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Philologie gréco-latine

 Généralité

Philologie : aspects épistémologiques, facteurs socio-culturels, limites de la documentation
Le cadre actuel de la théorie et des pratiques philologiques est complexe : une « crise de la philologie » a été évoquée (Fleischman 1990, p. 19) et la nécessité d’apporter des éléments en faveur de son caractère scientifique est de plus en plus ressentie (De Lacombe 2008). D’ailleurs, un débat de longue durée concerne la légitimité et l’efficacité des méthodes de la discipline (la stemmatique notamment : cf. infra) et le recours à des systèmes d’enquête typiques des sciences ‘exactes’ – comme la statistique (Macé - Schmidt - Weiler 2001), la génétique (Markowetz - Zipser 2013) et la phylogénétique (Macé - Baret - Bozzi 2006) – a été expérimenté. En outre, un aperçu concernant la philologie dans l’espace méditerranéen comporte des problèmes supplémentaires, qui exigent des réflexions préliminaires de nature épistémologique et lexicale : l’identification courante entre philologie et critique textuelle (c’est-à-dire l’ensemble des techniques visant à la reconstitution d’un texte originaire à partir des témoins conservés) n’est qu’un phénomène récent, qui découle des réflexions menées, au fil du temps, au sein des civilisations qui ont peuplé l’espace méditerranéen. En effet, depuis l’Antiquité, plusieurs concepts différents ont été indiqués au moyen du terme philologia et de ses équivalents dans les langues sémitiques : un cadre global de ces acceptions et des pratiques correspondantes, cadre que l’on ne pourra qu’esquisser dans ce contexte, doit donc se fonder sur la juxtaposition problématique de phénomènes en partie différents. Et cela dans une optique comparatiste, sur le plan historique – en mettant en valeur les phénomènes de comparaison linguistique qui ont eu lieu, par exemple, entre les mondes juif, arabe, syriaque, ainsi que les processus d’imitation – et culturel, en soulignant les analogies, sans ignorer les différences. Dans ce panorama, un autre problème se pose, car la polysémie du terme philologia et de ses équivalents ne concerne pas seulement des civilisations différentes, mais elle est active aussi à l’intérieur d’une même civilisation (la gréco-romaine notamment), aussi bien sur le plan diachronique que synchronique. Dans ce cadre, trois pôles de signification principaux doivent être reconnus : le plus générique et accepté dans l’Antiquité grecque voit dans la philologie un savoir universel, qui ne diffère pas radicalement de la philosophie, dans la mesure où philologia est souvent utilisé au sens étymologique d’ « amour pour le logos » (par exemple dans le Théétète de Platon : Théét., 146a). Une telle acception générique est attestée, entre autres, dans les ouvrages d’Héraclite, de Protagoras, des sophistes et d’Isocrate, mais elle existe aussi dans le monde romain, où par exemple Vitruve (v. 90 a. J.-C. - v. 20 a. J.-C) associe les philologi aux philosophes (graecorum sapientibus : IX, praef., 17, cf. Vesperini, p. 154, n. 171 et p. 142 n. 52), et Cicéron affirme qu’il est un philologus en tant qu’expert de philosophia (ad Quint. fr., II, 8 [111], 3 : Ita philologi sumus ut vel cum fabris habitare possimus. Habemus hanc philosophiam non ab Hymeto sed ab acra Axyra). Un deuxième pôle sémantique, qui semble d’être constitué dès l’époque alexandrine et qui est amplement admis aujourd’hui (cf. supra), voit dans la philologie une « discipline spéciale », caractérisée par des méthodes et des fins propres, soit des recherches particulières visant à la reconstruction de textes originaires, altérés par les vicissitudes de leur transmission. D’un point de vue historique, cette signification technique du mot philologia constitue une rupture par rapport à son acception générique, plus ancienne. Un moment symbolique de cette rupture, c’est le refus par Eratosthène (v. 276 a. J.-C. - v. 194 a. J.-C.), nommé directeur de la Bibliothèque d’Alexandrie, d’accepter l’appellation de philosophos, à laquelle il préféra – semble-t-il – celle de philologos (Dihle 1987, p. 658 ; Vesperini, p. 40). La troisième acception, moderne, attribue au terme la valeur d’une connaissance complexe, découlant de la lecture de textes considérés comme des objets historiques dans le cadre d’une civilisation donnée (cf. infra).

La reconstruction de cette fluidité sémantique et épistémologique devient encore plus complexe du fait qu’à partir de l’époque alexandrine, un rapport fonctionnel s’instaure entre la grammaire (téchnè grammatikè) et la philologia, rapport grâce auquel la première est explicitement considérée comme une partie préliminaire de la philologie en tant que discipline technique (Ildefonse 1997, p. 13, 25). Cette connexion, qui caractérise toute l’époque romaine, tardo-antique et, pour une bonne partie, médiévale, ne se dissoudra que partiellement à l’époque moderne, lorsque la fracture entre une Wissenschaftsgeschichte et une philologie textuelle proprement dite deviendra explicite (cf. infra). Ainsi notre aperçu, bien que partiel, se concentrera-t-il particulièrement sur les activités des grammairiens, dans la mesure où elles ont souvent visé à la reconstitution de la forme originaire des textes.

Il est encore nécessaire de souligner que l’idée ‘continuiste’, d’un mouvement philologique qui, né à Alexandrie et à Pergame, se serait développé à Rome et puis à Byzance, jusqu’au moment où les humanistes italiens en prirent le relais, est évidemment une simplification : parce que, d’un côté, des pratiques philologiques ante litteram semblent attestées à l’époque pré-alexandrine (cf. infra) ; que, d’autre part, il est difficile d’établir une véritable continuité entre les activités ecdotiques menées dans l’Antiquité et celle de l’époque médiévale et moderne ; et que finalement il faut tenir compte de l’existence, au sein d’autres civilisations méditerranéennes, de pratiques et de théorisations complexes, qui apparaissent, du moins à l’origine, tout à fait autonomes par rapport à celles qui sont propres aux mondes gréco-romain et byzantin.

Enfin, les sources : comme tout discours historique lié à des disciplines ayant trait à la transmission écrite du savoir, un problème de documentation se pose, notamment pour la période la plus ancienne, car nos sources sont constituées essentiellement de papyri provenant en général d’une seule région (l’Égypte) et, plus précisément, de parties périphériques de celle-ci.

 Antiquité

Époques archaïque et classique : une philologie homérique en Grèce ?
Le développement d’une pratique philologique conçue comme activité d’intervention sur un texte comporte la conscience du fait que celui-ci a été assujetti à une transmission qui en a causé des altérations progressives l’éloignant de son état originaire. Cette conscience semble s’être manifestée, dans le monde grec, dès qu’il fut possible de confronter des exemplaires différents d’un même ouvrage. Ainsi, les évolutions les plus remarquables dans l’histoire de la philologie au sens strict coïncident avec la mise en place de grandes concentrations de livres. Cette constatation impose une prudence a priori dans l’évaluation des sources mentionnant la mise en place d’ekdoseis. Ce terme (du grec ek-didomi), que l’on traduit généralement par ‘édition’ (un mot qui évoque, dans la terminologie philologique moderne, le processus critique de la constitutio textus : cf. infra), indique en réalité, d’une manière exclusive jusqu’à Aristote et souvent après lui, la simple transcription d’un ouvrage sur un support, en vue d’une certaine diffusion. En ce sens, l’entreprise attribuée à Pisistrate, concernant la mise par écrit des textes homériques par une commission de quatre savants, au VIe siècle avant J.-C. (Cic., De orat., 3.197), n’avait rien de philologique au sens strict du terme, et l’ekdosis d’Homère préparée, suivant une scholie, par Antimaque de Colophon vers le Ve siècle avant J.-C. ne constituait qu’une mise par écrit des poèmes (Pagani - Perrone 2012, p. 101 ; mais cf. Pfeiffer 1968, p. 94 et s.). Il n’est d’ailleurs pas surprenant que, dans le monde grec classique et post-classique, l’œuvre homérique ait été l’objet privilégié des attentions des savants (Pfeiffer 1968, p. 3 et s.) : attentions qui ont pris progressivement des formes de plus en plus ‘critiques’ et techniques. Le fait qu’Aristote ait réalisé une édition savante de l’Iliade pour Alexandre le Grand (qui semble confirmé par un traité perdu de lui intitulé Problèmes homériques) a été jugé douteux (Pfeiffer 1968, p. 67 et s.). Toutefois, c’est bien dans le cadre des activités des péripatéticiens que l’analyse textuelle semble avoir connu un développement technique, sans aucun doute lié à la création, au Lycée, d’une bibliothèque d’envergure (Strabon 13.1.54). À la même époque, d’autres essais de sauvegarde du patrimoine textuel des périodes précédentes semblent avoir été effectués : l’orateur athénien Lycurgue fit établir une version officielle des textes d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide, « pour en conserver aux archives la copie, dont le secrétaire de la cité devait donner lecture aux acteurs, avec défense d’en modifier le texte à la représentation » (Ps.-Plutarque, Lyc., 841 et s. : cf. Azoulay 2009). Cette opération se situait dans le cadre d’une démarche politique anti-macédonienne et elle donna origine à des ekdoseis qui, semble-t-il, rentrèrent par la suite dans la bibliothèque d’Alexandrie (Pfeiffer 1968, p. 82).

Alexandrie et Pergame : la philologie entre culture et politique de puissance
La fondation du Musée d’Alexandrie, au IIIe siècle av. J.-C., donna lieu à une révolution quantitative et qualitative dans les pratiques d’approche des textes, et destinée à changer le cadre épistémologique et lexical de la philologia. En effet, c’est justement à Alexandrie que celle-ci semble s’être structurée en tant que véritable discipline technique, grâce à une série de processus dépendant, indirectement, de la nouvelle configuration géopolitique de la Méditerranée orientale. Le partage de l’empire d’Alexandre entre ses généraux et la création de royaumes concurrents détermina en effet la naissance d’une politique de puissance qui n’ignora pas les aspects culturels. L’organisation du Musée ne comportait pas d’activités d’enseignement, mais des savants salariés y étaient hébergés (cf. Timon de Phlius, Sat. ; Athenaeus 1.22d). Ils avaient à leur disposition une énorme bibliothèque (Canfora 1991) : instituée vers 280 av. J.-C. par Ptolémée II Philadelphe (309/308 -246 av. J.-C. : cf. Pfeiffer 1968, p. 96 et s), elle avait été conçue par Ptolémée I (v. 368/366-283 av. J.-C.) sous l’inspiration de Démétrius de Phalère (v. 360-282 av. J.-C.). Celui-ci, passé en Égypte après avoir été l’élève, à Athènes, d’Aristote et de Théophraste (v. 371-287 av. J.-C.), modela la bibliothèque d’Alexandrie sur celle du Lycée (Diog. Laert. 4.1 et 5.51). Il demeure difficile d’évaluer le nombre effectif de manuscrits conservés dans la bibliothèque au moment de son apogée, car les chiffres des sources (deux-cent milles volumes selon Euseb., Praep. Evang. 350b ; quatre-cent-quatre-vint-dix milles volumes selon Tzetzes, Prol. de Cons. : cf., en général, Canfora 1991) pourraient avoir été l’objet de manipulations dès l’origine, ainsi que de déformations postérieures, liées parfois à la numérologie chrétienne. Ce qui est certain, c’est qu’une politique volontariste de recherche et d’acquisition de fonds livresques fut menée dans un périmètre allant bien au-delà du bassin de la Méditerranée (Galen. 17 (I) 607,15.105). La conséquence en fut, entre autres, que plusieurs copies des mêmes textes confluèrent dans ce lieu : des scholies témoignent par exemple qu’il y avait des manuscrits homériques provenant de Massilia, d’Argos et de Synopes (Reynolds-Wilson 1991, p. 10). En outre, l’organisation des différents fonds fut menée systématiquement, comportant des recherches spécifiques (qu’on considère les Pinakes de Callimaque de Cyrène [305-240 av. J.-C. : cf. Pfeiffer 1968, p. 123 et s.], dont le titre complet est Tables de ceux qui se sont illustrés dans chaque branche du savoir et de leurs écrits : Πίνακες τῶν ἐν πάσῃ παιδείᾳ διαλαμψάντων, καὶ ὧν συνέγραψαν). Cette organisation minutieuse supposait des activités de confrontation et d’analyse comparée des différents témoins d’un même texte, notamment d’Homère. Cela conduisit à remarquer des divergences et à introduire une praxis philologique au sens strict, fondée sur une série d’outils spécifiques : le plus remarquable fut sans doute un système complexe de signes, dont le commencement est à attribuer au premier bibliothécaire alexandrin, Zénodote d’Éphèse (320–240 av. J.-C.). Élève de Philitas de Coos (qui fut aussi le maître de Ptolémée II : Pfeiffer 1968, p. 92) et auteur d’un traité intitulé Diórthôsis (littéralement : Correction), il prépara une véritable édition homérique, dans les marges de laquelle il apposa, à ce qu’il semble, des obéloi (cf. infra), pour indiquer les vers dont la paternité lui semblait douteuse (Pfeiffer 1968, p. 98 et s.). Il paraît possible de parler d’un véritable système de signes seulement à partir de son successeur Aristophane de Byzance (v. 257- v. 180 av. J. C. : cf. Pfeiffer 1968, p. 171 et s.), qui né à Byzance et élève, dans la ville, de Zénodote et de Callimaque de Cyrène, introduisit, dans son édition, l’astériskos, le sigma et l’antisigma, ainsi qu’une combinaison d’astériskos et obélos (cf. infra). Enfin, un autre bibliothécaire, Aristarque de Samotrace (v. 220-143 av. J.-C. : Pfeiffer 1968, p. 210 et s.), ajouta la diplè et la diplè periéstigménè (cf. infra), mais dans un cadre philologique plus complexe : à la différence de ses prédécesseurs, qui semblent n’avoir préparé que des éditions des textes homériques, il écrivit aussi un traité (hypomnèma), dont les différentes parties étaient raccordées aux vers de son édition justement au moyen de signes diacritiques : la fonction de ceux-ci devint ainsi plus complexe (Erbse 1959 ; Pfeiffer 1968, p. 218-219 ; Schironi 2012, p. 91-93). Parmi les sources les plus importantes sur ces signes, il faut mentionner le Ven. Marc. Gr. 454 de l’Iliade (Venetus A), du Xe siècle, qui en présente dans les marges et dans les interlignes (Schironi 2004), ainsi que le traité De notis préservé dans l’Anecdotum Parisinum du manuscrit BNF, Paris. Lat. 7530 (éd. Keil, GL 7, 533 et s.). Leur plus ancienne attestation directe semble être en revanche contenue dans le PTebt. 1.4 (coll. 4 -5), qui transmet une partie de l’Iliade et semble remonter au IIe s. av. J.-C. (Pack3 632). Dans l’ensemble, le système comportait les signes suivants (cf. Schironi 2012, p. 88 et s.) :

- obélos (pour indiquer des vers jugés inauthentiques et à supprimer)

> diplè (pour indiquer un passage remarquable)

> : diplè periéstigménè (pour indiquer une divergence entre le texte de Zénodote et celui d’Aristarque)

* astériskos (pour indiquer un vers qui est répété ailleurs)

antisigma (pour indiquer un problème dans la succession des vers)

*- astériskos et obélos (pour indiquer un passage interpolé)

À ces signes on ajouta bientôt l’abréviation XP (ou X), dont l’interprétation reste incertaine, mais qui, attestée depuis l’Antiquité, semble parfois avoir une valeur semblable à celle de la diplè (Chryssostalis 2012, p. 225). L’activité philologique des Alexandrins ne semble pas avoir comporté une sélection des variantes attestées par les différentes copies : elle visait plutôt à indiquer aux lecteurs l’existence d’un problème textuel reconnu comme tel par les éditeurs. Il s’agit en d’autres mots plutôt d’une sorte de commentaire critique que d’une édition au sens moderne (Chryssostalis 2012, p. 224). La résonance de telles opérations et la diffusion de ce système (parfois avec des adaptations, comportant une remarquable polysémie de certaines signes : cf. Mc Namee 1992, p. 11 et 25 et Nocchi Macedo 2011) sont attestées par plusieurs sources. Nous savons par exemple que Marcus Valerius Probus (v. 20-105) utilisa les signes alexandrins dans ses éditions de Virgile, Lucrèce et Horace (GL VII, 534, 5-6 : cf. Schironi 2012, p. 87). D’ailleurs les critiques dont les Alexandrins furent l’objet dans les siècles suivants sont très éloquentes. Lucien de Samosate (v. 120-post 180), dans son ouvrage Histoires vraies (II.20.11), met en scène un dialogue avec l’âme d’Homère : interrogé au sujet des vers athétouménoi (exponctués : ἔτι δὲ καὶ περὶ τῶν ἀθετουμένων στίχων ἐπηρώτων), le poète répond qu’ils étaient originaux. Lucien conclut le passage en accusant la grande pédanterie (πολλὴν τὴν ψυχρολογίαν) des grammairiens Zénodote et Aristarque. Ce dernier mérite d’être rappelé aussi pour l’énonciation du principe « éclairer Homère par Homère » (Ὅμηρον ἐξ Ὁμήρου σαφηνίζειν), formule qui lui est attribuée par Porphyre et qui, appliquée dans une stricte logique textuelle, anticipe la pratique moderne de l’usus scribendi (cf. infra). Aristarque a aussi une importance particulière dans le parcours vers la définition des rapports épistémologiques entre la grammaire et la philologie en tant que discipline spécifique : il a le premier – paraît-il – fait mention d’un meros téchnikon, c’est-à-dire d’une partie technique de l’étude textuelle (justement la grammaire), propédeutique à l’activité philologique proprement dite (Ildefonse 1997, p. 23). Les stratégies de ‘protection’ textuelle mises en œuvre par ces savants ne furent pas les seules qu’on employa à Alexandrie : le maître d’Aristarque, Aristophane (cf. supra), s’était consacré à l’étude de la colométrie des passages lyriques dans les tragédies et à la standardisation des signes alexandrins.

Pendant que la grammaire se développait à Alexandrie comme propédeutique à l’activité philologico-textuelle proprement dite, une pratique et une acception différentes des deux disciplines semblent s’être développées à Pergame. Dans le plus petit des royaumes hellénistiques, la Troade dominée par les Attalides, Eumène II (197-159 av. J. C.) avait fondé une bibliothèque qu’Attalus III a, en 133 av. J. C., légué par testament aux Romains. Selon la vision traditionnelle, à une philologie proprement textuelle développée à Alexandrie, il faudrait opposer une herméneutique, typique de Pergame, consacrée à l’interprétation de la signification profonde des mots d’un point de vue symbolique et allégorique. En réalité, les deux expériences furent caractérisées par une forte proximité : la philologie de Pergame n’excluait pas la mise en place d’éditions et d’études textuelles en clé ecdotique. Et si la grammaire conçue comme étude sémantique et logique (développée à Pergame) semble dériver plutôt de la réflexion stoïcienne, alors qu’à Alexandrie s’était imposé le modèle aristotélicien (plutôt normatif et descriptif : Ildefonse 1997, p. 31), des études textuelles approfondies eurent lieu aussi à Pergame, par exemple grâce au stoïcien Cratès de Mallos (v. 200-140 av. J. C.), qui, ayant accepté l’invitation d’Eumène, fonda la tradition des études pergaméniennes (Pfeiffer 1968, p. 235). Tout en se définissant comme kritikos pour se distinguer des grammatikoi, il a laissé des emendationes à Homère, dans le cadre d’une série d’études sur les ouvrages de celui-ci. Les deux mondes d’Alexandrie et Pergame jouaient en somme sur le même terrain en concurrence (Pfeiffer 1968, p. 237) : ce n’est pas le fruit du hasard si, au IIIe siècle, Athénée – un Égyptien né à Naucratis qui, avant d’exercer son activité intellectuelle à Rome, s’était formé à Alexandrie – discrédita Cratès, disant qu’il s’était approprié les interprétations critiques de la poétesse Moïro concernant le texte d’Homère (Athen., 11.80.4).

L’anecdote transmise par Suétone (De gramm. et rhet., 2), selon laquelle Cratès, s’étant brisé une jambe pendant une ambassade à Rome, en 168 av. J. Ch., y aurait tenu des conférences sur Lucilius et Accius, constitue le fondement de l’opinion courante, qui fait dépendre la philologie romaine de celle de Pergame, en rupture avec celle d’Alexandrie. La situation est plus complexe.

Rome à l’époque de la République : influences alexandrine et pergaménienne
Un intérêt philologique à Rome semble en effet se développer à partir de cette époque, mais l’influence pergaménienne ne fut pas la seule que subirent les activités textuelles romaines des origines. Lorsque, avant la venue de Cratès, le poète Quintus Ennius (v. 239 av. J.-C. - v. 169 av. J.-C.) se définissait comme un dicti studiosus (Ann., 216 Vahlen² = 209 Skutsch), il traduisait le mot grec philologos, avec une allusion transparente à l’expérience alexandrine (cf. Vesperini, p. 38). Et d’ailleurs, Cicéron et Suétone considéraient L. Aelius Stilo (154-74 av. J.-C.) comme le pionnier des études textuelles à Rome (Brutus 205-7 et De Gramm. 3). Or, l’Anecdotum Parisinum (cf. supra) atteste qu’il fut le premier à utiliser les signes diacritiques alexandrins dans l’Urbs : en effet, à Rhodes, où il avait suivi en exil Quintus Caecilius Metellus le Numidique, Stilo avait probablement rencontré Denys le Thrace (170-90 av. J. Ch. : Pfeiffer 1968, p. 266 et s.), qui, élève à Alexandrie d’Aristarque de Samothrace, s’était réfugié dans cette île en raison de la persécution déclenchée par Ptolémée VIII contre les savants du Mouseion (Bonner 1960, p. 358 : cf. infra). Stilo s’occupa entre autres de l’authenticité des textes attribués à Plaute, ce que fit aussi son gendre, Servius Clodius (ou Claudius : cf. Varron, De lingua latina, 7.66 ; 70 ; 106). De ce même milieu fit partie Marcus Terentius Varron (116-27 av. J.-C.) qui, venu d’Alexandrie à Rome, était entre autres lié à Philoxenus (Pfeiffer 1968, p. 273-274). Outre qu’il s’était préoccupé d’achever le travail de ses prédécesseurs, en fixant le canon des vingt-et-une comédies de Plaute (Canon varronianum), il formula la première définition d’émendation textuelle en langue latine (fr. 236 F : emendatio est […] recorrectio errorum qui per scripturam dictionemue fiunt). Cette triade (Aelius, Servius et Varron) semble avoir travaillé selon des méthodes communes sur des thèmes analogues (Bonner 1960, p. 360). Le fait que Varron ait été aussi l’auteur d’un De bibliothecis perdu, témoigne du développement d’une sensibilité à l’égard de la constitution de bibliothèques en cette période, à Rome. Celles de Lucius Aemilius Paulus, vainqueur à Pydna (168 av. J.-C.) et, plus tard, de Lucullus et de Sylla, auraient été en effet, à ce qu’il semble, des bibliothèques privées constituées de fonds grecs importés en bloc en tant que butin de guerre (Fedeli 2014, p. 176-178). La diffusion de collections de livres organiquement constituées dans une véritable optique culturelle remonte à l’époque comprise entre le Ier siècle av. J.-C. et le Ie siècle ap. J.-C., c’est-à-dire au moment où l’influence grecque se fit prépondérante (Pecere 1990, p. 312 et ss.). On ne saurait oublier, dans ce contexte, les bibliothèques de Catulle et de Cicéron, ni même celles de Brutus et de Quintus (le frère de Cicéron). Certaines bibliothèques privées (celles du fils de Lucullus, Sylla, Faustus et d’Atticus par exemple) s’ouvrirent à la consultation publique et des collections publiques tout court furent crées, telles que celle gérée par Asinius Pollion, ouverte en 39 av. J.-C. La fondation par Auguste, en 28 av. J.-C., d’une bibliothèque dans une aile de sa domus sur le mont Palatin, bibliothèque ouverte au peuple, symbolise ce nouveau climat culturel : responsable en fut nommé le grammaticus Caius Julius Hyginus (67 av. J.-C. - 17 ap. J.-C.). En cela aussi, Rome suivait la tradition alexandrine, car, à cette époque, c’est aux grammatici qu’on confie la responsabilité des grandes bibliothèques publiques, c’est-à-dire à des savants qui, entre autres, exercent des activités philologiques au sens strict. Le cas d’Hyginus, un savant qui fit des emendationes à l’œuvre de Virgile, est éloquent. Comme lui, les grammatici sont généralement des grecs, ce qui faisait de l’étude textuelle une activité perçue comme socialement subalterne (une perception qui change radicalement au début de l’Antiquité tardive : cf. infra). À cette même époque remonte la première ars grammatica romaine, due à Remmius Palémon (5 ?- 60 ?), un esclave affranchi qui enseigna la grammaire à Quintilien et à Perse (Suet., De grammaticis, 23). Dans un de ses ouvrages perdus, Remmius se concentrait à ce qu’il semble sur les règles de la diction, sur les barbarismes et les solécismes (Kolendo 1984). Tous ces faits, ainsi que le développement d’activités éditoriales, comme celles menées par Atticus, l’éditeur de Cicéron, firent de l’époque augustéenne un moment central dans l’histoire de la philologie romaine (Pecere 1990, p. 332-333).

Le fait que l’influence alexandrine soit devenue plus forte à la fin de l’époque républicaine est évidemment lié à la chute de l’Égypte sous la domination romaine. Certes, à cette époque, l’activité philologique était allée s’atténuant à Alexandrie, probablement par suite de la cessation des soutiens financiers de la part de Ptolémée VIII en 145-144 av. J.-C. et de l’expulsion des savants étrangers (Pfeiffer 1968, p. 252 ; Meyboom 1995, p. 373). Toutefois, ces circonstances n’empêchèrent pas des développements ultérieurs : par exemple, pendant sa période égyptienne, Antoine transféra la bibliothèque des Attalides de Pergame à Alexandrie (Plut., Ant., 58) et, jusqu’à l’époque impériale, des financements publics semblent avoir été versés au Musaion (Strabon 17.1.8). D’ailleurs, contrairement à l’indication de certaines sources, la destruction de la bibliothèque n’a sans aucun doute pas eu lieu à l’époque de Jules César : la date la plus probable, parmi celles qui ont été proposées pour un tel évènement (391 ou 640, par les Arabes : cf. contra cette dernière, surtout Lloyd-Jones 1991, p. 121-122), reste celle de 273 (Canfora 1991, p. 96).

L’Empire entre conservation et archaïsme
Au IIe siècle, dans le monde gréco-romain, une tendance archaïsante se manifeste à plusieurs niveaux : architectural, littéraire, graphique (avec des écritures d’imitation ou mimétiques). En fait, de tels phénomènes ne vont pas sans une récupération savante des textes anciens, dont un témoignage vif est donné par le Noctes Atticae d’Aulu-Gelle (v. 125-180) ; cette pratique répondait entre autres aux exigences d’un marché antiquaire d’élite, comprenant des activités de récupération, restauration et exégèse textuelles : l’impulsion venait d’en haut, s’il est vrai que c’est l’empereur Hadrien en personne qui avait poussé Marcus Valerius Probus (cf. supra) – originaire de Berytus – à rechercher et restaurer les livres (et les textes) des auteurs de la Respublica. D’ailleurs, l’époque d’Hadrien semble avoir connu un intérêt spécifique à l’égard de certaines pratiques philologiques de type alexandrin : des éditions pourvues de signes diacritiques furent préparées (par exemple par Probus [cf. supra], mais l’on s’intéressa aussi à Hippocrate : cf. Galenus, In Hipp. Nat. Hom., dans CMG V.9.1, p. 58, 79). Tout en revêtant le caractère d’une tendance culturelle d’élite (Bonner 1960, p. 360), ce mouvement archaïsant coïncida avec la période où l’alphabétisme semble avoir connu la plus ample diffusion dans l’empire, et intéressa non seulement les aires géographiques où la culture gréco-romaine était le plus profondément enracinée, comme l’Italie et la Grèce, mais aussi le Proche-Orient et l’Afrique du Nord (cf. Giardina 1986, p. 4). Le travail de récupération textuelle accompli en cette période s’avérera fondamental lorsque, après la césure du IIIe siècle, le bloc sénatorial constantinien, nouvelle classe dirigeante, y trouvera les repères pour fonder sa propre identité culturelle (Pecere 1990, p. 348) : l’une des manifestations les plus intéressantes de cette dynamique – qui fut en même temps culturelle et sociale – sera la production de livres pourvus de subscriptiones découlant d’opérations d’émendation textuelle (cf. infra).

L’époque impériale perpétue l’existence, du moins jusqu’au IVe siècle, d’un système de bibliothèques publiques conçues comme des lieux de sociabilité élargie (Nicholls 2014, p. 89 ; Cavallo 2014, p. 202-203). La fondation par Constance II, en 357, de la première bibliothèque publique à Constantinople – célébrée par Themistius dans un fameux éloge (Them., Or., 4) – est de notre point de vue du plus haut intérêt, car son but était, à ce qu’il semble, de sauver de l’oubli des ouvrages anciens en voie de disparition. À cette fin, une campagne intensive de transcriptions fut menée, comportant la recherche et l’étude de textes à l’époque rares, ainsi que leur mise en forme sur de nouveaux supports, peut-être des codices (Cavallo 1986, p. 57 et s.). L’affirmation définitive de la nouvelle forme de livre, entre le IIe et le IVe siècle, représente un phénomène majeur dans l’histoire des textes et pour la transformation des pratiques de lecture, d’étude, de transcription : au rouleau (le support constitué d’un ensemble de pièces rectangulaires de papyrus, ou plus rarement d’un autre matériau souple, jointes et enroulées sur elles-mêmes) se substitua graduellement le codex, un livre formé de feuilles pliées en deux et assemblées en cahiers cousus par un fil le long de la pliure et éventuellement reliés entre eux. Si les causes profondes et les enjeux socio-culturels de cette substitution font encore l’objet de débats (Crisci 2008 ; Cavallo 2010 ; Fioretti 2014, p. 55-59), ses conséquences sur l’histoire de la transmission des textes et sur celle de la philologie sont désormais claires : tout d’abord, la structure du codex permit la transposition de commentaires, relégués jusqu’alors sur des supports indépendants, dans les marges des livres mêmes contenant les textes auxquels ils se référaient (l’espace intercolonnaire du rouleau ne se prêtant pas à une telle utilisation). Le processus de réadaptation de ces commentaires dans les nouveaux espaces donna naissance à une ample gamme de textes marginaux, parvenus au Moyen Âge généralement sous la forme de scholies (Montana 2011). Celles-ci contiennent parfois des variantes, qui interfèrent, dans la transmission manuscrite, avec le texte principal. Le nouveau type de support, caractérisé par une capacité beaucoup plus ample que celle du rouleau (où l’écriture n’occupait que la partie intérieure), favorisa en outre la formation de corpora d’ouvrages d’un même auteur ou de plusieurs auteurs liés à un même genre littéraire (Canfora 1974 ; Pecere 1990, p. 354). Ce type d’opération comportait la mise en place de programmes éditoriaux complexes, impliquant la confluence dans un seul support de filons de tradition jusqu’alors indépendants. Dans un climat de transformations socio-politiques profondes, les élites aristocratiques développèrent une logique identitaire consistant à faire de la réalisation et la détention de livres-corpora d’auteurs choisis une marque de légitimation sociale. Cette dynamique fut d’ailleurs secondée par la décadence généralisée des bibliothèques publiques, auxquelles se substituèrent progressivement d’amples collections aristocratiques, non seulement à Rome et à Constantinople, mais aussi à Ravenne et dans la Gaule (Cavallo 2014, p. 203-207) : collections comprenant des éditions critiques ante litteram réalisées grâce à la pratique de l’emendatio (cf. infra), et dont la diffusion dans plusieurs centres de la Méditerranée occidentale est à regarder comme un phénomène socio-culturel d’envergure.

À partir de la première moitié du Ve siècle, avec l’occupation progressive de l’Afrique du Nord par les Vandales, à la mobilité traditionnelle des élites (et des livres) entre Rome et Constantinople (cf. supra), vint s’ajouter une autre plus intense en provenance de l’Afrique du Nord-Ouest vers la nouvelle capitale impériale. Ces mouvements déterminèrent la concentration progressive, à Constantinople, de livres et de pratiques d’étude jusqu’alors répandus dans le bassin méditerranéen.

 Philologie et livres sacrés

La philologie à l’époque du Christianisme : innovation dans la continuité
L’idée selon laquelle l’affirmation du Christianisme comporta l’abandon des pratiques livresques de l’époque précédente, réduisant grandement la transmission de tout texte païen est une généralisation hâtive. Le curriculum scolaire resta fondamentalement inchangé et l’attitude des Pères les plus influents vis-à-vis des ouvrages païens fut caractérisée par la plus grande tolérance : pour ne citer que quelques exemples, dans son Discours adressé aux jeunes gens, sur l’utilité qu’ils peuvent tirer de la lecture des livres profanes (Πρὸς τοὺς νέους, ὅπως ἂν ἐξ Ἑλληνικῶν ὠφελοῖντο λόγων), Basile de Césarée (329-379) souligna la légitimité de la lecture des textes profanes, lorsqu’elle contribue à la formation de l’individu (Cavallo 2001). Et lorsque Grégoire de Nysse (v. 335 - v. 395) décrivit la jeunesse de Grégoire le Thaumaturge (214 - v. 270), il nota que, comme le patriarche Abraham, il « se servit de cette connaissance [païenne] comme d’un marchepied pour accéder à la contemplation du bien supérieur […] il obtint ainsi ce qu’il cherchait, ayant acquis la sagesse païenne et étant devenu, grâce à elle, plus élevé, de manière à pouvoir s’approcher d’une certaine façon, grâce à elle, des réalités inaccessibles » (PG 46, 893 – 957, trad. de P. Maraval). Grégoire le Thaumaturge avait d’ailleurs été l’élève d’Origène (v. 185 - v. 253), qui, actif entre le IIe et le IIIe s. à Césarée, avait eu une longue fréquentation des textes païens. Origène s’était formé dans les deux villes les plus importantes dans l’histoire des bibliothèques anciennes, Alexandrie et Césarée (sur la bibliothèque de Césarée et son importance pour les activités philologiques cf. Grafton – Williams 2010 ; Cavallo 2014, p. 209), et avait était l’auteur de l’Hexapla, une édition de la Bible comportant la juxtaposition de six versions du texte (hébraïque, hébraïque translittéré en grec, traductions grecques d’Aquila, de Symmaque, de la Septante, de Théodotion) sur six colonnes synoptiques (Field 1875). Si cet ouvrage n’eut qu’une diffusion réduite, en raison de la difficulté à le reproduire (on conserve deux seuls témoins directs, qui sont tous les deux, et pour cause, des palimpsestes : le palimpseste cairo-genizah [Cambridge, Univ. Library Taylor-Schechter 121812] et le palimpseste Mercati [Milan, Bibl. Ambros. O 39 sup.] : cf. Schironi 2012, p. 106), il eut une postérité importante dans des aires culturelles différentes : dans le monde gréco-byzantin d’Égypte sont attestées des ‘notes hexaplaires’ qui consistent dans un système d’annotations marginales indiquant, dans les manuscrits bibliques, des variantes introduites par des abréviations qui renvoient justement à la version grecque (d’origine hexaplaire), d’où elles sont tirées. Un témoin intéressant en ce sens est le codex dit Marchalianus de la Bible (BAV, Vat. gr. 2125), souvent rapporté au VIe siècle, mais datable, sur la base de circonstances paléographiques contraignantes, de la fin du VIIe siècle au plus tôt. Encore plus importante fut la postérité de l’Hexapla dans le monde syriaque, où il fut le fondement de la traduction dite syro-hexaplaire (différente de la Peshitta, la traduction en syriaque de l’hébreu), réalisée vers 615 à Alexandrie par Paul de Tella sur la base du texte de la Septante contenu dans le Hexapla (Brock 2006). Dans une note d’un manuscrit contenant des parties de la Bible, et dont une section est souscrite en 719 (BNF, Syr. 27 [Ancien fonds 5]), on affirme que la version syriaque qu’il contient est la traduction du texte « des sept colonnes » de la bibliothèque de Césarée de Palestine (Zotenberg 1874, p. 10-12 et Leroy 1964). Ce même manuscrit est porteur d’autres annotations qui, outre qu’elles énumèrent les versions grecques de l’Ancien Testament attestées dans le Hexapla, expliquent les signes critiques qui y sont utilisés : en effet, Origène utilisa deux des signes alexandrins dans une fonction évidemment comparatiste, comme il l’atteste lui–même (Comm. Ad Matth., 15.14, PG 13.1293B ; Ep. Ad Africanum, 7.7-10, éd. Harl-de Lange, Paris 1983, p. 530-532 : cf. Schironi 2012, p. 100 et s.) : il s’agissait de l’obélos, indiquant un passage absent dans la version hébraïque, et qui se trouve dans la Septante, et de l’astérisque qui, inversement, indique les passages absents dans la Septante et attestés dans la version hébraïque. En expliquant son utilisation de l’obélos, Origène affirme n’avoir pas osé faire disparaitre de son édition une lectio présente dans le texte de référence (la Septante justement : Chryssostalis 2012, p. 225) : il se conforme ainsi à la tradition ‘conservatrice’ alexandrine (cf. supra). On a la chance de conserver un témoin direct des signes origéniens : il s’agit du P.Grenf. 1.5, qui contient le passage biblique Ezekiel 5:15-6:3, provenant du Fayum et datable des IIIe/IVe siècles : un astérisque y est bien visible. L’une des annotations du manuscrit BNF syr. 27 précité, tirée d’Épiphane de Salamine (v. 315-403), explique en détail les valeurs des signes origéniens : en effet, dans son traité Des poids et mesures (composé vers 392, à ce qu’il semble lors d’un séjour à Constantinople), Épiphane non seulement propose une histoire des traductions des textes bibliques, mais atteste aussi une variante très ancienne du système de ces signes. Pour en terminer avec la postérité de l’Hexapla, il faut rappeler que saint Jérôme affirme en avoir consulté un exemplaire à Césarée (Dines 1998 : cf. infra). Jérôme peut être considéré un pionnier de ce qu’on appelle les Christian Hebrew studies, dont l’épanouissement est à situer dans le cadre des disputes théologiques européennes du XVIe siècle (qu’on pense en particulier à Johann Reuchlin : cf. Kühlmann 2010). « Plus philologue que penseur » (Graves 2007, p. 1 et n. 4), et animé par la nécessité du retour à la hebraica veritas, il mit en place un comparatisme linguistique croisant trois traditions différentes : élève, à Rome, du grammairien latin le plus renommé du IVe siècle, Aelius Donatus (v. 320 - v. 380, auteur, probablement d’origine africaine, d’une Ars grammatica), il fut lié aux études alexandrines en tant que disciple de Didyme l’Aveugle (313-398), élève à son tour d’Origène (cf. Layton 2004), mais aussi à celles développées à Antioche, grâce à son rapport avec Apollinaire de Laodicée (v. 315 - v. 390 : cf. Jay 1974). En outre, Jérôme se consacra à la langue hébraïque, grâce à des maîtres locaux, et cela constitua un élément important dans son expérience linguistique et philologique : le fait d’avoir appris l’hébreu grâce à des individus capables – à ce qu’il semble (Graves 2007, p. 78-79) – de parler la langue de la Bible influença son acceptation de la philologie en tant que discipline vivante. Cette conception est d’ailleurs attestée par son intérêt à l’égard des erreurs découlant de la prononciation (il se pose en ce sens dans la lignée de la réflexion alexandrine d’abord, romaine ensuite : qu’on pense à Varron et à sa définition d’emendatio comme d’une « recorrectio errorum qui per scripturam dictionemue fiunt » : cf. supra). Jérôme adopta aussi en partie le système des signes origéniens, d’inspiration alexandrine (cf. supra et Gryson - Coulie 1994).

 Entre Antiquité tardive et Haut Moyen Âge

La centralité du texte, les grandes écoles et le monachisme
Lorsque, au cours du IVe siècle, la structure étatique et idéologique de l’Empire romain connut une profonde réorganisation, due aussi à l’adoption du Christianisme comme religion officielle, la classe sénatoriale, traditionnellement païenne, essaya de rétablir l’identité de ses valeurs sur la base d’une série variée d’opérations culturelles. Dans ce cadre, le phénomène des livres pourvus de subscriptiones constitua un élément central. Les subscriptiones sont des annotations qui, apposées originairement par un emendator (correcteur) sur un manuscrit tardo-antique, nous parviennent pour la plupart grâce à des copies médiévales. Elles enregistrent normalement les noms des individus impliqués dans une opération de révision textuelle plus ou moins complexe, indiquant aussi l’endroit et la date où elle eut lieu (Pecere 1986) : ces révisions consistaient en quelques cas en de simples collations des textes avec les modèles de transcription, mais parfois étaient le résultat d’opérations plus complexes. L’une des plus anciennes emendationes attestées a eu lieu, entre 395 et 397 entre Rome et Constantinople sur un corpus d’Apulée et les plus récentes semblent remonter au VIe siècle. Si ce phénomène intéressa surtout les deux capitales, il est attesté aussi à Ravenne et presque certainement dans d’autres villes de la Méditerranée. Les textes concernés sont pour la plupart latins, mais il s’agit parfois d’ouvrages conçus dans la capitale orientale (c’est le cas des opuscules grammaticaux de Priscien : cf. infra). Il est important de noter la transformation socio-culturelle que ces opérations dévoilent, grâce aux indications qu’elles transmettent : l’étude des textes, qui, à l’époque romaine, avait été une activité typique d’individus subalternes du point de vue social (généralement des servi affranchis : cf. supra), est désormais une occupation aristocratique, supervisée par des individus qui se donnent généralement la dénomination de rhetores, et qui, membres eux aussi de l’élite sénatoriale, exercent une fonction de sauvegarde textuelle ayant une forte valeur idéologique. Si, jusqu’à la fin du IVe siècle, les activités de ce type se concentrèrent sur des textes païens (perçus évidemment comme représentant une idéologie opposée à la christianisation de l’empire), à partir du Ve siècle, les élites firent rentrer progressivement des textes chrétiens dans leurs circuits de transmission/préservation (Pecere 1990). Mais les emendationes des ouvrages chrétiens ne semblent pas avoir été conduites, en général, dans le même esprit que celles des textes païens : si, pour ces derniers, la pratique commune de révision philologique continua à s’inspirer d’une vision idéologique, pour les ouvrages patristiques, il s’agissait parfois d’interventions sur des textes contemporains, effectuées soit directement par l’auteur lui-même soit par son cercle, opérations que rendait possible la disponibilité des bibliothèques que ces savants avaient constituées (Cavallo 2010).

Lorsque, au cours du Ve siècle, la partie occidentale de l’empire connut une décadence définitive, l’Orient préserva, sur le plan institutionnel, des structures intactes, avec une classe administrative efficace et solide : s’il n’y a plus d’enseignement public, le niveau culturel moyen ne paraît pas avoir baissé, contrairement à ce qui s’est produit en Occident (Cavallo 2006, p. 23-46), et cela grâce, d’un côté, à l’existence d’écoles privées, de l’autre, à la transmission directe de savoirs et de compétences qui se perpétuent à l’intérieur des différents blocs sociaux. Dans ce cadre, la radicalisation d’un conservatisme formel n’empêche pas, à Byzance, une profonde et progressive transformation idéologique, qui conduit peu à peu le Christianisme au cœur de l’État. Dans ce contexte, pour ce qui est de l’activité philologique, Byzance contribua à la conservation de pratiques anciennes, mais toujours dans un effort d’adaptation aux exigences conjoncturelles, fussent-elles d’ordre idéologique, religieux ou culturel. Les formes de ces activités et les structures où elles se déroulèrent sont très diverses. À ce propos, il faut mentionner en premier lieu ces établissements qu’on peut appeler les ‘grandes écoles’, situées aussi bien à l’intérieur de l’empire que dans des aires plus ou moins directement influencées par la culture greco-byzantine : les institutions les plus remarquables en ce sens furent, outre celle de Constantinople, fondée par Théodose II en 425 (Cavallo 1986, p. 60 et s.), celles d’Alexandrie, Athènes, Antioche, Beyrouth, Édesse, Gaza, Nisibis. Dans ces centres, quel que fût leur pôle d’intérêt spécifique (philosophique, théologique, juridique) – toute activité érudite se fondait sur l’analyse, le commentaire et souvent la transcription systématique de textes jugés fondamentaux (Cavallo 1986, p. 60 et s.). Ces opérations étaient possibles grâce à l’existence de vastes bibliothèques (pour Athènes et Alexandrie, cf. Hoffmann 2007). La fermeture de l’école d’Athènes en 529 – qui ne fut pas l’effet d’un acte formel de censure émanant du pouvoir central, mais plutôt la conséquence d’une politique budgétaire plus stricte (Ronconi 2008, p. 138, n. 45), découlant, certes, d’une attitude hostile vis-à-vis de la haute culture païenne (Cavallo 1986, p. 69 et 164) – représente un moment symbolique important dans l’histoire de la culture gréco-byzantine : mais si les savants de cette ancienne institution émigrèrent, semble-t-il, vers l’empire des Sassanides et plus tard peut-être à Alexandrie (Ronconi 2008), des activités érudites d’envergure ne cessèrent pas dans la capitale byzantine (cf. infra). Surtout, des grandes écoles continuèrent à prospérer à l’extérieur de l’empire : justement dans la capitale égyptienne aux mains des Arabes, par exemple, à côté d’une école néoplatonicienne très active (Cavallo 1986, p. 70-71) et qui eut probablement la fonction de bassin collecteur de fonds bibliothécaires d’origines diverses (Hoffmann s. p.), il y avait une école patriarcale, pourvue d’une riche bibliothèque, capable de renforcer le rôle du patriarcat d’Alexandrie comme repère culturel et idéologique pour les communautés chrétiennes melchites (Bastianini-Cavallo 2011). Un autre cas du plus grand intérêt est celui de l’école de Nisibis, car nous conservons un règlement datable de la fin du Ve siècle, qui permet de connaître le fonctionnement de cette institution. La vaste bibliothèque de ce centre d’études théologiques (qui avait pris le relais de l’école d’Édesse, après la fermeture de celle-ci en 489) était gérée directement par l’assistant du chef de l’école (le mpachqana l’ « interprète », c’est-à-dire le professeur chargé de commenter la Bible). Cet assistant, qui était aussi l’économe de l’institution, s’occupait des sanctions à appliquer à certains étudiants, notamment pour ce qui concerne le vol de livres : la centralité du livre en tant qu’objet d’étude non seulement théologique est en effet démontrée par le fait que, dans la hiérarchie de l’école, immédiatement au-dessous du mpachqana étaient le maqriana (« maître de lecture ») – qui enseignait entre autres l’art de lire le syriaque classique, langue différente de celle parlée, l’araméen - et le mactbana, le « maître d’écriture », chargé des aspects techniques de la transcription (Becker 2006 ; Vööbus 1965). Mais, indépendamment de ce qui se passait à l’extérieur, le cadre au sein du monde byzantin fut moins sombre qu’on ne le décrit habituellement : en 525, peu avant la fin de l’école d’Athènes, Priscien, natif de Césarée de Maurétanie (aujourd’hui Cherchell en Algérie, une région à l’époque sous le pouvoir des Vandales), fonda à Constantinople une école d’études grammaticales latines et, presqu’à la même époque, Jean le Lydien, appelé à opérer dans l’‘université’ de cette même ville (Cavallo 1986, p. 62), possédait des ouvrages de Sénèque et de Suétone en langue originelle. Ces phénomènes, qui n’étaient pas isolés du tout, prouvent l’existence d’un vaste bloc social bilingue aux intérêts culturels variés, actif entre les parties orientale, occidentale et méridionale de la Méditerranée. Les activités exercées dans le cadre de la rénovation du droit par Justinien (vers 530) supposent des opérations de récupération, comparaison, évaluation textuelles à partir d’une multitude de sources manuscrites : opérations qui ont trait à des activités philologiques avancées (Spallone 2008 ; Baldi 2010). Il se peut en outre que, dans la Capitale, une adaptation spécifique de certains signes alexandrins (probablement via la médiation d’Origène : cf. supra) ait été réalisée au VIe siècle (cf. Sinko 1917) : il est probable que des signes et significations nouveaux furent conçus à cette époque (l’héliaque pour désigner Dieu, l’astérisque pour indiquer l’‘oikonomia dans la chair’), qui se trouvent dans plusieurs manuscrits plus tardifs d’auteurs différents et notamment dans ceux qui transmettent les ouvrages dogmatiques de Grégoire de Nazianze (cf. Chryssostalis 2012, p. 227 n. 15). Dans un nombre plus restreint de livres de la même période (IXe-XIIe siècle), se trouvent des signes plus proches, quant à la forme et à la valeur, des signes alexandrins-origéniens, notamment l’obélos pointé (pour indiquer une citation hérétique), la diplè (pour les citations des Écritures : Chryssostalis 2012, p. 229).

Tandis que dans l’Orient byzantin, grâce à la continuité étatique et à la persistance d’un bloc social lié à l’administration, la transmission des textes et l’application de pratiques de sauvegarde et d’étude textuelles furent généralement le patrimoine des laïcs (Ronconi 2014), en Occident, entre Antiquité tardive et Haut Moyen Âge, un rôle majeur fut joué en ce sens par les milieux monastiques. Dans l’écroulement institutionnel qui suivit la chute de l’Empire d’Occident, ce furent en effet les monastères qui préservèrent une partie des textes de la tradition ancienne, grâce notamment à la diffusion des bibliothèques et à des activités coordonnées de transcription et parfois d’étude des textes. Activités qui donnèrent parfois lieu à des stratégies avancées pour la préparation d’éditions d’ouvrages, même profanes, autrement destinés à la perte : un jalon important entre Antiquité tardive et Moyen Âge semble avoir été, en ce sens, le monastère nommé Vivarium, fondé en Calabre par Cassiodore (v. 450 - v. 580), après une intense carrière politique s’étant déroulée sous le règne des Goths à Ravenne (il avait été entre autres Magister officiorum et Præfectus praetorio : cf. Troncarelli 1998). Dans ce monastère, conçu comme urbs religiosa, la conciliation entre la dimension pieuse et la culture profane se réalisait dans une activité d’étude consistant non seulement dans la lecture et l’analyse d’ouvrages aussi bien chrétiens que païens, mais aussi dans leur transcription selon des critères philologiques avancés. Le cœur de la communauté, conçue comme école chrétienne, était la bibliothèque (Cavallo 2014, p. 214), et il semble que le Vivarium fut l’un des premiers monastères occidentaux équipés d’un véritable scriptorium. L’activité philologique, dans ce centre de culture, fut toutefois menée dans une optique étroitement pratique (O’Donnell 1979) : ce fut justement dans cette perspective que Cassiodore écrivit un De orthographia, témoignage explicite d’une attention particulière à l’activité du scribe, acteur fondamental dans la préservation du savoir. Un aspect intéressant à souligner, c’est le rapport de Cassiodore avec l’Orient : une partie importante des livres en langue grecque du Vivarium était probablement originaire de Constantinople, où Cassiodore semble avoir séjourné après l’occupation de Ravenne par Bélisaire en 540 (cf. O’Donnell 1979). Au Vivarium en outre, un véritable programme de traduction d’ouvrages grecs semble avoir vu le jour : l’Historia Tripartita, traduction latine des textes de Socrate, Sozomène et Théodoret, réalisée par le moine Épiphane à la demande de Cassiodore, vers 560 – en est un exemple (Ratti 2006). Mais à Constantinople, le savant avait aussi pris contact avec les méthodes et l’organisation de l’école de Nisibis (cf. supra), probablement grâce à ses rapports avec Junilius l’Africain, qui fut Quaestor sacri palatii sous Justinien et qui affirme s’être formé auprès de Paul de Nisibis : les Instituta regularia divini legis de Junilius sont indiqués par Cassiodore comme une lecture fondamentale pour les moines du Vivarium (O’Donnell 1979) et de l’école de Nisibis il fait mention dans la préface des Institutiones divinarum et saecularium litterarum, comme d’un modèle d’école chrétienne à transplanter à Rome : un projet – cultivé dès 535 avec le pape Agapet Ier – qui, devenu irréalisable en raison de la guerre des Goths, semble avoir enfin abouti justement à la fondation du Vivarium. En raison de ses déplacements et de ses contacts ‘internationaux’, Cassiodore est un exemple de ces membres des élites qui, se mouvant entre Rome, Ravenne et Constantinople (pour ne citer que les pôles les plus importants de ces mouvements, mais il ne faut pas oublier l’Afrique septentrionale), constituèrent une intelligentsia pour ainsi dire supranationale, bi-(ou multi-)lingue, qui a garanti la circulation de manuscrits, de textes et, plus généralement, de savoirs, dans le bassin de la Méditerranée entre Antiquité tardive et Moyen Âge : des individus cultivés qui s’occupèrent, parfois personnellement, du patrimoine textuel du passé, notamment des textes en latin, comme nous le démontrent les livres pourvus de subscriptiones (cf. supra) ; mais des activités analogues ont concerné aussi certains textes et corpora grecs : qu’on pense au corpus géographique réalisé par un Marcien, vraisemblablement un savant alexandrin, et transmis par l’un des manuscrits de ce qu’on appelle ‘collection philosophique’ (cf. s. v.). À ces déplacements individuels, vinrent s’ajouter des mouvements plus amples, sous la pression d’évènements extraordinaires : l’invasion arabe détermina par exemple la migration massive de moines de l’Égypte et de l’aire proche-orientale en Italie méridionale, ce qui renforça les relations sur l’axe Orient-Occident. Le bassin de la Méditerranée se confirme ainsi, à cette époque, comme une aire interculturelle qui, dans la variabilité des équilibres géopolitiques variables, a su garder une forte continuité dans la transmission et la circulation du savoir.

Le monastère cassiodorien est souvent considéré comme un moment fondamental pour la transmission de certains textes anciens au Moyen Âge occidental (Olleris 1841), mais son rôle dans la sauvegarde des ouvrages classiques semble être surestimé (Reynolds-Wilson 1991, p. 83) : en outre, son modèle d’organisation n’eut pas de véritable postérité.

Un aperçu historique de la philologie dans l’espace méditerranéen ne saurait ignorer – même si cela peut paraître paradoxal – l’activité du monachisme irlandais et notamment le rôle joué par les fondations liées à saint Colomban (543-615) : en effet, le rayonnement de cette expérience n’intéressa pas seulement l’Europe du Nord (avec la fondation de monastères tels que Luxueil, Corbie, Saint-Gal), mais aussi l’Italie. Dans le monastère de Bobbio, fondé par Colomban vers 614, des activités de collection, confrontation et transcription de manuscrits furent menées, et une pratique systématique de réutilisation de vieux livres jugés inutilisables ou inintéressants y fut exercée, grâce au remploi de feuillets désencrés, qui constituent aujourd’hui ce qu’on appelle des palimpsestes, sources précieuses pour notre connaissance de textes autrement perdus.

Une autre aire qui, entre le VIe et le VIIe siècle, eut une importance particulière de notre point de vue est la péninsule ibérique, qui, partagée entre la domination byzantine et l’expansion du royaume des Wisigoths, connut un épanouissement culturel remarquable, dont le foyer fut Séville. Il semble que plusieurs fonds livresques parvinrent dans cette ville de Rome et Constantinople, mais aussi de l’Afrique du Nord. Le personnage central de cette floraison culturelle fut Isidore (v. 560-636), évêque de la ville, dont les intérêts et les lectures se reflètent dans la variété de sa compilation, les Ethymologiae, son ouvrage le plus remarquable. Dans un chapitre de celles-ci (I.2.1, de notis sententiarum), Isidore présente entre autres une description de l’origine et de la diffusion des signes critiques, entre Alexandrie et Rome, description qui s’accorde sous plusieurs aspects avec l’Anecdotum Parisinum (cf. supra), et qui semble remonter indirectement, comme celui-ci, au De notis, perdu, de Suétone (Bonner 1960, p. 354).

Il est intéressant de noter qu’au VIIe siècle, en Occident chrétien, l’existence de pratiques de révision textuelle qui semblent perpétuer, dans un contexte changé, l’esprit des emendationes tardo-antiques (cf. supra) est attestée par la diffusion de la note contuli, qui se trouve à la fin de nombreux manuscrits (ou de parties d’ouvrages, notamment chrétiens : cf. Petitmengin 1983).

 Le Moyen Âge

La philologie entre Orient et Occident
Dans l’Orient byzantin, la nécessité de maintenir en état de marche un système bureaucratique qui n’avait jamais cessé de constituer la colonne vertébrale de l’empire (et de l’église), comporta la perpétuation d’un bloc social de bureaucrates et fonctionnaires caractérisé par une relative stabilité, nonobstant les transformations institutionnelles et les perturbations politiques qui marquèrent l’époque mésobyzantine. Ce bloc social, pour des raisons professionnelles et identitaires, joua un rôle central dans la conservation et la transmission de plusieurs textes techniques (entre autres, de logique, de rhétorique, de mathématiques) de l’Antiquité, même pendant les périodes dites obscures (comprises entre la fin du VIe siècle et le VIIIe siècle : Cavallo 1995a, p. 213 ; Ronconi 2014). Cette continuité culturelle impose de nuancer la vision traditionnelle, qui oppose une époque inculte – la phase des luttes iconologiques – à une période de renaissance culturelle soudaine, dont le début coïnciderait avec la réaffirmation de l’iconodoulie, en 843. En effet, bien avant cette date, en dépit de l’amoindrissement réel de la circulation de manuscrits contenant les ouvrages anciens, des savants distingués (qu’on pense seulement à Jean le Grammairien et à Léon le Mathématicien) ont assuré une continuité d’études notamment à la périphérie de l’Empire (Cavallo 1995a, p. 196 et suiv.). En outre, les affrontements religieux qui caractérisèrent les luttes iconologiques déterminèrent une série de phénomènes évolutifs du point de vue de l’histoire de la philologie. En premier lieu, des activités de recherche de manuscrits contenant des ouvrages perdus, et jugés importants par les différentes parties en lutte, sont bien attestées par les sources. Si les descriptions de certains épisodes constituent parfois des topoi littéraires, pour la plupart ces renseignements trouvent confirmation dans l’effervescence des débats de l’époque : particulièrement intéressant de ce point de vue est un passage du Scriptor incertus de Leone Armenio, une source hostile à l’empereur iconoclaste Léon V remontant à la première moitié du IXe siècle, qui décrit la recherche de livres, leur lecture et la sélection de passages importants, qui furent menées par les membres d’une commission dirigée par Jean le Grammairien, le plus grand savant de l’époque (Markopoulos 1999). En cette même période d’ailleurs, des lignes de tradition de textes (notamment chrétiens) jusqu’alors oubliées furent reprises et remises en circulation, et une sensibilité particulière se développa à l’égard des falsifications livresques : les actes des conciles de cette époque contiennent des allusions fréquentes à l’altération frauduleuse de sources manuscrites et dévoilent une sensibilité codicologique et paléographique raffinée (Lamberz 2000). Enfin, un système complexe de signes marginaux, peut-être inspirés indirectement des signes alexandrins via l’adaptation origénienne (cf. supra), fut mis en place : ils constituaient un outil important pour les exigences, accrues à cette époque, de rigueur textuelle et dogmatique. Ces signes, qui se trouvent par exemple dans tous les manuscrits les plus anciens des ouvrages du patriarche Nicéphore de Constantinople (v. 758-828), manuscrits qui remontent à une période comprise entre le IXe et le XIe siècle, sont l’obélos (pour les citations des hérétiques), la diplè (pour les citations orthodoxes), l’astérisque et l’héliaque (références à des dogmes : Chryssostalis 2012229-230). Le niveau de développement et de diffusion de ce système conduit à penser que, selon toute probabilité, il s’agit du résultat d’une élaboration des siècles précédents : visant d’un côté à renseigner le lecteur sur la nature et l’origine des ouvrages d’où est tirée la citation, de l’autre à indiquer un jugement synthétique sur le fond de la pensée qui y est exprimée, ces signes constituent une sorte d’exégèse codée, qui vise à l’orthodoxie plutôt qu’à la rigueur philologique du texte, comme c’était en revanche le cas pour les signes alexandrins (Chryssostalis 2012, p. 225).

Une plus vaste circulation de livres et de textes est enregistrée, à Byzance, à partir du milieu du IXe siècle. Cette reprise quantitative, que favorisèrent de meilleures conditions socioéconomiques et un processus de reprise urbaine, ainsi que plusieurs autres facteurs complexes, est à mettre en rapport, d’un point de vue graphique, avec l’adoption de la minuscule au lieu de la majuscule dans la transcription d’ouvrages littéraires. Les raisons de l’adoption de ce système alphabétique (qui était employé depuis environ deux siècles dans l’administration) sont à rechercher, plutôt que dans de simples facteurs techniques, dans les mutations socio-économiques qui ont intéressé le bloc social de la bureaucratie constantinopolitaine à la fin du siècle précédent (Ronconi 2014). Cette adoption comporta une vague de translittérations, (c’est-à-dire de transcriptions en minuscule à partir de modèles en majuscule : Ronconi 2003). Des opérations de ce type ont été accompagnées, dans certains cas, d’un travail de nature ecdotique, comportant la confrontation de modèles différents ainsi que la normalisation de l’accentuation et des signes de ponctuation. Si, en somme, il est indéniable que des opérations particulièrement soignées ont eu lieu (qu’on pense aux livres d’Aréthas, constituant parfois, avec leur apparat de notes probablement autographes, une sorte d’édition commentée), et que la circulation des livres s’est remarquablement accrue à cette époque (la Bibliothèque de Photius, contenant les comptes rendus de plus de 300 ouvrages, en fait foi), il faut admettre que, du point de vue de l’histoire de la philologie, le ‘premier humanisme byzantin’ (cf., pour cette formule, Lemerle 1971) ne semble pas avoir comporté des innovations structurelles par rapport à l’époque immédiatement précédente.

Entre-temps, en Occident chrétien, l’axe des activités philologiques se déplaça de l’aire méditerranéenne vers le nord : lorsque Charles le Grand réforma le système éducatif dans le but explicite de constituer un corps administratif capable de gérer les affaires d’un état en évolution, il s’adressa à York, le centre culturel le plus actif de cette partie septentrionale de l’Europe (Reynolds - Wilson 1991, p. 91). Alcuin (v. 730-804), le chef de l’école locale, devint ainsi le promoteur d’un vaste mouvement de réorganisation de l’éducation, mais il fut surtout le responsable d’un processus de confluence dans l’orbite carolingienne, et plus précisément dans la cour, de livres et de savants provenant de toute l’Europe chrétienne (Pierre de Pise, Paul Diacre de Ravenne, Dungal d’Ireland, Théodulf d’Espagne). Ce rassemblement de savants et de livres, comme déjà aux époques précédentes, favorisa des comparaisons et des analyses textuelles de plus en plus affinées. L’existence d’un scriptorium impérial, où plusieurs textes de l’Antiquité profane furent transcrits, témoigne de la vitalité du milieu culturel le plus proche du pouvoir. De plus, l’activité culturelle carolingienne exerça son influence sur les dynamiques monastiques en produisant d’heureux effets sur le travail de transcription et d’‘édition’ de textes (anciens aussi), grâce notamment au patronage et au soutien plus ou moins direct que la cour accorda à plusieurs fondations (Fulda, Hersfeld, Auxerre, Fleury). En outre, après la mort de Charles, le probable démembrement de la bibliothèque impériale entre différents monastères (dont ceux de Tours, Corbie, Lorsch) peut avoir renforcé le rôle culturel de ces centres et accru aussi leur importance de lieux de conservation et d’élaboration textuelles. Le cas de Corbie est particulièrement intéressant : des recherches récentes semblent démontrer que des activités philologiques avancées y eurent lieu, basées sur la production de copies issues de la confrontation de plusieurs modèles et comportant la notation marginale de variantes. Des telles pratiques auraient été mises en œuvre par des équipes coordonnées par des chefs de file sur des projets éditoriaux spécifiques (Huelsenbeck 2013). Moins organisée mais non moins efficace semble avoir été l’activité menée, en cette même période, par le milieu de Lupus de Ferrières (805-862) qui, formé à Fulda par Hrabanus Maurus (780-856), fut un chercheur de livres infatigable, pratiquant la confrontation systématique de manuscrits contenant les mêmes ouvrages afin d’amender ses propres exemplaires (ce qu’il fit pour ses copies des ouvrages de Cicéron, de Tite Live, de Macrobe, d’Aulu-Gelle : cf. Reynolds - Wilson 1991, p. 103-105). Au Sud, l’ordre bénédictin se distingua à cette époque par ses activités de transcription systématiques : la fondation-mère de Montecassino (créée en 529 par saint Benoît de Nurcie) joua, notamment vers le XIe siècle, un rôle central dans l’histoire de la philologie et de la transmission des textes, grâce aussi à la reproduction de modèles tardo-antiques pourvus de souscriptions (Pecere 1986). La période la plus féconde, pour ce qui concerne les activités de mise en forme textuelle d’ouvrages classiques (Tacite, Apulée, Sénèque, Varron, Ovide), coïncida avec le XI siècle, notamment avec l’époque qui précéda l’âge d’or de l’abbé Desiderius (1058-1087 : cf. Cavallo 1975).

 La Renaissance


Héritage ancien et élaboration progressive d’une méthode d’édition des textes
Au regard de l’opposition entre la reconstruction de Kristeller, fondée sur une conception pour ainsi dire ‘socio-fonctionnelle’, et celle, formelle-stylistique, proposée plus récemment par Witt 2000 (sur cette opposition cf. Jurdjevic 2001, p. 468), l’importance de l’Humanisme au sens strict pour la définition de la discipline philologique et l’évolution de ses pratiques est énorme. La question est de savoir si, considéré comme une catégorie historiographique abstraite, l’humanisme en tant que tel est susceptible d’être appliqué à des civilisations différentes de l’italienne des XIIIe-XIVe siècles. Les chercheurs parlent souvent d’humanisme lorsque, dans un contexte historique quel qu’il soit, une sensibilité philologique, ou un intérêt littéraire se manifeste vis-à-vis des textes de l’Antiquité gréco-romaine. De telles attitudes ouvriraient la voie, selon les reconstructions courantes, à des ‘renaissances’. On a ainsi parlé, par exemple, d’un premier et d’un second humanisme byzantins, d’une renaissance iconoclaste, d’une renaissance paléologue, mais aussi d’un humanisme arabe (Makdisi 1989). Cela risque de fragmenter des cadres historiques qui furent caractérisés plus souvent par une forte continuité que par de véritables ruptures. Ruptures souvent exaltées par les sources, qui, notamment en coïncidence avec des changements dynastiques, ont tendance à marquer l’époque immédiatement précédente comme une période de profonde ignorance (amathia pour le monde byzantin : sur ce sujet en général nous nous bornons à renvoyer à Auzepy 2007 et Treadgold 1984). Pour ce qui est du monde byzantin, nous avons essayé de mettre en valeur les facteurs de continuité entre ce qui a été appelé le ‘premier humanisme byzantin’ du IXe siècle et l’époque précédente (cf. supra). Un discours différent semble nécessaire pour la période des Paléologues, qui a marqué un changement effectif par rapport à la phase précédente, en raison notamment de cette coupure historique qu’est la quatrième croisade (1204) : la perte de la capitale et la création d’un Empire latin de Constantinople provoquèrent, d’un côté, la formation d’une diaspora byzantine, avec la constitution de plusieurs États grecs mineurs en concurrence entre eux (l’Empire de Nicée, le Despotat d’Épire, l’Empire de Trébizonde), de l’autre, la naissance de plusieurs États latins dans la Méditerranée Orientale (le royaume de Thessalonique et le duché de Naxos notamment). Ce brusque bouleversement géopolitique eut des conséquences considérables sur le plan culturel. Lorsque, en 1261, la Capitale fut reconquise et l’Empire fut formellement reconstitué, s’ouvra une nouvelle ère pour Byzance, caractérisée, sur le plan idéologique, par une volonté de récupération d’un passée idéalisé (Nicol 2005). Dans ce cadre, des activités de recherche, transcription, analyse et amélioration de textes anciens furent menées dans un climat général de reconstruction idéologique et, dans une certaine mesure, de dénégation de la parenthèse latine. Et toutefois, dans ce cas aussi, ce serait une erreur que de sous-estimer l’apport de la phase immédiatement précédente. Si la première époque paléologue a enregistré, après la reconquête de la Capitale, une augmentation quantitative et qualitative des transcriptions d’ouvrages anciens (cf. en général Bianconi 2010) comportant des pratiques philologiques au sens strict et la réalisation d’éditions probablement issues de translittérations d’anciens témoins en majuscule (Browning 1960), de telles opérations furent possibles grâce aux activités culturelles promues, au cours de l’époque de la diaspora, par exemple dans l’Empire de Nicée. En effet, celui-ci avait été caractérisé par des structures éducatives capables de garantir la continuité de la haute administration et avait stimulé la création d’un réseau d’enseignement supérieur (Constantinides 1982 et Ronconi 2012). La région occupée par l’Empire de Nicée était d’ailleurs riche en bibliothèques et avait représenté, à l’époque mésobyzantine, une aire culturelle fondamentale. Quoi qu’il en soit, même pendant la ‘renaissance paléologue’, l’étude d’ouvrages classiques était généralement fonctionnelle, d’un côté, à la formation des élites, de l’autre, aux questions religieuses qui agitaient un monde caractérisé par des tensions politiques se manifestant souvent sous la forme de contrastes théologiques (c’est notamment le cas de la controverse palamite : Bianconi 2008, Bianconi 2012).

Mais venons-en à l’Humanisme proprement dit. À partir de la fin du XIIIe siècle, une nouvelle attitude à l’égard des textes anciens prit forme en Italie du Nord. Ses premières manifestations réalisaient, à ce qu’il semble, une volonté explicite de se rapprocher, dans l’expression écrite notamment, de la langue latine classique. À cette fin, une forte impulsion fut donnée à la recherche de manuscrits contenant les textes de l’Antiquité latine. La découverte et la lecture intensive de tels textes engendrèrent une sensibilité de plus en plus aiguë à l’égard du style de différents auteurs, comportant bientôt le développement d’activités d’étude spécifiques et, surtout, la création ou la mise en valeur de vastes collections de livres, sous la forme de grandes bibliothèques privées et publiques. Quelques villes de l’Italie Septentrionale se distinguèrent en ce sens, devenant des centres importants de ce que l’on peut appeler pré-humanisme. Parmi elles, un rôle central fut joué par Mantoue et Vérone, où des études importantes sur des textes latins de l’époque impériale furent menées par Giovanni de Matociis (m. 1337), notaire et mansionarius d’une importante bibliothèque capitulaire (Avesani 1976). Mais entretemps, à Padoue, des formes plus évoluées d’étude des ouvrages latins de l’Antiquités ouvrirent la voie à l’Humanisme proprement dit. En effet, l’évolution de ce phénomène historique s’est étalée sur cinq générations (Witt 2000), dont les deux premières furent actives justement à Padoue entre la seconde moitié du XIIIe siècle et la première moitié du XIVe : les chefs de file en furent Lovato Lovati (v. 1240-1309) et Albertino Mussatto (1261-1329), issus, tous les deux, du milieu jurisprudentiel et intéressés à la grammaire latine classique, grâce à l’étude de laquelle vit le jour une vaste production de textes en prose et en poésie s’inspirant du style des écrivains classiques latins (Reynolds-Wilson 1991, p. 124-127). Florence devint le centre le plus important de ce mouvement à partir de la troisième génération, dont fit partie Pétrarque, qui joua d’ailleurs un rôle essentiel de connexion culturelle et de transfert de livres entre la cour papale d’Avignon et la ville italienne : sensible aux questions littéraires et philologiques (Tite Live, Properce et Cicéron furent, en particulier, l’objets de ses intérêts culturels), il n’eut, comme ses contemporains, qu’une connaissance médiocre du grec, malgré sa possession d’un des manuscrits les plus importants du corpus platonicien (le Paris, BNF gr. 1807 : Carlini s. p.) et nonobstant les enseignements d’un savant tel que Léonce Pilate, à Florence à partir de 1360 (Reynolds-Wilson 1991, p. 128-132). Ce ne fut qu’avec la génération suivante, la quatrième, qu’une nouvelle méthode d’enseignement de la langue grecque, importée par Manuel Chrysoloras à Florence, en 1397, permit le développement d’une sensibilité linguistique et d’un intérêt nouveaux pour les textes grecs. L l’humanisme italien change ainsi de forme en s’intéressant de plus en plus aux ouvrages en cette langue, d’autant que la crise politique de l’empire byzantin d’abord et la chute de Constantinople ensuite avaient accentué la nécessité et l’urgence de tout effort visant au sauvetage de ces livres. Chrysoloras arriva en Italie grâce à Coluccio Salutati (1331-1406), chancelier de la République florentine et savant distingué (Reynolds-Wilson 1991, p. 134-136), et ce fut encore grâce à lui que la première chaire d’enseignement du grec fut créée à Florence. Mais les intérêts de Coluccio portaient en même temps sur la Rome républicaine, considérée comme un modèle idéal pour la République florentine : il fit de la recherche de livres et de manuscrits anciens et médiévaux l’une de ses priorités, si bien que sa bibliothèque comptait, semble-t-il, environ huit-cent volumes. Les humanistes de la cinquième génération (celle de Poggio Bracciolini, de Niccolò Niccoli, de Leonardo Bruni et de Pier Paolo Vergerio) sont, de ce point de vue, sans aucun doute débiteurs à l’égard de la précédente, et notamment de Coluccio, mais ce fut grâce à eux qu’une sensibilité philologique au sens moderne du terme a pu se développer. Désormais, il ne suffit plus au savant de découvrir des manuscrits anciens, ou contenant des ouvrages anciens inconnus, mais le travail de recherche comporte la confrontation (collatio) entre plusieurs exemplaires d’un même ouvrage, une pratique se répandant de plus en plus, et qui a pour but non seulement l’amélioration du texte mais aussi – ce qui est nouveau – la compréhension des dynamiques par lesquelles les corruptions textuelles se produisent (Timpanaro 1963). Dans ce cadre, le concile itinérant de Basel-Constance (1414-1418) a eu une importance spéciale, car il a permis, d’un côté, la découverte d’anciens manuscrits dans les territoires germaniques (qu’on pense à Bracciolini, qui y participa en tant que secrétaire papal et qui découvrit des manuscrits contenant plusieurs textes jusqu’alors oubliés dans les monastères de Cluny et Saint-Gall [Reynolds-Wilson 1991, p. 134-137]) et, de l’autre, la diffusion en Europe de sensibilités propres à l’Italie septentrionale. Entre temps, l’intérêt pour les textes grecs anciens engendra des activités de plus en plus intenses de recherche de manuscrits byzantins, activités prenant souvent la forme d’échange et d’achat de volumes en Italie méridionale, mais surtout dans l’Orient de la Méditerranée, notamment à Constantinople, grâce aux initiatives d’individus tels que Jean Aurispe (1476-1459), François Philelphe (1398-1481) et le cardinal Basile Bessarion (1408-1472). Ce dernier eut une importance spéciale dans la transmission en Europe occidentale du patrimoine littéraire – et notamment philosophique – de l’Antiquité grecque : qu’on pense aux manuscrits d’ouvrages de Platon et de ses commentateurs, qu’il obtint de son maître George Gémiste Pléton et qu’il apporta en Europe occidentale, avec plusieurs autres livres, des territoires byzantins (et ex-byzantins). Mais ce qui rend l’importance de Bessarion encore plus remarquable, c’est qu’il légua, en 1468, sa collection de livres à la république de Venise, constituant ainsi le fond ancien de la Biblioteca Marciana (Pagani 2009). Bessarion a en outre accompli des travaux ecdotiques au sens moderne, parvenant – grâce à la confrontation entre plusieurs exemplaires des mêmes ouvrages, à la formulation de conjectures textuelles, à la lecture de sources indirectes et à la mise en place de transcriptions de travail – à de véritables éditions critiques ante litteram (cf. Labowsky 1966 et Labowsky 1979). Contemporain de Bessarion fut Lorenzo Valla (1407-1457), qui contribua à l’évolution des méthodes philologiques, en consacrant des études ponctuelles à l’émendation des parties parvenues de l’ouvrage de Tite-Live, mais aussi à l’analyse historique et linguistique de faux textes considérés jusqu’alors comme originaux (la Donatio Constantini et l’apocryphe paléochrétien des lettres de Paul et de Sénèque). Finalement, Angelo Poliziano (1454-1494), en étudiant des manuscrits différents des épitres familiares de Cicéron, comprit le principe généalogique permettant de reconstruire les rapports d’interdépendance des livres qui partagent des fautes : cette méthode lui permit aussi de reconnaitre ceux qui, copiés d’autres livres conservés, ne s’avèrent pas utiles dans la reconstruction du texte originaire. Il formula ainsi le principe de la eliminatio codicum descriptorum, encore aujourd’hui central dans la phase initiale de toute constitutio textus (Pyle 1996).

L’Époque moderne
Entre le XVe et le XVIe siècle, des dynamiques opposées interférèrent avec l’évolution des pratiques philologiques, non seulement dans le foyer du mouvement humaniste, l’Italie, mais, plus généralement, en Europe. Par ailleurs, l’introduction et la diffusion de l’imprimerie changèrent progressivement les modalités de circulation des textes et les processus ecdotiques. Compte tenu du fait que l’impression des ouvrages en grec s’avéra tout de suite moins rentable que celle des textes latins (pour des raisons de marché et techniques, car la notation des esprits et des accents rendait le travail typographique plus complexe), l’activité éditoriale d’Alde Manuce (1449-1515) est d’autant plus remarquable : il fonda sa maison d’imprimerie à Venise, en raison d’un côté de la renommée de Bessarion et de sa bibliothèque (cf. supra), de l’autre, pour la liberté d’expression qui y était garantie (cf. infra). Mais il fit aussi un calcul d’ordre économique : indépendamment des éditions aldines, environ la moitié des incunables (les livres imprimés avant l’an 1500) a été produite dans la République, signe qu’à l’époque de Manuce elle hébergeait un ample public potentiel. Alde et son cercle (dans lequel était actif, en tant qu’éditeur, Markos Mousuros [v. 1470-1517], qui fut professeur de grec à Padoue, Venise et Rome) éditèrent une quantité remarquable de textes grecs, parmi lesquels ceux de Musée, Thucydide, Démosthène, Hérodien, Théocrite, Hésiode, Aristote, Théophraste, Sophocle, Euripide, Hérodote, Pollux, Stéphane de Byzance, Philostrate. Ces éditions se basaient généralement sur un travail complexe d’émendation à partir du manuscrit (ou des manuscrits) choisi(s) et dans quelques cas sur l’harmonisation, dans la page imprimée, du texte et d’un vaste apparat de scholie.

Entretemps, une série de nouvelles acquisitions dans le processus ecdotique virent le jour : Pier Vettori (1499-1585), dans son édition de la Rhétorique d’Aristote, même s’il n’appliqua pas la méthode stemmatique (cf. infra), donna une véritable dignité philologique à la tradition indirecte, mettant en valeur la version latine du texte due à Guillaume de Moerbeke et parvenant ainsi à reconstruire et à utiliser le texte grec que celui-ci avait eu sous les yeux ; Francesco Robortello de Udine (1516-1567) écrivit, en 1557, le premier manuel de critique textuelle (De arte critica sive ratione corrigendi antiquorum libros disputatio).

Mais, à côté de ces évolutions importantes, l’idée et la pratique des activités ecdotiques et d’étude philologique connurent une série d’obstacles, parmi lesquels l’édition papale de la Vulgate latine, en 1540, et l’excommunication pour tous ceux qui ne l’utiliseraient pas comme texte d’autorité ; les délibérations restrictives du Concile de Trente (1545-1563) et la création de l’index librorum prohibitorum (publié en 1559 et confirmé en 1564) ; la création par Sixte V, en 1587, de la typographie vaticane et, dès lors, la revendication, par l’Église de Rome, d’un contrôle minutieux à l’égard des questions philologiques ayant trait à la diffusion des textes, et notamment des textes sacrés.

Ce n’est pas un pur hasard si, justement à partir des années à cheval sur le XVe et le XVIe siècle, l’activité philologique, réduite en Italie, se fit plus intense dans l’Europe du Nord. Érasme de Rotterdam (1469-1536), moine bénédictin et professeur de langue grecque à l’université de Cambridge, participa par exemple à la première édition imprimée de la Bible basée sur une véritable étude philologique, ainsi qu’à l’édition de plusieurs Aldine, à Venise (Reynolds-Wilson 1991, p. 158-163). La France, où l’étude de la langue grecque ne commença qu’à partir de 1495, grâce à Janus Lascaris (qui contribua à la création de la Bibliothèque Royale sous François Ier), connut un important regain d’intérêt pour les textes classiques alimenté, d’un côté, par la philologie proprement dite et les éditions des textes (grâce à Guillaume Budé [1468-1540], aux deux italiens Giulio Cesare et Giuseppe Giusto Scaliger [1484-1558 et 1540-1609], qui anticipèrent l’idée de la philologie comme connaissance globale de l’Antiquité, une sorte Altertumswissenschaft [cf. infra], à Adrian Turnèbe [1512-1565], Isaac Casaubon [1559-1614]) ; de l’autre, par la lexicographie (grâce à Robert et Henri Stephanus [1503-1559 et 1528-1598], dont le premier publia aussi, en 1551, une édition de la Vulgate basée sur une quinzaine de manuscrits), ainsi que la paléographie et la diplomatique, deux disciplines qui établirent les études textuelles sur le fondement d’une rigoureuse utilisation des sources manuscrites. Le rôle joué par l’ordre bénédictin et notamment par la Congrégation de Saint-Maur fut en ce sens central : en effet, de la congrégation fit partie Dom Jean Mabillon (1632-1707) qui, après une longue pratique sur les documents médiévaux, écrivit le De re diplomatica (1681), le texte fondateur de la diplomatique moderne. Un autre membre de la congrégation, Dom Bernard de Montfaucon (1655-1741), quelques années plus tard, avec son De palaeographia graeca (1707) fonda la paléographie grecque. La Hollande contribua à la modernisation de la philologie grâce à la fondation des universités de Louvain (1425) et du Collegium Trilingue pour l’étude du latin, du grec et de l’hébreu, ainsi que de l’université de Leiden (1575) et, plus tard, au moyen d’une intense activité ecdotique (qu’on pense à Juste Lipse [1547-1606]) et d’élaborations théoriques (par exemple avec la définition, par Jean Le Clerc [1657-1736], du principe de la lectio difficilior). L’Angleterre connut un génie isolé tel que Richard Bentley (1662-1742), qui, en 1721, projeta une édition du Nouveau Testament basée sur des manuscrits anciens. Ce projet, jamais réalisé, qui mettait en question, pour la première fois d’une manière organique, l’autorité textuelle de la Vulgate, constitue d’un certain point de vue le seuil de la philologie moderne à proprement parler, laquelle ne s’établira en véritable système qu’à la fin du XVIIIe siècle (De Lacombe 2008, p. 3).

La philologie du XVIIIe siècle à aujourd’hui : Altertumswissenschaft et discipline technique
Après le choc de la guerre de Trente ans (1618-1648), ce ne fut que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle que l’Allemagne devint un centre avancé pour les études de philologie : Friederich August Wolf (1759-1824), l’auteur d’un ouvrage fondamental pour l’histoire de la discipline, les Prolegomena ad Homerum (1795), affirma la nécessité d’une vision totalisante de la philologie, conçue comme Altertumswissenschaft, c’est-à-dire une méthode d’étude historique globale, fondée sur la convergence de toutes les sources disponibles concernant l’Antiquité (Wolf 1803, p. 30). Cette conception fut partagée par nombre d’historiens et d’auteurs d’histoire de l’art et, en particulier, de l’architecture, ainsi que par des philologues (par exemple Wilamowitz 1921, p. 72) et un philosophe pourvu d’une solide formation philologique tel que Frederick Nietzsche (1844-1900), selon qui l’activité philologique consiste à « savoir déchiffrer des faits sans les fausser par des interprétations » (Nietzsche 1888, [60]). Dans une optique tout à fait différente, un philologue chevronné tel que Johan Gottfried Hermann (1772-1848), affirma la nécessité de concentrer l’attention sur le fait linguistique, seul moyen à son avis de reconstruire les dynamiques culturelles du passé et donc d’en éditer correctement les textes. Une tentative de conciliation entre ces deux conception eut lieu dans le cadre des études de linguistique, lorsque Ferdinand de Saussure (1957-1913), liant la grammaire et la philologie dans une dynamique historique triphasée, affirma que « la science qui s’est constituée autour des faits de langue est passée par trois phases successives : la philologie […] qui veut avant tout fixer, interpréter, commenter les textes ; cette première étude l’amène à s’occuper aussi de l’histoire littéraire, des mœurs, des institutions, etc. Partout elle use de sa méthode propre, qui est la critique. Si elle s’occupe de questions linguistiques, c’est surtout pour comparer des textes de différentes époques, déterminer la langue particulière à chaque auteur, déchiffrer et expliquer des inscriptions rédigées dans une langue archaïque ou obscure […]. La troisième époque commença lorsque l’on découvrit que l’on pouvait comparer les langues entre elles. Ce fut l’origine de la philologie comparative ou grammaire comparée » (de Saussure 1972). Quoi qu’il en soit, le statut épistémologique de la philologie en tant que discipline spéciale ne pouvait que se renforcer grâce à la conception d’une méthode ecdotique spécifique, la méthode stemmatique proprement dite (cf. infra), dont la fondation remonte à un élève de Hermann, Karl Lachmann (1793-1891). Cette méthode fut appliquée pour la première fois formellement dans l’édition de 1852 du De rerum natura de Lucrèce, même si des intuitions en ce sens ne manquent pas chez Politien, Érasme de Rotterdam, Scaliger (cf. supra). Elle se base sur une série d’opération spécifiques (la recensio, comportant la détermination des témoins, puis la confrontation systématique de leurs leçons ou collatio [un procédé tout à fait mécanique pour Lachman], l’eliminatio codicum descriptorum, c’est-à-dire l’exclusion, de l’analyse, des témoins qui s’avèrent des copies d’autres témoins conservés), opérations visant à reconnaitre les fautes communes à des manuscrits différents, fautes qui en permettent le regroupement en familles ou branches. Cette dernière opération comporte la constitution d’un stemma codicum qui, semblable à un arbre généalogique, a – à son sommet – un archétype, c’est-à-dire la source perdue de la tradition conservée, source déjà caractérisée par une ou plusieurs fautes. La reconstruction de cette source, effectuée d’après la méthode dite mécanique, permet d’atteindre le stade textuel le plus proche possible de l’auteur en cause. La correction de ces erreurs archétypiques, visant à la reconstruction du texte originaire, est un passage ultérieur qui doit se baser sur des principes internes, notamment celui de l’usus scribendi. Au cours du XIXe et du XXe siècle, on relève que trois circonstances limitent sérieusement l’efficacité de cette méthode : la bipartition presque universelle des stemmata ; la contamination ; la possibilité qu’une tradition soit ‘ouverte’. Ce fut le Français Joseph Bédier (1864-1938), qui, en 1928, dans la seconde édition du texte français Lai de l’Ombre, nota l’inefficacité de la méthode lachmannienne vis-à-vis des traditions biparties, y opposant la méthode dite du ‘bon manuscrit’, c’est-à-dire du témoin que le philologue devrait choisir, en vue de publier son texte épuré des erreurs qu’il a été capable de reconnaitre. Cette méthode évidemment régressive fut refusée par Giorgio Pasquali (1885 - 1952), qui, en parlant de « dadaïsme scientifique » récupéra l’enseignement de Lachmann – perfectionné à l’époque par Paul Maas – et affirma la nécessité de considérer l’existence d’éditions ouvertes, c’est-à-dire de textes ayant connu, depuis leur phase génétique, des remaniements donnant lieu à des variantes d’auteur (sur la question, cf. Corbellari 1997, p. 546 et ss.). Pasquali s’occupa aussi du problème de la contamination et proposa de fonder la méthode stemmatique sur une solide connaissance de l’histoire de la tradition, qui tiendrait compte des caractéristiques de chaque témoin manuscrit en tant qu’objet historique inscrit dans un contexte. Nonobstant des oppositions (qui ont essayé de distinguer encore une fois Textgeschichte et Textüberlieferung : cf. Stegmüller - Erbse - Imhof - Büchner 1961, p. 311-315 mais cf. aussi la réaction de Mariotti 1968), Pasquali semble avoir réellement réuni les deux âmes de la philologie moderne, ouvrant le chemin à de nouveaux développements, ceux justement qui, dans une dialectique toujours complexe entre des orientations différentes (cf. supra), marquent la philologie contemporaine. Une philologie qui s’est caractérisée, au cours des dernières quarante annnées, par une attention croissante à l’égard des facteurs matériels de la transmission manuscrite : on parle donc d’une ‘philologie matérielle’, c’est-à-dire d’une discipline qui se concentre, outre que sur les textes, sur les caractéristiques physiques de leurs vecteurs, afin d’obtenir des renseignements fonctionnels à la reconstruction de l’histoire de la tradition des textes eux-mêmes, de leur recensio, ainsi que de leur édition (Cavallo 1999). Une telle approche, qui se veut un complément à la conception de Pasquali (Cavallo 1984), est fondée sur l’idée que les transformations des sociétés produisent des mutations dans les formes de la transmission textuelle : mutations qui, intéressant à la fois la forme du support, la typologie graphique et les caractères du texte lui-même, conditionnent les formative stages de la tradition textuelle (Cavallo 1995b et en général Pecere - Reeve 1995). La philologie matérielle se fonde, entre autres, sur une collaboration étroite entre paléographie, codicologie et philologie, en ce sens où les trois disciplines sont mises en valeur dans une optique synergique, si bien que chaque manuscrit, considéré comme un objet historique, est analysé suivant une méthode ‘stratigraphique’ visant à reconstituer les processus matériels, intellectuels et culturels qui sont à la base de sa réalisation (Ronconi 2007).

FILIPPO RONCONI

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Pour citer :
Filippo Ronconi, « Philologie gréco-latine », in Houari Touati (éd.), Encyclopédie de l’humanisme méditerranéen, printemps 2014, URL=http://www.encyclopedie-humanisme.com/?Philologie-greco-latine#antiquite