiée à l’averroïsme par Ernest Renan ; l’Averroès de Renan signifie en effet le début d’une tradition historiographique dans laquelle s’inscrit encore la recherche actuelle. Après cette entrée en matière moderne, on retrace l’histoire de l’averroïsme latin à partir des premières occurrences du terme « averroistae » dans la littérature scolastique du XIIIe siècle (partie 2) et on présente les descriptions de cette littérature par les historiens de la philosophie après Renan (partie 3). Le XIVe siècle constitue un second moment de l’histoire de l’averroïsme, caractérisé par des transferts et une progressive institutionnalisation (partie 4). Il suscite un vif débat dans l’historiographie post-rénanienne, autour de la notion d’« averroïsme politique » (partie 5). Enfin les XVe et XVIe siècles sont l’âge d’or de l’averroïsme scolaire (partie 6), qui suscite de vives oppositions humanistes et ecclésiastiques (partie 7). Réputé éteint au milieu du XVIIe siècle, l’averroïsme continue cependant de hanter l’histoire de la philosophie, comme catégorie historiographique porteuse de représentations les plus diverses ; la dernière partie de ce tableau historique de l’averroïsme latin esquisse quelques usages et représentations idéologiques de l’averroïsme de 1600 à aujourd’hui (partie 8).

 Ernest Renan (1852) : l’avènement de l’averroïsme à l’âge moderne

Le chemin le plus court vers l’averroïsme latin part d’Ernest Renan. Bien que la catégorie d’averroïsme latin fût et soit encore contestée par certains historiens de la philosophie et que son contenu doctrinal et historique soit multiple, voire évanescent, le thème de l’averroïsme s’est définitivement imposé à la recherche historique en 1852, avec la publication de la thèse de doctorat d’Ernest Renan intitulée Averroès et l’averroïsme. Renan n’est certes pas l’inventeur de la catégorie « averroïsme » dans l’historiographie moderne (cf. partie 8) ; il a cependant livré la première étude globale sur l’averroïsme et introduit la catégorie historiographique dans le canon des objets de l’histoire de la philosophie. Renan a en effet tenté une première reconstruction documentée de l’averroïsme envisagé comme « mouvement » et « école », dont il situe l’avènement dans la seconde moitié du XIIIe siècle à Paris. Il en a aussi narré les divers développements historiques et les a évalués de manière très différenciée. Il a enfin présenté un tableau critique des évaluations de l’influence d’Averroès sur la philosophie en langue latine par les historiens modernes – de Moréri et Bayle au XVIIe siècle à Amable Jourdain et Salomon Munk, ses presque contemporains (Averroès et l’averroïsme, Partie I, § 2).

L’approche de Renan est à la fois historienne et idéologique. En historien de la philosophie, Renan juge les commentaires d’Aristote par Averroès caduques, dépourvus d’intérêt pour l’interprétation d’Aristote au XIXe siècle – autant lire Racine « dans une traduction turque ou chinoise » (Renan 1997, p. 54). L’étude de l’averroïsme doit donc s’entreprendre, selon Renan, d’un point de vue purement documentaire et historique. L’historisme n’exclut cependant pas les qualifications raciales et les évaluations. Autour de 1850, Averroès et l’averroïsme sont des éléments centraux du tableau rénanien des cultures dont la Méditerranée est le berceau. Chez Renan, Averroès fait figure d’exception philosophique dans un monde arabe dominé par une culture religieuse, fanatiquement antirationaliste.

Renan crée en effet la catégorie historiographique d’« averroïsme latin » par exclusion d’un possible averroïsme arabe : dans le monde arabe, les études philosophiques ont été marginales et sont mortes avec Averroès, tombées « après lui dans un complet discrédit » (Renan 1997, p. 47). Héritier de représentations et clichés élaborés par les orientalistes modernes depuis le XVIIe siècle, Renan s’intéresse à Averroès parce que, rationaliste, Averroès manifeste a contrario le génie propre des « peuples sémitiques » qui « n’ont jamais eu la moindre idée de ce qui peut s’appeler science ou rationalisme » (Renan 1997, p. 79). L’histoire rénanienne d’un averroïsme qui ne peut être que « latin » doit de fait être inscrite dans un plan plus vaste, présenté en 1848 déjà dans l’Histoire de l’étude de la langue grecque dans l’Occident de l’Europe depuis la fin du Ve siècle jusqu’à celle du XIVe  : le projet d’enraciner la culture « indo-européenne » dans la culture grecque et de la contraster avec son exact opposé, la culture des « peuples sémitiques », religieuse, poétique, imperméable à la raison, étrangère donc à une philosophie par essence grecque. La gigantomachie culturelle de Renan oppose la Perse, l’Inde et la Grèce, porteuses d’une même culture rationaliste, aux peuples sémitiques, chez qui la philosophie ne peut être qu’une « intrusion étrangère », en l’espèce d’Averroès un « essai avorté » (Renan 1997, p. 79).

Dans sa partie médiévale, le tableau rénanien se complexifie cependant. La figure d’Averroès représente une double étrangeté et initie un récit accidenté. Premièrement, comme lecteur d’Aristote et philosophe rationaliste, comme représentant insigne de la philosophie (falsafa), Averroès est l’antithèse de sa propre culture, qui était essentiellement religieuse. Étranger chez lui, Averroès est l’occasion d’un mouvement puissant, aux nombreuses ramifications : l’averroïsme, qui naît en monde latin au XIIIe siècle auprès d’un peuple au génie rationaliste, héritier légitime de la culture grecque, mais provisoirement tenu en échec par la mainmise culturelle du clergé. En ce sens, l’averroïsme latin est une tentative plus qu’un accomplissement. En effet, dans un deuxième temps Renan se range résolument du côté de Pétrarque, le « premier homme moderne » (Renan 1997, p. 233), pour fustiger durement l’averroïsme latin du XIVe siècle ; il l’identifie à une scolastique dégénérée, à l’antithèse de la raison moderne. Comme rationalisme et proposition philosophique, l’averroïsme est une alternative à la culture religieuse ; mais comme pratique concrète de la philosophie et réalisation historique, l’averroïsme incarne la dégénérescence scolastique contre laquelle se soulève la raison moderne depuis Pétrarque.

Ce montage complexe repose sur une distinction qui s’imposera à l’historiographie : Renan démarque l’averroïsme du XIIIe siècle, envisagé comme un ensemble non organisé de dissidences sporadiques, des averroïsmes du XIVe siècle et de la Renaissance, institutionnalisés, porteurs donc de la même sclérose que l’Université médiévale à coloration religieuse. Renan situe les prémisses du premier averroïsme à la cour des Hohenstaufen dans la première moitié du XIIIe siècle. Frédéric II, l’empereur incrédule, en est l’initiateur ; le véritable « fondateur » en est Michel Scot, l’un des traducteurs qui œuvraient à la cour de Frédéric II, le premier grand traducteur d’Averroès (Renan 1997, p. 157). De Michel Scot à Vanini au XVIIe siècle, le motif des entreprises averroïstes est la « mécréance », une révolte de la raison contre la croyance religieuse, qui s’alimente à la philosophie d’Averroès et surtout à celle d’Aristote qu’Averroès et les Arabes restituent enfin à l’Occident.

Or, comme il a été abondamment souligné (Fioravanti 1966, Imbach 1991), la reconstruction rénanienne de ce premier averroïsme, de son contenu doctrinal, procède en l’absence de sources ; les œuvres des principaux candidats au titre d’averroïstes – les maîtres ès arts Siger de Brabant, Boèce de Dacie, Aubry de Reims – ne sont pas encore connues. Renan projette donc une doctrine et un « mouvement » averroïste à partir des censures universitaires dirigées contre les livres d’Aristote et certaines de leurs interprétations. Doctrinalement, l’averroïsme selon Renan peut se résumer à quelques thèses : l’unicité de l’intellect pour tous les hommes, l’éternité de la matière et une forme de déterminisme qui ne laisse aucune place à la contingence théologique. À cela s’ajoute une théorie de la félicité mentale qui exclut du plan humain les interventions gratuites d’un quelconque Dieu arbitraire et personnel.

Pour reconstruire le contenu de l’averroïsme latin, Renan fait feu de tout bois. Les attaques de Raymond Lulle à l’encontre des « averroïstes » de l’Université de Paris en 1310, les censures universitaires promulguées contre David de Dinand et Amaury de Bène en 1209, puis les condamnations de certains usages d’Aristote en 1270 et 1277, les traités de Thomas d’Aquin et Albert le Grand contre la thèse de l’unicité de l’intellect, mais aussi le témoignage de Dante, qui place le maître ès arts Siger de Brabant au paradis, ou la figure emblématique de Frédéric II, dont « l’idée dominante… fut la civilisation dans le sens le plus moderne de ce mot, je veux dire le développement noble et libéral de la nature humaine » (p. 206) sont autant de faisceaux convergents qui projettent l’ombre d’une « école » (p. 188) dissidente et hétérodoxe. Cette école couvrait « ses mauvaises doctrines » sous le nom d’Averroès, qui devint ainsi le bouc émissaire de nombreuses attaques et le cheval de Troie de maintes dissidences. Par la force des choses, Renan demeure flou quant à l’identification des averroïstes du XIIIe siècle. Les milieux les plus divers sont évoqués : les traducteurs d’Averroès de la première moitié du XIIIe siècle, les maîtres ès arts parisiens de la seconde moitié du siècle, mais aussi l’école franciscaine, plus portée à la dissidence et effectivement visée par la condamnation de 1277 selon Renan, sans oublier les mystiques allemands, maître Eckhart surtout, dont la « mystique » est tributaire de la théorie averroïste de l’intellect (Renan 1997, p. 195).

Dans son second moment, au XIVe siècle et à la Renaissance, l’averroïsme latin se laisse mieux décrire et caractériser. Des professeurs de philosophie, à commencer Malgré l’absence de sources, l’averroïsme du XIIIe siècle joue un rôle insigne dans l’histoire culturelle de Renan. À nouveau, il faut situer l’entreprise de Renan historien de la philosophie dans un plan plus vaste, son grand projet d’histoire de la culture européenne. Selon lui, le XIIIe siècle est en effet le premier terreau où a pu germer l’esprit critique qui caractérisera la raison moderne ; l’averroïsme en est la première trace et l’événement fondateur. Dans la généalogie rénanienne, la pensée incrédule naît au XIIIe siècle avec « l’idée de religions comparées », « l’indifférence » et le « naturalisme » (p. 201-214). Paradoxalement, dans la scénographie de Renan, la comparaison des religions, le doute qu’elle insinue – avec notamment la fable des trois imposteurs rattachée au nom d’Averroès – procède moins de la rencontre effective des différentes cultures religieuses que de l’« esprit musulman », enclin à la comparaison des religions. Renan mentionne l’indifférence des soufis ; il souligne la distance prise par Averroès vis-à-vis des trois monothéismes confondus dans le syntagme « loquentes trium legum » (les représentants des trois religions). Étrangère à la manière spéculative, la culture arabe était porteuse, selon Renan, d’une conception historique, non pas philosophique, de la religion, donc des religions. Du monde arabe, l’Occident reçoit à la fois Aristote et le relativisme religieux, la philosophie grecque et l’idée de religions comparées. Cette dualité est projetée par Renan sur l’image d’Averroès dans la philosophie scolastique : auteur des « Grands commentaires », Averroès fut considéré comme l’interprète par excellence d’Aristote même par ses plus farouches adversaires – comme Thomas d’Aquin ; en même temps, il était regardé comme l’incarnation de l’incrédulité et le blasphémateur des religions. Dans le XIIIe siècle reconstruit par Renan, Averroès incarne à la fois la nécessité de la raison grecque, de la raison cosmique, et l’esprit critique qui ne pouvait advenir que d’une comparaison, c’est-à-dire d’une relativisation des systèmes religieux.

par Jean Baconthorpe (env. 1290-1347) et Jean de Jandun (env. 1285-1323) au tournant du siècle, puis de longues successions de maîtres et d’élèves se réclament ouvertement d’Averroès dans leur pratique de la philosophie, c’est-à-dire dans leur manière de lire et discuter Aristote. Averroès lui-même devient un objet de commentaires et de leçons, un auteur au programme, l’averroïsme se sclérosant dès lors en scolastique. « Lente décrépitude scolastique » (p. 229), l’averroïsme passe de Paris en Italie, à Padoue et Venise.

À l’étude de ce second moment de l’averroïsme latin, Renan dispose d’un abondant matériau ; il peut égrener des noms, de Pietro d’Abano (1250-1316), le fondateur de l’École de Padoue, à Cremonini, successeur de Zabarella à Padoue et dernier averroïste, avec qui meurt l’averroïsme en 1631. L’abondance des textes et des documents, souvent disponibles dans des éditions renaissantes, permet à Renan de présenter des doctrines et de mettre en lumière les réactions qu’elles ont provoquées sur deux fronts : du côté de l’Église, lors du cinquième concile de Latran (en 1512) notamment, et du côté humaniste, de Pétrarque à Ficin et Bembo. La « civilisation », c’est-à-dire la culture proprement européenne, est située du côté de la critique humaniste de l’averroïsme, qui retrouve les véritables racines grecques de l’Europe, pures des contaminations arabes et expurgées des corruptions scolastiques. Cependant, là encore, l’image rénanienne d’Averroès et de l’averroïsme est double, paradoxale. Venise, la terre de l’averroïsme, qui est opposée à la Florence humaniste, est aussi pour Renan la Hollande de l’Italie, où s’épanouit un « libertinage d’opinions », une liberté intellectuelle que viendra écraser la contre-réforme. Le jugement final de Renan, selon lequel « l’histoire de l’averroïsme n’est à proprement parler que l’histoire d’un vaste contresens » (p. 298), dans la mesure où Averroès n’est qu’un nom qui a couvert des doctrines « auxquelles il pensait le moins », vaut aussi, à un autre niveau, pour Renan lui-même. Dans son récit historiographique, l’averroïsme remplit des fonctions très différentes, parfois divergentes, dont la cohérence ne se conçoit que comme incarnation conjointe de différentes formes d’altérités : altérité par rapport à la culture arabe, religieuse par essence, mais aussi par rapport à la scolastique médiévale contrôlée par l’Église et au dogmatisme catholique en général, enfin par rapport à l’humanisme et donc par rapport à la culture indo-européenne génuine. L’averroïsme selon Renan, l’esprit critique qu’il éveille, est l’annonce paradoxale d’une modernité qui ne peut advenir qu’une fois l’averroïsme mort.

 Les « Averroistae » du XIIIe siècle : connotation et dénotation

De Renan à aujourd’hui, les historiens de la philosophie ont recherchés des documents attestant l’existence d’un averroïsme latin au XIIIe siècle (cf. Hayoun, Libera 1991, Putallaz, Imbach 1997, Giglioni 2013). Deux voies parallèles s’offrent à eux : la reconstruction d’anti-averroïsmes et l’exhumation de textes averroïstes. La première voie, déjà entreprise par Renan, consiste en l’étude d’interventions dirigées contre des entreprises intellectuelles qu’il est permis de décrire comme « averroïstes » ou qui ont été ainsi décrites, qu’il s’agisse de censures officielles (Bianchi 1999, Bianchi 2008b, p. 57-108) ou d’interventions personnelles de théologiens scolastiques. La seconde voie était ouverte au début du XXe siècle par Pierre Mandonnet (Siger de Brabant et l’averroïsme latin au XIIIe siècle, 1908-1911) puis continuée par Martin Grabmann (Neu aufgefundene Werke des Siger von Brabant und Boetius von Dacien, 1924). Les deux historiens catholiques éditaient des œuvres des maîtres ès arts Siger de Brabant et Boèce de Dacie rédigées autour de 1270, pour en faire les premières instanciations avérées de l’averroïsme latin. Grabmann affiliait aussi à l’averroïsme des traités rédigés durant les dernières décennies du XIIIe siècle, après les censures ecclésiastiques de l’aristotélisme en 1270 et 1277 (cf. Bianchi 1999), notamment des œuvres de Gilles d’Orléans et de Ferrand d’Espagne, ainsi que de nombreux textes anonymes (cf. Kuksewicz 1994). Une bibliothèque « averroïste » se constituait ; elle contenait des textes issus de la Faculté des arts, prioritairement relatifs à la psychologie – au De anima d’Aristote ; ce corpus attestait de l’influence croissante d’Averroès comme commentateur autorisé et véridique d’Aristote.

La première voie – l’étude des interventions anti-averroïstes – est moins hasardeuse qu’il ne paraît de prime abord, dans la mesure où au moins quatre représentants de la théologie scolastique du XIIIe siècle et du début du XIVe siècle –Thomas d’Aquin, Pierre de Jean Olivi, Roger Bacon et Raymond Lulle – ont explicitement désigné la cible de leurs attaques comme des « averroïstes ». D’autres théologiens du XIIIe siècle, à l’instar Albert le Grand et Gilles de Rome, ont rédigé des traités contre la thèse de l’unicité de l’intellect. S’ils ne nomment pas leurs adversaires, ces textes témoignent cependant d’une forme d’actualité et de dangerosité reconnue de la thèse postulant un unique intellect pour l’espèce humaine entière. Or ce thème apparaît dans le Grand commentaire du traité De l’âme d’Aristote par Averroès ; au XIIIe siècle, il est effectivement discuté et sérieusement pris en compte par Siger de Brabant (Siger de Brabant 1972) et d’autres maîtres ès arts dont le nom ne nous a pas été transmis (notamment les anonymes édités par Joachim Vennebusch en 1962, Maurice Giele en 1971, et René-Antoine Gauthier en 1985). Il est âprement discuté et réfuté par Albert le Grand, Thomas d’Aquin, Henri de Gand et Gilles de Rome, parmi d’autres maîtres en théologie.

La plus célèbre intervention personnelle contre une position explicitement attribuée à des « Averroyste », qui comporte aussi la première occurrence connue de ce terme (in Libera 1994, p. 94), est le traité De unitate intellectus de Thomas d’Aquin, très probablement dirigé contre Siger de Brabant (cf. Libera 1994, Libera 2004, Bianchi 2008a). À la fin de cette œuvre rédigée en 1270, dont le propos est de réfuter la thèse de l’unicité de l’intellect, Thomas d’Aquin impute à son adversaire l’attitude épistémique qui sera désignée comme « double vérité » au XVIIe siècle, notamment par Leibniz (cf. Bianchi 2008b) : « Mais il y a encore plus grave – c’est ce qu’il dit ensuite : "Par la raison je conclus de nécessité que l’intellect est numériquement un, mais je tiens fermement le contraire par la foi." Il pense donc que la foi porte sur des affirmations dont on peut conclure le contraire en toute nécessité. » (Libera 1994, p. 195)

La stigmatisation des « averroïstes » n’est cependant pas l’apanage des dominicains, comme le pensait Renan. Les théologiens franciscains Pierre de Jean Olivi et Roger Bacon s’en prennent eux aussi aux « averroïstes ». Dans les années 1277-1279, Pierre de Jean Olivi invoquent à cinq reprises des « averroïstes » (cf. Piron 2006) et leur impute des thèses variées : angéologiques (nature et localisation des anges), morales et anthropologiques (nature de la volonté et liberté humaine), théologiques (liberté divine) et physiques (éternité du monde, constitution de la matière). Les erreurs mises en exergue par Olivi et attribuées aux « Averroistae » reproduisent des thèses qui avaient été condamnées par l’évêque de Paris Étienne Tempier le 7 mars 1277, parce qu’elles étaient dangereuses et contraires à la fois. Bien que le décret de censure de Tempier, qui interdisait l’enseignement de 219 thèses issues de la lecture d’Aristote, ne mentionnât pas d’averroïstes, immédiatement après sa promulgation un frère franciscain enseignant à Narbonne y puisait la matière d’un averroïsme supposé, imputé à des contemporains. Chez Olivi, la qualification d’averroïsme est en effet plus vague que chez Thomas d’Aquin ; elle désigne un ensemble d’erreurs occasionnées par une lecture d’Aristote dont la main courante est le commentaire d’Averroès. Dans cette acception, une erreur est une thèse philosophique qui fragilise ou contredit une thèse réputée comme vérité théologique. La coexistence de plusieurs formes d’orthodoxies scientifiques – théologique et philosophique en l’occurrence – est exclue de l’horizon d’Olivi. Si elles ne témoignent pas forcément de l’existence d’un mouvement qui se serait explicitement reconnu « averroïste », les invectives d’Olivi désignent la naissance d’un habitus scolastique : une procédure d’orthodoxie en Faculté de philosophie, qui établit Averroès comme le commentateur autorisé d’Aristote, et qui concurrence la lecture (ou l’enseignement) théologique.

Le terme « Averroistae » revient en 1292 sous la plume du franciscain Roger Bacon (Roger Bacon 1988, p. 80). Dans son Compendium studii theologiae, lorsqu’il s’en prend aux « averroïstes », Bacon cible une thèse précise, anthropologique : la thèse selon laquelle l’être et la définition de l’homme sont constitués par sa forme seule, à savoir son âme intellective, à l’exclusion du corps qui demeure extérieur à la définition et à l’essence de l’homme. Le procédé est intéressant, car cette thèse ne fait pas partie du canon averroïste classique ; elle n’appartient ni au champ de la psychologie averroïste exposée dans le Grand commentaire du traité De l’âme d’Aristote, ni au champ physique dont le Commentaire de la Physique et le De caelo d’Averroès sont les principaux dossiers. La thèse identifiant l’homme à son intellect et toute chose à sa forme seule, procède plutôt d’une lecture du livre 7 de la Métaphysique d’Aristote accompagnée du commentaire d’Averroès. Au XIIIe siècle, elle a trouvé des défenseurs autorisés en les personnes des maîtres en théologie dominicains Albert le Grand et Dietrich de Freiberg (König-Pralong 2010a et 2010b). L’usage par Bacon du substantif « averroïstes » pour critiquer une thèse anthropologique dont le maître dominicain Albert le Grand fut probablement le plus insigne promoteur est symptomatique de la signification prise par le terme à la fin du XIIIe siècle, ainsi que de sa coloration proprement baconienne. D’une part, l’averroïsme désigne une lecture d’Aristote incompatible avec une forme reconnue d’orthodoxie théologique ; d’autre part, certains intellectuels contemporains d’Albert le Grand, Roger Bacon en particulier, ont perçu l’influence d’Albert sur la philosophie pratiquée en Faculté des arts, son entreprise de promotion d’Averroès – vision qui a été confirmée par l’historiographie du XXe siècle (Libera 2005, 54 ss.). Chez Bacon, l’averroïsme signifie une pratique de la philosophie et une lecture d’Aristote qui n’est pas spécifique de la Faculté des arts : certains théologiens universitaires se trouvent contredire les standards de la foi chrétienne telle que la concevait Bacon (König-Pralong 2011, p. 128-164). En l’occurrence, l’exclusion du corps de la sphère anthropologique ne se conçoit pas sans peine dans un contexte culturel et doctrinal qui privilégie l’incarnation, celle du Christ fait homme en particulier.

Enfin, entre 1309 et 1311, le philosophe laïque Raymond Lulle, qui séjourne alors à Paris, s’en prend aux « averroïstes » parisiens qui minorent la valeur de la foi chrétienne en refusant sa démonstrabilité par la raison (cf. Imbach 1989, Riedlinger 1967). La Disputatio Raimundi et Averroistae de 1310, puis le Liber natalis de 1311 visent explicitement des maîtres parisiens, qualifiés d’averroïstes, qui usent indument d’Averroès pour interpréter Aristote et qui contrastent vérité philosophique et vérité théologique. Lulle en appelle au roi de France Philippe le Bel pour qu’il interdise les livres et les enseignements d’Averroès à l’Université de Paris ; il présente son programme d’éradication de l’averroïsme au concile de Vienne (1311). Chez Lulle, les thèses critiquées témoignent de la constitution effective du prétendu canon « averroïste » : éternité du monde, unicité de l’intellect et négation de la toute-puissance divine (autrement dit, déterminisme). À ce catalogue attendu, s’ajoutent cependant d’autres thèses jugées hétérodoxes, notamment la négation de l’incarnation, qui fait écho au thème rencontré chez Bacon. L’intention de Lulle est cependant autre ; contrairement à Bacon, Lulle affirme la démonstrabilité des vérités religieuses par la raison. L’averroïsme ne représente plus l’arrogante prétention de la raison philosophique, mais une minoration de la foi consécutive à un relativisme épistémologique qui exclut les vérités de foi de la rationalité humaine. Comme chez Bacon, l’averroïsme désigne une attitude plus qu’un contenu doctrinal et un fonds textuel stable. Ruedi Imbach (1989) a montré que Lulle puise abondamment aux listes d’erreurs qui circulaient alors à Paris, qu’il n’a souvent pas lu les sources qu’il invoque – les textes d’Averroès lui-même ou ceux de prétendus averroïstes –, même s’il faut admettre qu’il a probablement entendu Bartholomé de Bruges et Jean de Jandun (env. 1285-1323) et certainement connu leurs doctrines.

 L’« averroïsme latin » du XIIIe siècle après Renan

Les occurrences avérées du terme « Averroista » dans la littérature théologique du XIIIe siècle légitiment sans la résoudre la question historiographique de l’« averroïsme latin ». En effet, ni les usages attestés du substantif « averroïstes » (« Averroistae »), qui s’avèrent toujours polémiques, ni les censures ecclésiastiques de pratiques exégétiques et de thèses défendues par des maîtres ès arts, notamment de la thèse de l’unicité de l’intellect, ne suffisent à donner à l’averroïsme une identité stable. Si l’averroïsme se définit comme affiliation positive et consciente à une école, la qualification critique d’« averroïste » ne permet pas même d’en assurer l’existence. Au XIIIe siècle, l’averroïsme n’a pas les traits d’une école : il est dépourvu de tradition et d’orthodoxie. La thèse de l’unicité de l’intellect est certes un premier marqueur de l’averroïsme, mais elle ne fédère pas encore un mouvement à la manière d’une doctrine scolaire ; elle apparaît comme question chez les maîtres ès arts qui commentent le De anima d’Aristote, comme erreur sous la plume de certains maîtres en théologie.

Dans sa vaste introduction aux textes anti-averroïstes de Lulle, Helmut Riedlinger (1967, p. 29-31) insistait sur l’imbrication effective – matérielle et doctrinale – du texte d’Aristote dans le commentaire d’Averroès. Si la lecture d’Aristote avec ou par le biais d’Averroès est le signe d’une attitude averroïste, presque toute la scolastique médiévale est averroïste, à commencer par Albert le Grand et Thomas d’Aquin. Selon Riedlinger, le signe distinctif de l’averroïste devait donc être l’affirmation assumée d’une contradiction irréconciliable entre vérités de foi et vérités démontrées par la raison (la dite « double vérité »). En ce sens, les premiers averroïstes auraient été Jean de Jandun, Antoine de Parme, Jean de Göttingen et Marsile de Padoue, des auteurs dont les œuvres appartiennent aux premières décennies du XIVe siècle.

En 2007 Dag Nikolaus Hasse invoquait un autre critère pour situer les débuts de l’averroïsme : l’institutionnalisation d’un mouvement, la création d’écoles. Il repoussait ainsi l’émergence de l’averroïsme deux siècles plus tard, aux alentours de 1500. Au Nord de l’Italie, en particulier à Padoue, la « doctrina Averrois » sera alors au centre des débats ; elle aura acquis une autonomie (Hasse 2007, p. 324). Le texte d’Averroès se sera substitué à celui d’Aristote dans l’enseignement de chaires à coloration averroïste, il se sera émancipé d’Aristote. Le canon des thèses averroïstes aura acquis une consistance forte. Rétroactivement, l’étude des averroïsmes du XIVe siècle et de la Renaissance, assumés comme tels par leurs protagonistes, permet de découvrir les traces d’une tradition averroïste qui remonte au XIIIe siècle, mais qui ne se percevait pas encore comme « averroïste » alors. Les thèses de Siger de Brabant, puis de Jean de Jandun se transmettent ; elles sont discutées et reconnues comme des propositions averroïstes dès le XIVe siècle à Bologne (Hasse 2007, p. 308 ; Kuksewicz 1994 ; Kuksewicz 1995). La constitution d’une orthodoxie scientifique procède de la reconnaissance d’une tradition et en impose l’évidence à l’ensemble du champ de la philosophie universitaire. À la Renaissance, Albert le Grand (m. 1280), Siger de Brabant, Jean de Jandun (m. 1328), John Baconthorpe (env. 1290-1347), Thomas Wilton (m. 1322), Giovanni Pico della Mirandola (1463-1494), Alessandro Achillini (1463-1512), Pietro Pomponazzi (1462-1525), Marcantonio Zimara (m. 1532) et Francesco Vimercato (1512-1571), parmi d’autres, seront désignés comme « averroïstes » par des auteurs non affiliés à l’averroïsme (Hasse 2007, p. 314-315).

Cependant, partant du flou sémantique qui auréolait l’étiquette « averroïsme » dans l’historiographie de la première moitié du XXe siècle, Fernand Van Steenberghen avait préconisé l’abandon de la catégorie dès 1966. Chez lui, la question n’était pas celle du début, mais celle de la qualification d’un objet historique. Siger de Brabant et Boèce de Dacie étaient en effet devenus des objets incontournables de l’histoire de la philosophie. Pour décrire l’entreprise intellectuelle de ces professeurs de philosophie, Van Steenberghen proposait de substituer les catégories d’« aristotélisme radical » et d’« aristotélisme hétérodoxe » à celle d’« averroïsme » (Van Steenberghen 19912, p. 321-370). L’aristotélisme radical devait désigner un mouvement hétérodoxe et autonomiste dans ses prétentions scientifiques, qui était né en Faculté des arts avec la lecture d’Aristote et des commentaires d’Averroès. En l’espèce de l’« aristotélisme radical », l’averroïsme était expurgé d’Averroès et laissait place à un « paganisme renaissant et menaçant » contre lequel devait lutter « l’intelligence chrétienne » (p. 458). Mettant en tension l’antiquité païenne et le moyen âge chrétien, la lecture de Van Steenberghen minimisait en effet l’épisode médiéval arabe et donc aussi le moment rénanien – moderne et rationaliste – de l’historiographie philosophique. L’aristotélisme orthodoxe de Thomas d’Aquin avait un vis-à-vis en l’espèce d’une résurgence du paganisme incarnée par des professeurs de philosophie, des clercs de l’université médiévale qui se seraient soustraits aux standards culturels et intellectuels de leur temps, c’est-à-dire à l’« orthodoxie » présupposée thomiste dans la gigantomachie de Van Steenberghen.

L’effacement de l’averroïsme latin programmé par Fernand van Steenberghen n’a cependant pas convaincu. Aujourd’hui, l’averroïsme est un fait historique dont Siger de Brabant est un personnage incontournable, même s’il est indu de concevoir l’averroïsme du XIIIe siècle comme une école. Depuis la fin du XXe siècle, les historiens de la philosophie essaient de situer l’averroïsme dans ses lieux intellectuels propres et d’en reconstruire les processus de constitution plutôt que de requalifier les doctrines de Siger de Brabant et d’autres maîtres ès arts du XIIIe siècle. Un paradoxe permet de pointer une tendance de la recherche depuis les années 1980 : l’averroïsme latin est un phénomène avéré au XIIIe siècle, bien qu’il soit difficile, voire impossible de découvrir des auteurs qui eussent défendu les thèses averroïstes à la première personne (Coccia 2005, p. 21-22). L’averroïsme est une invention de théologiens (Gauthier 1984, p. 222), l’objet postulé d’une polémique. Les censures ecclésiastiques de l’aristotélisme se révèlent être des fictions efficaces, qui finiront par engendrer des défenseurs pour les erreurs qu’elles stigmatisaient (Libera 1991, p. 193-194 ; Libera 1998a, p. 76-78).

Dans cette optique, Alain de Libera (2004) a étudié la création de l’averroïsme par Thomas d’Aquin. En défendant sa propre lecture d’Aristote contre celle de Siger de Brabant, Thomas aurait formulé et établi le premier canon averroïste, un ensemble cohérent et organisé de thèses : l’éternité du monde, l’unicité de l’intellect et la limitation de la puissance divine, avec ses conséquences philosophiques : le déterminisme (Libera 2004, p. 224-260). Quant à la thèse dite de la « double vérité », elle procède elle aussi de Thomas d’Aquin, dont Étienne Tempier reprend les invectives dans la lettre dédicatoire de la grande censure de l’aristotélisme du 7 mars 1277 (Bianchi 2008b, p. 18). Ces analyses nous reconduisent à Renan qui, sans connaître les textes de Siger de Brabant et des professeurs de la Faculté des arts, avait postulé que l’histoire de l’averroïsme n’est, à son début, que « l’histoire d’un vaste contresens ».

 L’averroïsme du XIVe siècle : transferts et institutionnalisations

Dès les années 1320 la lecture dite « averroïste » d’Aristote, c’est-à-dire le complexe de problèmes auquel on l’a identifiée et le style d’argumentation scientifique qu’on lui a reconnu, perd en importance à Paris. Paradoxalement, Jean de Jandun, le « princeps averroistarum » parisien qui jouira d’une inestimable fortune hors du royaume de France, enseigne en Faculté des arts à Paris dès 1310. Son enseignement est certes influent et séminal pour l’averroïsme italien du XIVe siècle (Brenet 2003), mais les points chauds du débat scientifique parisien, qui se joue avant tout en Faculté de théologie, sont bientôt prescrits par les propositions d’Ockham et des scotistes. L’averroïsme du XIVe siècle est principalement artiste ; il a son lieu en Faculté de philosophie, en Italie ; il connaît en outre un épisode allemand, à Erfurt (Kuksewicz 2007).

Le transfert culturel s’opère à la fin du XIIIe siècle, lorsque des maîtres formés à la Faculté des arts de Paris s’installent à Bologne, notamment Gentile da Cingoli. Au cours de cette translatio studiorum, Jean de Jandun devient une autorité, un guide de lecture d’Averroès et d’Aristote qui tendent à se surimposer. L’enseignement bolonais de Gentile da Cingoli débute en 1295 ; il initie une génération averroïste caractérisée par l’affirmation de la thèse de l’unicité de l’intellect et la reconnaissance de l’incompatibilité de cette thèse avec la foi catholique. Taddeo de Parme (qui enseigne à Bologne autour de 1320) et Angelo d’Arezzo (maître aux alentours de 1325) ont tous deux été élèves de Gentile ; ils ont tous deux souscrit à la thèse de l’unicité de l’intellect. La génération suivante – Matteo da Gubbio (qui enseigne entre 1334 et 1347) et Giacomo da Piacenza (dans les années 1340) – dépend de la précédente, prolongeant une lecture averroïste du De anima. Dans la première moitié du XIVe siècle, l’Université de Bologne témoigne d’un progressif phénomène d’institutionnalisation de procédures d’enseignement et de lecture, associé à la reconnaissance de quelques thèses-clés, comme l’unicité de l’intellect. Ces deux opérations constituent de fait les conditions pour qu’émerge un phénomène d’école. Des dépendances effectives entre les textes des maîtres ès arts bolonais permettent de documenter des filiations de maîtres et d’élèves (Hasse 2007, p. 323).

La psychologie (la lecture du De anima) n’est pas le seul champ de l’averroïsme bolognais. La philosophie naturelle est aussi un objet d’intérêt pour une constellation d’auteurs « averroïstes » qui partagent des habitus scientifiques et des thèmes de recherche (Anselme de Côme, Cambiolus de Bologne, Giacomo da Piacenza, Jourdain de Tridentina, Matteo da Gubbio, Pierre de Bonifaciis), même s’il ne faut pas sous-estimer la vivante variété de ces entreprises intellectuelles (Brenet 2003, p. 23). Dans cette optique, l’averroïsme bolonais peut être décrit comme style scientifique plutôt que cohérence doctrinale qui privilégierait exclusivement la voie ouverte par Jean de Jandun.

De Bologne, l’averroïsme essaime à Erfurt vers le milieu du XIVe siècle. Zdzislaw Kuksewicz (2007) a décrit un manuscrit d’Erfurt sur lequel figure le titre « Quaestiones disputatae secundum viam communem in civitate Erfordiensis ». Or ces « questions qui adoptent la méthode commune d’Erfurt » sont des textes à coloration averroïste ; ils sont rédigés entre 1340 et 1375. Erfurt comptait alors quatre écoles sises dans des Églises ou des cloîtres. Entre 1340 et 1360, ces institutions hébergèrent une génération de maîtres averroïstes, à commencer par Theodoricus de Foro (ou de Magdeburg), qui avait étudié et enseigné la philosophie à Bologne, avant de suivre un enseignement en théologie à Paris. En amont, l’importante diffusion des œuvres et de la pensée d’Albert de Grand dans le paysage intellectuel allemand avait préparé le terrain pour un accueil favorable de l’averroïsme parisien. Le maître parisien Johannes Aurifaber s’installe par exemple à Erfurt vers 1330 ; il y enseigne et on lui connaît des élèves (Markwoski 1985). Ses positions intellectuelles présentent déjà une caractéristique qui deviendra un trait distinctif de l’école averroïste d’Erfurt. La méthode averroïste préconisée par les maîtres d’Erfurt se voulait une solution de compromis, une voie « commune » : ni albertiste, ni nominaliste. En Allemagne, la proposition averroïste figure comme une solution médiane, aux antipodes du « radical » averroïsme parisien que décrivait Van Steenberghen. L’averroïsme d’Erfurt s’éteint vers 1360, alors que les étudiants et les maîtres émigrent de plus en plus nombreux vers la nouvelle et déjà célèbre Université de Prague, fondée en 1348.

  L’« averroïsme politique »

L’averroïsme du XIVe siècle a engendré son propre débat historiographique en l’espèce de l’« averroïsme politique » (voir les présentations contrastées de Piaia 1985 et Hübener 1994). Marsile de Padoue et son Defensor pacis en sont les protagonistes principaux, dès la première décennie du XXe siècle. Deux thèses réputées averroïstes, transposées sur le plan politique, permettaient en effet de représenter Marsile de Padoue en incarnation de l’averroïsme politique, c’est-à-dire en porte-drapeau d’une aspiration de la société laïque à l’autonomie politique (Lagarde 1934). D’une part la thèse psychologique de l’unicité de l’intellect : elle caractérisait la pensée comme universelle, dépourvue de spécificités individuelles à la différence de l’imagination et des sens, et identifiait ainsi l’œuvre de la raison humaine à l’opération d’un unique intellect (à la pensée en acte). Transposée sur le plan politique, cette version du monopsychisme aurait permis à Marsile de Padoue et Dante avant lui (Nardi 1921) de fonder l’impérialisme comme unique pouvoir temporel : un unique pouvoir impérial réalise le bien du genre humain en assumant les différences individuelles. D’autre part, la thèse de la double vérité, qui prémunissait la philosophie contre les ingérences théologiques, pouvait faire écho aux aspirations autonomistes des défenseurs du pouvoir temporel laïque, qui en affirmaient l’universel validité sur terre, contre les prétentions, universalistes elles aussi, de la politique ecclésiale romaine et de ses théoriciens.

Suggéré par Renan, l’« averroïsme politique » apparaît explicitement chez Pierre Mandonnet (1908, p. 188). Il est déjà discuté par Richard Scholz (1907). Nardi (1921) l’adopte, pour fonder une généalogie averroïste qui va de la Monarchie dantesque (composée en 1316/7, mais que Nardi situait plutôt autour de 1307) au Defensor pacis de Marsile de Padoue (1324). En 1934 Georges de Lagarde fait de Marsile le premier averroïste politique, héritier de Jean de Jandun et Pietro d’Abano ; le transfert franco-italien de l’averroïsme signifiait aussi une politisation. En 1942, Erminio Troilo décrivait l’averroïsme politique comme la véritable révolution engendrée par l’héritage averroïste au moyen âge latin, plus importante que l’averroïsme scolaire des Facultés des arts. La notion d’« averroïsme politique » a ensuite été nuancée par Jacqueline Quillet (1979-1980), qui a insisté sur un héritage arabe pluriel, non exclusivement averroïste chez Marsile de Padoue. Mario Grignasci (1979) et Gregorio Piaia (1985) ont émis des doutes beaucoup plus radicaux sur un quelconque héritage arabe, faisant de l’« averroïsme politique » un mythe historiographique, une création de l’historiographie moderne post-rénanienne.

Le débat n’est cependant pas clos. En 1994, Wolfgang Hübener reprenait le dossier de l’averroïsme politique par la voie négative de l’étude de ses critiques et réactions médiévales, rinascimentales et modernes. Selon lui, l’averroïsme politique – comme l’averroïsme latin – existe au moins comme objet de critiques ; les conséquences politiques de la noétique averroïste ont été effectivement décrites et perçues comme des dangers par des contemporains de Dante et de Marsile de Padoue. Selon Hübener, Thomas d’Aquin avait d’ailleurs déjà suggéré les dangers de l’averroïsme comme doctrine sociale excluant la responsabilité individuelle. Guido Vernani di Rimini, en ardent défenseur du pouvoir temporel de l’Église, a élevé les mêmes objections contre le premier livre de la Monarchie de Dante. Autour de 1600, on rencontre encore ce type de stigmatisations de l’aristotélisme et de l’averroïsme politiques dans les entreprises intellectuelles de la contre-réforme, par exemple dans la philosophie politique antiprotestante de Tommaso Campanella.

À l’instar de l’averroïsme latin du XIIIe siècle, l’averroïsme politique – la connexion entre un certain type d’aristotélisme et des visées émancipatrices en politique – semble avoir été perçu comme une proposition philosophique effective par certains défenseurs du pouvoir hiérocratique. Comme la xénophobie, l’anti-averroïsme n’a pas besoin de connaître personnellement ses adversaires ; la possibilité documentée de son existence constitue déjà une réalité, en l’espèce d’un danger.

 Les averroïstes du XVe siècle et du XVIe siècle

Au XVe siècle, l’averroïsme a un lieu géographique et institutionnel : l’Université de Padoue où Averroès s’enseigne comme autrefois Aristote (Nardi 1945, Hayoun, Libera 1991, p. 114 ss, Hasse 2007). La figure tutélaire de l’école de Padoue est le théologien augustin Paul de Venise (Paolo Nicoletti) qui enseigne à Padoue, Sienne, Pérouse et Bologne entre 1420 et 1428, après avoir étudié à Padoue et Oxford. La coloration intellectuelle qu’il confère à la chaire de logique et de philosophie naturelle de l’Université de Padoue sera durable ; son influence se lit dans l’orientation intellectuelle et les pratiques scientifiques padouanes un siècle durant. Paul de Venise inaugure en effet un nouveau paradigme scientifique qui se démarque des habitus bolonais du XIVe siècle ; les propositions philosophiques formulées par Jean de Jandun lecteur d’Aristote et d’Averroès sont atténuées, voire explicitement critiquées (Hasse 2007, p. 322-325). À Padoue, au XVe siècle et jusque dans la première moitié du XVIe siècle, le débat porte spécifiquement sur la bonne lecture d’Averroès ; or, sur la question, allégeance est souvent faite à Paul de Venise plutôt qu’à Jean de Jandun, considéré comme moins fidèle et plus grossier interprète d’Averroès.

Du point de vue doctrinal, le marqueur le plus évident de l’averroïsme est toujours la thèse de l’unicité de l’intellect qui est défendue, dans diverses versions, par Niccolò Tignosi (1402-1474), par le jeune Nicoletto Vernia, qui corrigera sa position avec l’âge, par Alessandro Achillini (1463-1512), par le jeune Agostino Nifo (1469/70-1538), qui se rétractera, ainsi que par Luca Prassicio (m. 1533), Antonio Bernardi (1502-1565), Francesco Vimercato (1512-1571) et Antonio Bernardi. À l’exception d’Achillini, qui enseigne à Bologne et de Luca Prassicio actif à Naples, cette lignée d’intellectuels incarne géographiquement la dite « école de Padoue ».

Dès le début du XVe siècle, au Nord de l’Italie, Averroès passe du statut de commentateur (« Commentator ») attitré d’Aristote à celui d’auteur, de la rubrique « littérature secondaire » à celle des sources premières de la connaissance (Martin 2013). Certains de ses textes sont au programme de la Faculté des arts, en particulier le De substantia orbis et certaines parties du Colliget. On discute et enseigne Averroès ; on commente non seulement ses traités, mais aussi ses commentaires d’Aristote. Déjà au XIVe siècle un maître dénommé Urbain de Bologne avait rédigé un commentaire du Grand commentaire de la Physique d’Averroès. Parmi d’autres œuvres d’Averroès, Agostino Nifo commentera le Grand commentaire de la Métaphysique. Pietro Pomponazzi et Agostino Nifo inaugurent en outre une longue série avec leurs commentaires respectifs du De substantia orbis (Martin 2013, p. 72). Au XVIe siècle, Averroès a acquis un tel statut d’autorité que Marcantonio Zimara établit une Concordance des propositions d’Aristote et d’Averroès (les Tabulae et dilucidationes in dicta Aristotelis et Averrois, imprimées en 1543 et 1564). Avec Augustin et Thomas d’Aquin, qui ont aussi bénéficié de Tables et Concordances, Averroès figure désormais parmi les auteurs dont il faut montrer la cohérence, élucider les contradictions apparentes avec Aristote et qu’il faut interpréter de manière interne et systémique. Au XVIe siècle, Averroès est en effet l’objet d’entreprises éditoriales majeures, notamment de l’édition de Venise (1550-1552), qui impliqua de nombreux humanistes avant d’être publiée par les frères Giovanni Maria et Tommaso Giunta (Schmitt 1979 ; Burnett 1999 ; Burnett 2013). Averroès gagne en épaisseur grâce à des œuvres nouvelles traduites de l’hébreu. Même dans certains cercles cléricaux, son importance est reconnue ; l’édition des frères Giunta est d’ailleurs dédiée au cardinal Bernardino Carvajal ; Giacomo Mantino dédie certaines de ses traductions d’Averroès aux papes Léon X et Paul III.

Les intérêts scientifiques du temps posent en outre une question nouvelle aux lecteurs d’Averroès, celle de son rapport à l’antiquité grecque que l’humanisme de la Renaissance veut redécouvrir sur de nouvelles bases (au sujet d’Aristote à la Renaissance : Bianchi 2003). Dans les milieux universitaires à coloration averroïste, Averroès est souvent regardé comme un fidèle passeur de la philosophie antique, non seulement d’Aristote, mais aussi de ses commentateurs, principalement d’Alexandre d’Aphrodise et de Themistius. Agostino Nifo voit en Averroès un imitateur de la manière grecque, qu’il convient d’imiter derechef (Martin 2013, p. 73). Du côté des critiques d’Averroès, le jugement est retourné sur sa face négative : selon Ermolao Barbaro (1453-1493) et Ludovico Boccadiferro (1482-1545) Averroès est un voleur, qui s’est contenté de plagier Alexandre, Themistius et Simplicius, de manière confuse qui plus est. Ces jugements contrastés inscrivent de fait Averroès dans une lignée antique, très antérieure et étrangère à sa propre Lebenswelt, la Cordoue du XIIe siècle. Averroès est situé parmi les grecs, alors qu’il fut rangé parmi les païens (les « gentiles ») au moyen âge.

Les averroïstes existent à la Renaissance de manière autoréférentielle. Dans son Commentaire de la Physique de 1518, Pietro Pomponazzi se range parmi eux : « […] il faut noter que de nombreux averroïstes, au nombre desquels je me range, affirment que […] » (in Nardi 1965, p. 239n : « […] notandum est quod multi Averroistae, de quorum numero ego sum, quod […] »). La chose est assez piquante lorsque l’on considère que Pomponazzi ne défend pas la théorie averroïste de l’unicité de l’intellect. Son célèbre traité De immortalitate animae (1516) déclenche une vaste polémique dans laquelle il figure comme le défenseur d’une position alexandrinienne, matérialiste, opposée à la fois à l’orthodoxie catholique affirmant l’immatérialité et l’immortalité de l’âme humaine individuelle, et à l’orthodoxie averroïste affirmant la jonction de l’âme humaine à un intellect unique, substance immatérielle et universelle, pensée en acte qui produit l’intelligible et le pense à la fois.

Par ailleurs, lorsqu’ils ne sont pas autoréférentiels, les usages du terme « Averroistae » ne sont plus toujours péjoratifs, comme dans la scolastique médiévale du XIIIe siècle. John Baconthorpe est désigné sur la page titre de l’une de ses éditions comme « prince des averroïstes et insigne théologien » (« Averroistarum princeps theologusque celeberrimus »), sans que cette association soit un oxymore. Dans ses solutions aux contradictions apparentes entre Aristote et Averroès qui accompagnent le Commentaire de la Métaphysique dans l’édition d’Averroès publiées par les frères Giunta (Solutiones contradictionum in dictis Aristotelis et Averrois super duodecimo Metaphysicorum), Marcantino Zimara mentionne « de nombreux et excellents averroïstes parmi ses contemporains » (« multos praeclaros Averroistas ex viventibus », in Aristotelis opera cum Averrois Commentariis, Venetiis, apud Junctas, 1562, f. 423va, cité in Hasse 2007, p. 313n).

Enfin, les averroïstes des XVe et XVIe siècles se perçoivent et sont perçus comme un groupe, une école. Dag Nikolaus Hasse (2007, p. 316) a relevé les usages des syntagmes « Averroica familia » et « schola Averroica » chez Agostino Nifo, ainsi que de « secta Averroica » et « secta Averroistica » chez Nifo et Marsile Ficin. À la Renaissance, tous les critères sont remplis pour qu’existe l’averroïsme, même s’il ne faut pas sous-estimer la diversité d’une école ou d’une « voie » (via), dont l’unité souvent très lâche n’exige rien de plus qu’une ou quelques thèses fédératrices, discutables elles aussi, et dont l’existence effective est le résultat de pratiques scientifiques concrètes.

 L’anti-averroïsme de la Renaissance

L’anti-averroïsme de la Renaissance et du XVIe siècle connaît plusieurs formes : scolaire, institutionnel et humaniste.

Trois grandes voies intellectuelles se sont en effet dessinées dans les universités du nord de l’Italie vers 1500. Premièrement, une voie dominicaine strictement thomiste, très florissante : Pierre de Bergame travaille à sa grande Concordance des œuvres de Thomas d’Aquin dans la Bologne des années 1470. Dans cette lignée, des générations de thomistes célèbres se succèdent en Italie du Nord, à l’instar de Paul Barbus (Soncinas), puis de Cajetan (Thomas de Vio), qui commente la Somme de théologie de Thomas d’Aquin, et de François Sylvestre de Ferrare qui achève son commentaire de la Somme contre les Gentils de Thomas d’Aquin en 1517. Les franciscains suivent quant à eux une voie scotiste qui prescrit ses propres thèmes (parmi lesquels la distinction formelle scotiste et la théorie scotiste de la volonté) et fait du Commentaire des Sentences de Jean Duns Scot le dossier de base de son enseignement. Enfin, on a distingué une forme d’« école » aristotélico-averroïste, au sens large, qui prétend assumer la tradition aristotélicienne tout entière, en y incluant parfois Thomas d’Aquin et Albert le Grand, presque toujours Siger de Brabant, Jean Baconthorpe, Jean de Jandun et Paul de Venise. Au sein de l’université italienne, l’averroïsme représente en effet une « voie » : certains maîtres reconnaissent Averroès comme autorité de premier rang, ils le commentent et adoptent sa manière de commenter ; les thèmes classiques du canon averroïste qui s’est peu à peu formé dès le XIIIe siècle – unicité de l’intellect, éternité de la matière, félicité mentale – sont abondamment discutés. À Padoue, l’opposition aux averroïstes vient principalement des scotistes. Le Tractatus singularis contra averroistas de humanarum animarum plurificatione d’Antonio Trombeta, achevé le 19 avril 1497, marque un sommet de l’anti-averroïsme scotiste : il attaque la thèse averroïste affirmant l’unicité de l’intellect, spécifiquement un pour tous les hommes. De manière significative, la même année, dans son commentaire des Destructiones destructionum d’Averroès le jeune Agostino Nifo, encore résolument averroïste (Holland 2013), qualifie les franciscains scotistes d’« ennemis d’Averroès, de Thomas d’Aquin et d’Albert le Grand » (Destructiones destructionum Averroys cum Augustini Niphi de Suessa expositione, Venetiis, 1497, Disp. 5, dub. 3, f. 69vb). À l’université, les chaires scotistes furent en effet souvent des relais privilégiés des combats des autorités ecclésiastiques contre l’aristotélisme à couleur averroïste (Bianchi 2008b, p. 118).

Cette opposition bipolaire doit cependant être complexifiée. Certains aristotéliciens, comme Pietro Pomponazzi (1462-1525), figurent aussi comme des opposants déclarés à la lecture averroïste d’Aristote. Pomponazzi a certes prôné une claire démarcation entre philosophie naturelle – domaine de la raison naturelle, de la preuve et de l’argumentation – et théologie, qui ne peut rationnellement prouver l’ensemble de ses vérités. Certains lecteurs de Pomponazzi en ont fait un partisan de la double vérité averroïste. Il s’est compté au nombre des « averroïstes » (cf. partie 6). Cependant, sur la question de l’âme humaine et de l’intellect, Pomponazzi a incarné une forme spécifique d’opposition à l’averroïsme. Son matérialisme – son choix d’Alexandre d’Aphrodise comme commentateur attitré d’Aristote – oppose à la théorie averroïste de la félicité comme conjonction de l’âme humaine à l’unique intellect, universel, une conception individualiste de l’intellect humain, étroitement liée à la personne physique.

Padoue est le cœur de l’averroïsme autour de 1500 aussi par les réactions institutionnelles que suscite la lecture averroïste d’Aristote. En 1489, l’évêque de Padoue Pietro Barozzi censure la thèse de l’unicité de l’intellect et menace d’excommunication toute personne qui la discutera publiquement, sous quelque prétexte que ce soit. Pietro Barozzi précise que cette thèse a été attribuée à Aristote par Averroès « un homme certes savant, mais criminel » (« hominem doctum quidem sed scelestum », Edictum contra disputantes de unitate intellectus, ed. P. Ragnisco, cité in Hasse 2007, p. 312). L’intervention de l’évêque, couronnée de peu de succès, entendait interdire une pratique scolaire bien spécifique et caractéristique de l’averroïsme scolaire : la discussion de la question de l’âme et de l’intellect humains telle qu’elle apparaît dans le Grand commentaire d’Averroès sur le troisième livre du De anima d’Aristote. En 1497 le sénat de Padoue tente derechef d’éteindre la tradition aristotélico-averroïste en créant une chaire pour l’enseignement d’Aristote directement à partir du grec. Son premier titulaire est Niccolò Leonico Tomeo. L’évêché de Padoue joue la restauration de l’Aristote grec contre l’averroïsme.

Cependant, la censure la plus célèbre de l’averroïsme vient de la curie pontificale, du pape Léon X (Bianchi 2008b, p. 119-155), et elle s’inscrit dans une optique intellectuelle thomiste. Elle est décidée dans le contexte du cinquième concile du Latran, le 19 décembre 1513. La constitution Apostolici regiminis détermine d’une part l’orthodoxie regardant la question de l’âme et de l’intellect humains : l’âme intellective de l’homme est la forme du corps, substantiellement liée au corps, elle est immortelle et elle est multipliée en autant d’individus humains qui existent. D’autre part, la bulle condamne les interprétations averroïste et alexandrinienne, qui sont juxtaposées sans distinction (« nous condamnons et réprouvons ceux qui affirment que l’âme intellective est mortelle, ou bien unique pour tous les hommes » « damnamus et reprobamus omnes asserentes animam intellectivam mortalem esse, aut unicam in cunctis hominibus » in Bianchi 2008b, p. 120n).

La question de l’âme intellective fut aussi un point de cristallisation dans le troisième type d’oppositions fortes à l’averroïsme qu’a connu la Renaissance : la critique des humanistes platoniciens. Sous la plume des platoniciens, l’averroïsme incarne non seulement un habitus scolastique désuet et stérile, mais aussi une domination indue d’Aristote sur le champ philosophique. Le troisième type d’anti-averroïsme, dont le premier héros fut Marsile Ficin, est en effet motivé par d’autres intérêts que l’anti-averroïsme scotiste et l’anti-averroïsme de l’institution ecclésiastique. L’enjeu est désormais la restauration de Platon comme prince des philosophes. La cible de Ficin est l’aristotélisme scolaire, en bloc, plutôt qu’Averroès. Dans le prologue de sa traduction des Ennéades de Plotin, Ficin déplore en effet que la terre presque entière soit occupées par les aristotéliciens, qui se divisent en deux sectes : les alexandrins, matérialistes, affirmant que notre intellect est mortel, et les averroïstes, qui défendent la thèse de l’unicité de l’intellect (« Totus enim ferme terrarum orbis a Peripateticis occupatus in duas plurimum sectas divisus est. Alexandrina et Averroica […] », Prooemium, in Plotini Operum philosophicorum omnium cum Latina Marsilii Ficini interpretatione et commentatione, Basileae, Ad perenam Lecythum, 1580, 5v). La restauration de Platon et de Plotin passe par l’affirmation de leur plus grande compatibilité avec la foi chrétienne : alors que les différentes formes d’aristotélisme induisent un déterminisme et, de fait, une limitation de la puissance divine, la philosophie platonicienne participe de la même conception du divin que le christianisme. La critique de l’aristotélisme scolaire et de l’averroïsme coïncide dans cette optique avec une critique d’Aristote lui-même. Une cohérence entre la lecture averroïste d’Aristote et Aristote lui-même est présupposée dans la critique de la philosophie aristotélicienne par les platoniciens. Un siècle après Ficin, Francesco Patrizzi développe l’une des critiques les plus directes et systématiques de l’aristotélisme pour imposer la voie platonicienne. Ses Discussiones peripateticae (Venise 1571, puis Bâle 1581) dévaluent la pensée aristotélicienne : Averroès s’est trompé lorsqu’il a vu en Aristote l’inventeur des sciences ; Aristote n’a fait qu’emprunter à ses prédécesseurs (Vasoli 1989). Patrizzi reproche à Aristote un manque d’inventivité dont fut accusé Averroès au XIVe siècle. L’anti-averroïsme des humanistes platoniciens fut d’abord un anti-aristotélisme anhistorique, qui entendait aussi se démarquer de la pratique scolastique contemporaine, alors que l’anti-averroïsme scolaire ou ecclésiastique visait plus spécifiquement certaines lectures contemporaines du palimpseste théorique superposant Averroès à Aristote et certaines interprétations scolastiques d’Averroès à Averroès.

 Représentations modernes de l’averroïsme

En sus de ses formes institutionnelles avérées et des productions littéraires reconnues ou soupçonnées d’averroïsme au moyen âge et à la Renaissance, l’averroïsme a pris des formes diverses dans la littérature philosophique et historique à l’âge moderne. Comme représentations littéraires, l’averroïsme a incarné des figures et des positions idéologiques, réelles ou fantasmées, très variées. Un lieu commun historiographique, repris et propagé par Renan, veut que l’averroïsme historique se soit éteint vers 1630 à Padoue (cf. partie 1). L’averroïsme continue cependant de hanter l’histoire de la culture européenne ; Luther, Spinoza et Kant seront successivement affiliés à l’averroïsme. Ce parcours dans l’histoire de l’« averroïsme », de ses formes assumées ou des imputations d’averroïsme faites à autrui, s’achève sur une esquisse partielle et suggestive, non exhaustive, des figures idéologiques contrastées qu’a pu incarner l’averroïsme dans la philosophie et surtout l’histoire de la philosophie moderne.

Luthéranisme

Accolé à Luther et au luthéranisme, l’averroïsme fut retourné sur son autre face au XVIIe siècle : sur sa face théologique. Luther, qui haïssait la philosophie (Büttgen 2011), l’assimilant à la Sorbonne et à ses pratiques scientifiques, a notamment été décrit comme averroïste par Pierre Bayle dans l’article « Luther » de son Dictionnaire historique et critique (Bianchi 2008b, p. 24 ss). L’averroïsme imputé à Luther par Bayle n’est cependant pas l’averroïsme psychologique des écoles du nord de l’Italie au XIVe siècle et à la Renaissance. L’averroïsme de Luther va paradoxalement de pair avec sa haine d’Aristote et de la philosophie scolastique. Luther incarne le mythe tenace de la double vérité chez Pierre Bayle. En se démarquant résolument et violemment des pratiques théologiques de la Sorbonne parce qu’elles étaient teintées de philosophie, en affirmant l’étanchéité totale des sphères philosophique et théologique, Luther aurait adopté une attitude averroïste, non pas pour prémunir la philosophie d’incursions théologiques indues mais, au contraire, pour libérer la théologie de son carcan scolastique, c’est-à-dire de la philosophie.

Leibniz déjà rapprochait l’attitude des philosophes italiens et des théologiens luthériens (De religione magnorum virorum, 1999, p. 2459). Il mentionnait notamment la Disputatio pro duplici veritate Lutheri publiée par le théologien luthérien Daniel Hoffmann en 1600 à Marburg. Sous le titre explicite de « double vérité », Hoffmann défendait l’idée d’une contradiction entre philosophie rationnelle et théologie révélée, qui impose des voies absolument distinctes dans l’un et l’autre domaine. Hoffmann pouvait s’autoriser d’un texte de Luther, la Disputatio theologica an haec propositio sit vera in Philosophia : Verbum caro factum est, une question disputée à l’Université de Wittenberg en 1539, dans laquelle Luther affirme explicitement que « la même chose n’est pas vraie dans des disciplines différentes » (Luther 1932, p. 34). Ce qui est vrai absolument en théologie – l’incarnation – est une absurdité et une aberration philosophique. L’averroïsme luthérien de Leibniz et de Bayle représente pourtant exactement le contraire de l’averroïsme de Renan ; la double vérité de Luther et d’Hoffmann remplit une fonction anticatholique certes, mais ses buts stratégiques servent une cause nouvelle. L’averroïsme, son exigence de distinction de différents ordres de vérités se met paradoxalement au service d’une réforme religieuse, d’une tentative d’autonomisation du théologique par rapport au philosophique. C’est le monde de Renan à l’envers.

Impiété et athéisme

L’article « Averroes » du Dictionnaire historique et critique de Bayle (1702, p. 414-421) est représentatif d’une seconde figure de l’averroïsme moderne, opposée à la première qui était luthérienne et orientée vers des fins religieuses : l’averroïsme comme figure de l’impiété. Le propos de Bayle est caractérisé par une duplicité typique de l’auteur. Averroès est présenté comme le porte-drapeau de l’impiété, qui défend des thèses contraires à l’« orthodoxie chrétienne » (p. 415), notamment la thèse de l’unicité de l’intellect, opinion « impie et absurde » (p. 416 (a)). Averroès a méprisé les trois religions monothéistes ; selon certains historiens, il aurait fourni les matériaux du « livre » des Trois imposteurs. Il a affirmé que le monde est éternel et a nié la providence divine en affirmant que Dieu ne connaît pas les singuliers. Bayle réitère ainsi un portrait d’Averroès impie répandu à la fin du XVIIe siècle ; on le découvre par exemple chez Leibniz, chez l’encyclopédiste Louis Moréri dans son Dictionnaire historique ou encore dans le Polyhistor de l’historien éclectique allemand Daniel Georg Morhof (Piaia 2013, p. 246). Cependant, Bayle souligne la proximité d’Averroès et d’Aristote, qui a trouvé en celui-là un fidèle interprète ; il montre la cohérence des explications d’Aristote par Averroès. Bayle hésite stratégiquement : entre admiration et lieu commun historiographique.

Au début du XVIIIe siècle, l’impiété d’Averroès est un motif courant de la lutte organisée contre l’athéisme. Dans ses Theses theologicae de atheismo et superstitione (1716), Johann Franz Buddeus, le plus célèbre historien de l’Allemagne protestante autour de 1700, l’un des précurseurs de l’histoire critique de la philosophie, accuse Averroès d’athéisme (Sgarbi 2013, p. 259-260 ; Coccia 2005, p. 24-25). Johann Joachim Lange, qui fut son élève à l’Université de Halle, reprend la critique en l’accentuant et la développant dans sa Causa Dei et religionis naturalis adversus atheismus (Sgarbi 2013, p. 260). Jacob Brucker, le père de l´histoire de la philosophie moderne, pérennise ce portrait d’Averroès. Dans le quatrième tome de son Historia Critica Philosophiae, publié pour la première fois en 1744, l’historien protestant cite en long le texte de la bulle de Léon X (cf. partie 7 supra) et insiste sur la qualification d’impiété (Brucker 1766, t. 4, p. 63). Dans ces entreprises protestantes, l’averroïsme représente en effet l’une des figures les plus contraires qui soient à la piété chrétienne protestante. Une curieuse alliance objective, partielle et superficielle, s’instaure entre historiographie protestante et politique ecclésiale catholique, contre un Averroès porte-drapeau de l’impiété et de l’athéisme.

Scolastique

Dans les contextes protestants, l’histoire de la philosophie hollandaise et allemande des XVIIe et XVIIIe siècles procèdent cependant à une lecture globale de l’histoire de la philosophie médiévale qui rend caduque cet accord de surface avec les censures catholiques de l’averroïsme. Les historiens protestants associent en effet averroïsme et scolastique médiévale, rapprochant ainsi l’averroïsme de sa grande ennemie historique, la théologie catholique du moyen âge. L’histoire critique de la philosophie, la distance qu’elle instaure avec le passé, a en effet perçu des parentés qu’une approche doctrinale anhistorique jugeait absurdes et que l’historiographie catholique s’efforcera d’invalider (par exemple Forget 1894).

Dans son Historia philosophica de 1655 Georg Horn trace une ligne continue d’Averroès à la scolastique médiévale et de celle-ci à l’averroïsme italien de la Renaissance. Johann Gerhard Vossius (De philosophia et philosophorum sectis libri duo, 1657-1658) mentionne aussi cette dangereuse translatio studiorum (Paiai 2013). Au début du XVIIIe siècle, Friedrich Gentzken prolonge cette tradition en insistant sur l’imprégnation arabe du moyen âge latin (Gentzken 1724, p. 138 ss). Il faudra attendre le tournant du siècle suivant pour que l’importance de cet héritage soit sérieusement contestée et débattue, notamment par l’historien de Göttingen Arnold Hermann Ludwig Heeren, dans sa Geschichte des Studiums der klassischen Literatur (1797).

Chez Gentzken, la scolastique latine, la philosophie et la théologie universitaires des XIIIe et XIVe siècles, reçoit des Arabes non seulement un corpus de textes aristotéliciens, mais aussi un ensemble de pratiques scientifiques. Gentzken décrit très négativement cet habitus comme mélange et confusion de la théologie et de la philosophie : un « chaos » (Gentzken 1724, p. 141). Nulle « double vérité » averroïste chez Gentzken, mais plutôt un mélange des genres philosophique et théologique, en bonne part imputable à l’influence de la philosophie arabe.

L’un des principaux fondateurs de l’histoire philosophique ou « critique » de la philosophie, l’historien luthérien Jacob Brucker développe la thématique à l’envi. Elle devient le levier principal de sa critique de la théologie catholique. S’autorisant des travaux de l’orientaliste Edward Pococke, Brucker requalifie la notion de scolastique ; elle englobe chez lui la philosophie arabe médiévale et la scolastique latine. La scolastique des musulmans (« Muhammedanorum scholastica ») ressemble à la théologie des scolastiques (« scholasticorum theologia ») comme un œuf à un autre œuf (« ut ovum ovo »), si bien qu’il faut leur attribuer des géniteurs communs (Brucker 1766, t. 3, p. 59). La caractéristique de cet habitus intellectuel (de la « methodus Arabico-Scholastica », p. 704) et des doctrines qu’il produit, outre une très grande confusion et fausseté, est le mélange indu de la théologie et de la philosophie naturelle, mixture qui est orchestrée en monde latin par la curie pontificale. L’Aristote arabisé et le pape règnent conjointement sur l’ensemble du champ intellectuel médiéval (p. 703-717). Or l’averroïsme figure comme une pièce centrale de ce dispositif, dans la mesure où Averroès détermine la réception d’Aristote par les scolastiques latins. En 1814 Tennemann, dont l’histoire de la philosophie remplacera celle de Brucker comme référence du genre, réitère le même jugement : d’une part Aristote règne en dictateur sur la pensée médiévale ; d’autre part l’accord d’Aristote et du dogme chrétien était presque devenu, au XIVe siècle, un article de foi incontestable (Tennemann 1814, p. 12 : « Die Harmonie des Aristoteles und der kirchlichen Dogmatik wurde beinahe als ein Glaubensartikel betrachtet, der so wenig als ein anderes Dogma ohne Zensuren der Kirche bezweifelt oder bestritten werden konnte. »). Gregorio Piaia (2013) a mis en exergue le même type de jugement relatif à la parenté délétère entre averroïsme et scolastique chez les philosophes, notamment chez Francis Bacon, Leibniz, Malebranche et Montesquieu.

Le motif de la contamination de la pensée scolastique latine par Averroès est un motif récurrent de l’historiographie philosophique jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. En France, on en lit une occurrence très claire chez l’historien libertin André-François Boureau-Deslandes qui focalise son attention sur Thomas d’Aquin et affirme que celui-ci emprunte sa méthode aux Arabes (Boureau-Deslandes 1742, p. 282-283). Dans l’historiographie allemande et française, l’averroïsme représente la méthode et souvent la corruption de la pensée médiévale jusqu’au début du XIXe siècle lorsque, dans la mouvance des nationalismes, se mettront en place d’autres stratégies de lecture du passé pour revaloriser le moyen âge latin et l’enraciner dans une culture européenne d’origine grecque, le purifier parfois de contaminations dangereuses venues du monde arabe (König-Pralong 2012). Même lorsque l’averroïsme sera en partie revalorisé, comme chez Renan, il incarnera dès lors plutôt l’arabisme, une figure hétérogène ou étrangère à la culture latine ou « européenne ».

Aufklärung

Cependant, sur ce point aussi le tableau doit être nuancé. Une autre figure encore d’Averroès et de l’averroïsme émerge dans l’historiographie rationaliste postkantienne au XIXe siècle : l’Averroès comme précurseur des Lumières et l’averroïsme comme annonce de l’Aufklärung au cœur du moyen âge. Cette représentation de l’averroïsme aura elle aussi une histoire longue, qui se prolonge jusque dans l’historiographie philosophique la plus récente (par exemple chez Flasch, Jeck 1997).

En 1795, l’historien lockéen Dietrich Tiedemann prend position sur un débat du temps. Il affirme que l’opinion commune (« die gemeine Meinung ») selon laquelle les Arabes ont préparé l’Aufklärung moderne n’est pas si fausse que ne l’a affirmé le philosophe de Göttingen Christoph Meiners (Tiedemann 1795, p. 367). Tiedemann adopte pourtant le jugement critique de Brucker concernant les désavantages (« Nachteile ») causés par la translatio arabe de la philosophie grecque, notamment le mélange des genres théologique et philosophique et un Aristote rendu incompréhensible par de mauvaises traductions. Tiedemann concède cependant un avantage à la méthode introduite par les Arabes : l’examen critique, la méthode dialectique consistant à tester et discuter une thèse au moyen d’objections, est un premier pas vers les Lumières modernes. En 1800, Johann Gottlieb Buhle, professeur de philosophie à Göttingen, décrit l’aristotélisme médiéval comme une aube rationaliste (« das erste Licht wissenschaftlicher Aufklärung », Buhle 1800, p. 244).

Deux générations plus tard, dans sa grande histoire de la logique, Carl Prantl étend et généralise le jugement. Les XIIIe et XIVe siècles philosophiques, tout occupés à étudier Aristote, représentent un apprentissage et une discipline de l’esprit, qui l’a heureusement prémuni des ardeurs mystiques indues qu’aurait pu causer la découverte de Platon à la Renaissance. Prantl salue l’acculturation médiévale de la philosophie aristotélicienne et arabe comme un progrès (Prantl 1867, p. 2). Il invalide sciemment le jugement de générations d’historiens concernant l’influence délétère des Arabes. Son évaluation positive de l’aristotélisme arabe est moins ambigüe que celle de Renan en 1852 (cf. partie 1), même si, chez lui, Averroès ne se distingue pas clairement d’un aristotélisme arabe un peu flou.

Panthéisme mystique

Alors que Prantl voit en l’Aristote arabe un vaccin contre le mysticisme, une longue tradition historiographique allemande a associé l’averroïsme à une forme de mysticisme panthéiste et moniste. En 1702, dans ses Analecta historiae philosophicae, Johann Franz Buddeus fait un pas dans cette direction en décrivant l’averroïsme comme une forme de spinozisme : l’unique intellect agent d’Averroès est une préfiguration de la substance spinoziste (cf. Sgarbi 2013, p. 260). Dans ses Essais de théodicée (1710), Leibniz critique Spinoza en l’affiliant lui aussi à la tradition averroïste, qui ne reconnaît qu’une seule substance pensante, faisant des individus de simples accidents ou modifications de cette substance. Selon Leibniz, le bouddhisme, qui annihile l’individu, va plus loin encore dans cette direction (cf. Sgarbi 2013, p. 261-262). En 1744, l’historien de la philosophie Brucker reprend le flambeau. Il décrit la lecture d’Aristote par Averroès comme mystique et enthousiaste (Brucker 1766, p. 104-105). En particulier la thèse de l’unicité de l’intellect est regardée comme une interprétation mystique de la psychologie aristotélicienne : la félicité mentale acquise par la conjonction à l’intellect agent, dans la pensée en acte, est ensuite associée au spinozisme, c’est-à-dire à la thèse d’un intellect universel excluant que la pensée, universelle par définition, puisse relever de l’individu en tant que tel (p. 112). Le rapprochement entre averroïsme psychologique (thèse de l’unicité de l’intellect) et monisme spinoziste devient un lieu commun de l’historiographie philosophique. Buhle (1800, p. 260), par exemple, reproduit le motif comme une forme de lieu commun ; apparentés, le spinozisme et l’averroïsme postulent, sur le plan théologique, un panthéisme moniste : tout est Dieu et Dieu est un.

Marco Sgarbi (2013) a étudié une autre forme d’assimilation de l’averroïsme à une pensée moderne : dès la fin du XVIIIe siècle, le transcendantalisme kantien a été regardé comme une possible forme d’averroïsme. Cette interprétation de Kant, qui trouve encore des défenseurs aujourd’hui (e.g. Rosemann 1999), concerne à la fois la psychologie – la théorie du sujet transcendantal – et la morale kantienne, dans laquelle Herder déjà percevait des traces d’averroïsme.

À l’âge moderne, l’averroïsme, souvent résumé à l’une des thèses du canon averroïste établi par les censures médiévales d’Aristote et de son interprétation par Averroès, incarne une grande variété de positions idéologiques entre elles contradictoires : la pieuse autonomisation luthérienne de la théologie révélée, l’impiété et l’athéisme, l’habitus scolastique consistant à mêler philosophie et théologie, l’Aufklärung et les Lumières rationalistes, le kantisme, le bouddhisme et le spinozisme. La question de la légitimité de ces rapprochements est beaucoup moins intéressante que celle de sa raison. Certes, Averroès – l’Averroès latin du moins – peut être regardé comme le concepteur d’une théorie de l’intellect qui en affirme l’unicité et comme le défenseur d’une pratique des sciences faisant abstraction des réquisits théologiques. La question la plus intéressante regarde cependant le phénomène de la qualification : Luther, Kant, Spinoza, Bayle, Voltaire, ou quelque prélat catholique que ce soit ne se sont jamais qualifiés d’averroïstes ou affiliés à l’averroïsme. Pour trouver un aveu d’averroïsme, il faut remonter au début du XVIe siècle, avec Pomponazzi, lorsque l’averroïsme représentait une voie institutionnalisée et une pratique spécialisée. Hors de ce contexte précis, historiquement daté, on est toujours l’averroïste d’un autre, ou plutôt : une position est averroïste dans la mesure où elle incarne une forme étrange ou contestée d’altérité.

CATHERINE KÖNIG-PRALONG

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Pour citer :
Catherine König-Pralong, « Averroïsme latin », in Houari Touati (éd.), Encyclopédie de l’humanisme méditerranéen, printemps 2014, URL =http://www.encyclopedie-humanisme.com/?AVERROISME-LATIN-33&var_mode=calcul