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Platonisme arabe

 Introduction

Le néoplatonisme (ou plutôt ses différentes élaborations dans le monde arabo-islamique, qui allèrent bien souvent au-delà des intentions des formulations originelles, qu’elles fussent le fait de Plotin, de Proclus ou d’autres auteurs, et qui furent généralement réunies, avec les modifications nécessaires, dans la soi-disant Theologia Aristotelis : D. De Smet, Les Bibliothèques ismaéliennes, p. 488 ss.) imprègne l’ensemble de la pensée islamique, dans sa dimension de falsafa d’origine grecque aussi bien que dans ses élaborations ismaéliennes (qui sont non moins importantes même si elles sont peut-être moins connues que celles des falāsifa). Le néoplatonisme en influence de nombreux aspects, parmi lesquels le rôle important joué par l’explication de l’origine du monde en termes d’émanation et par la relation établie entre l’Âme Universelle et les âmes humaines particulières.

Par « platonisme arabe », on entend par conséquent se référer dans le présent article à la tradition arabe des ouvrages et de la pensée de Platon (428 [ou 427]-348 [ou 347] av. J.-C.), en la distinguant de la réception des idées d’origine néoplatonisante, bien que dans le monde ancien le néoplatonisme ne fût pas considéré comme une école philosophique indépendante, mais plutôt comme un approfondissement ou une interprétation de la pensée de Platon.

Dans la tradition philosophique arabe, Platon (ou Aflāṭūn, selon que son nom est traduit en arabe) est souvent (par exemple, par l’historien des religions Muḥammad b. ‘Abd al-Karīm al-Shahrastānī, m. 548/1153) appelé ilāhī, lit. « divin ». Si la première signification de ce terme concerne la religion, au sens figuré il indique la « métaphysique ». C’est la conséquence de la traduction du titre de l’ouvrage aristotélicien Metà tà physikà [biblìa] non seulement – d’une façon littérale – comme « Livre de ce qui se trouve à côté de la nature », mais aussi comme « Livre des [choses] divines ». Il s’agit d’une allusion, non plus aux livres placés par Apollonios de Rhodes « à côté de ceux qui sont consacrés à la nature », mais à la science qui concerne « ce qui se trouve au-delà de la nature », c’est-à-dire le monde transcendant, le monde divin. Et cela semble l’objet notamment reconnu dans l’œuvre de Platon, lequel est donc opposé aux conceptions des « naturalistes » (au sens de « matérialistes »). Dans le monde ancien, cette œuvre concluait le curriculum philosophique qui commençait par les Stoïciens et se poursuivait avec Aristote.

Cela peut être une des raisons pour lesquelles tous les plus grands philosophes musulmans abordèrent les doctrines de Platon en tâchant de les concilier avec celles d’Aristote, selon une pratique « concordiste » tendant à démontrer que, malgré leurs différences, les deux penseurs se réfèrent à la sphère commune de l’ilāhiyya. Parmi ces philosophes musulmans, Abū Naṣr al-Fārābī (m. 339/950) – sur lequel on reviendra plus tard – consacra à ce sujet un ouvrage explicitement intitulé al-Kitāb al-Jāmi‘ bayna ra’yayy al-ḥakīmayn Aflāṭūn al-ilāhī wa Arisṭūṭālīs (« Le livre qui recueille l’opinion des deux sages, le divin Platon et Aristote ») (Martini Bonadeo, « Al-Fārābī, 4. La metafisica », p. 403-405 et 444-445).

Dans ces conditions, l’historien est confronté à une série de questions fondamentales : comment concevoir les différentes élaborations philosophiques en Islam ? Si la plupart d’entre elles utilisaient les idées empruntées au néoplatonisme pour donner un revêtement philosophique à la doctrine du kun coranique et de l’origine du monde à partir de Dieu, furent-elles pour autant de simples versions « rationalisées » du récit sacré ayant pour but de reconnaître Dieu comme la cause première du tout ? À moins de considérer que ces élaborations – d’autant qu’elles s’appuyaient sur des théories d’origine « étrangère » – était complètement en dehors des perspectives propres à la communauté musulmane, et donc de les accuser légitimement de kufr, comme l’ont justement fait de nombreux théologiens et penseurs sunnites, à commencer par le plus important et le plus célèbre d’entre eux Abū Ḥāmid al-Ghazālī (m. 505/1111) ?

On ne peut certainement pas oublier la polémique au 10e siècle entre le logicien Abū Bishr Mattā ibn Yūnus et le grammairien Abū Sa‘īd al-Sīrāfī, polémique qui avait pour objet ultime l’option en faveur de la langue d’origine sacrée ou bien d’une science étrangère. Quant à l’éducation qui aurait pu signifier, à son achèvement complet, une pleine maturité intellectuelle, au sens d’une pleine émancipation de la perspective religieuse, les encyclopédies et les collections de mirabilia (merveilles de l’homme et de la nature) s’en sont éloignées en ayant toutes pour objectif la proclamation d’un Dieu unique créateur tenu pour le maître le plus savant et dont chaque savant digne de ce nom est destiné à reconnaître l’inaccessible supériorité. La fin ultime de la première de ces encyclopédies, celle des Ikhwān al-Ṣafā’, dont la rédaction finale est placée dans la seconde moitié du 10e siècle, est portée par cette vision de Dieu, bien que préparée par l’acquisition d’un curriculum des sciences complet à l’intérieur duquel un rôle fondamental est accordé aux sciences d’origine étrangère. Et comme on le verra, les Ikhwān al-Ṣafā’ eux-mêmes ont préservé ce qui est aujourd’hui le seul fragment de Platon qui nous soit resté en traduction arabe. Ils l’ont préservé de la façon la plus fidèle du point de vue textuel, mais en le plaçant dans un contexte qui n’a désormais plus rien à voir avec l’originaire.

Sur la base de ces considérations méthodologiques, on abordera la question de la réception de Platon en tenant compte de ce qui pouvait le plus intéresser les Arabes musulmans, tout en mettant l’accent sur les différentes réélaborations de cette pensée conçues comme un reflet de leur culture propre et, bien sûr, de leur religion avec le soucis de souligner les convergences sans taire les divergences.

Cet article est composé de deux parties. Dans un premier temps, on considèrera brièvement quels furent les ouvrages de Platon connus par les Arabes et par quelles voies le furent-ils. Dans un second temps, on se préoccupera de savoir quels aspects de la pensée de Platon furent élaborés, par quels auteurs et dans quels buts. Et pour répondre à ces questions, on tiendra compte de trois sortes de sources : 1) les bio-bibliographies et les doxographies ; 2) les traductions de Platon parvenues jusqu’à nous ; et 3) les sources indirectes, c’est-à-dire ce que les auteurs musulmans ont théorisé en se référant à Platon.

 Ce que les Arabes connurent de Platon

Les sources bio-bibliographiques arabes sont très nombreuses, et elles couvrent une période qui s’étend sur plusieurs siècles (du 9e au moins jusqu’au 17e, avec les ouvrages de Ḥajjī Khalīfa). Parmi les plus importantes, il y a le Fihrist (« Index ») d’Ibn al-Nadīm (m. 385/995). Achevé, comme le dit l’auteur lui-même en 377/987-88, il donne un compte-rendu du savoir religieux, littéraire, philosophique et scientifique de son époque. Selon une tradition légendaire, le Fihrist serait une liste de tous les ouvrages existants dans la bibliothèque d’Alexandrie. Ce qui est certain, c’est que les œuvres bio-bibliographiques recensées sont fondées sur des connaissances philologiques très vastes aussi bien que sur un grand soin dans l’exposition des données d’une recherche concernant non seulement les traductions, mais aussi les commentaires et même les collations des différents manuscrits repérés. Ici on a résumé le Fihrist et une autre source également importante, le Ta’rīkh al-ḥukamā’ (« L’Histoire des Savants ») de Jamāl al-Dīn al-Qifṭī (m. 646/1248), lequel reprend très souvent le Fihrist à la lettre.

Al-Qifṭī considère Platon comme l’un des cinq piliers de la sagesse avec Pythagore, Empédocle, Anaxagore et Socrate. Les bio-bibliographes citent presque tous les dialogues de Platon. Comme plusieurs titres dérivent des noms de quelque personnage du dialogue en question, ils sont souvent difficiles à reconnaître. En outre, on remarque des erreurs dans l’attribution de certaines doctrines. Par exemple, la distinction des cinq genres suprêmes du Sophiste est parfois attribuée à Aristote. Les bio-bibliographes se basent aussi sur des sources anciennes (par exemple al-Qifṭī cite Théon d’Alexandrie). Parmi les éléments les plus intéressants des bio-bibliographies on trouve : la généalogie de Platon ; son inclination juvénile pour la poésie, qu’il abandonna après avoir appris sa condamnation de la part de Socrate ; ses engagements politiques et ses rapports avec Dionysos de Syracuse. De telles sources ne manquent pas d’incohérence. Ainsi al-Qifṭī place-t-il la mort de Platon en l’an treizième du règne de Lagos (mais Alexandre naquit en 356 tandis que Platon murut en 347 ; le « Lagos » dont al-Qifṭī parle pourrait donc être Ptolémée Ier Sôter, dont le règne se situe quelques décennies plus tard).

Comme c’est souvent le cas dans le processus de transmission de la pensée et des sciences grecques en arabe, les premiers intermédiaires de la philosophie de Platon furent syriaques. Ainsi Yaḥyā ibn al-Biṭrīq (8e/9e siècles) traduisit-il le Timée, Ḥunayn ibn Isḥāq (m. 260/873) la République qu’il commenta ainsi que les Lois, le Timée et le Sophiste avec le commentaire d’Olympiodore et Yaḥyā ibn ‘Adī (m. 364/974) les Lois après avoir révisé le Timée.

Bien que non parvenus en entier, on connaissait également l’Apologie de Socrate, le Phédon, le Criton et le discours d’Alcibiade tiré du Banquet.

À la suite de la tradition tardo-antique, on avait aussi à disposition des abrégés du Timée, de la République et des Lois, avec leurs interprétations hellénistiques, galéniques et néoplatoniciennes. Très importants sont les épitomés réalisés par Galien du Cratile, du Sophiste, du Politique, du Parménide et de l’Euthydème. Quelques idées platoniciennes furent finalement réélaborées dans la Theologia Aristotelis et dans le De causis attribué à Proclus (« Sur le bien suprême ») (Klibansky, The continuity of the Platonic tradition, p. 14 ss. ; Walzer, Platonismus in der islamischen Philosophie, p. 443-444).

Les dialogues qui, pour les raisons les plus variées, ont le plus influencé les philosophes musulmans sont l’Apologie de Socrate, le Criton, le Phédon, le Cratile, le Timée, la République et, en partie, les Lois.

À ces données bio-bibliographiques déjà connues, il n’est possible de rien ajouter actuellement. Aussi l’esquisse du « platonisme arabe » présentée ici ne peut-elle prétendre à l’exhaustivité. Pour autant elle n’est pas dépourvue de renseignements théorétiques.

 Les traductions préservées de Platon

S’agissant des traductions, seule une version de la légende de l’anneau de Gygès (roi de Lydie entre 716 et 678 av. J.-C. qui s’empara du trône du tyran Candaule en le tuant et en épousant sa veuve) nous est parvenue. Platon en parle dans le Livre II de la République. La traduction arabe est transmise dans l’Épître sur la magie des Ikhwān al-Ṣafā’, la dernière de leur encyclopédie (cf. Rasāʾil Ikhwān al-Ṣafāʾ, vol. IV, p. 287, 13-288, 11 = p. 18-21 texte arabe, dans de Callataÿ – Halflants (éds.), On Magic  ; voire aussi p. 97-100, trad.). Mais alors que Platon la raconte afin de démontrer que, s’il savait qu’il ne serait pas repéré, l’homme choisirait l’injustice, les Ikhwān la citent comme un exemple de mauvaise utilisation de la magie : une science si haute ne doit pas tomber entre les mains de ceux qui ne sont pas en mesure de la gérer car cela serait source de grands dommages. Exception faite de quelques petites différences, la version est identique à l’original, preuve supplémentaire du soin avec lequel les traductions d’ouvrages grecs étaient accomplies. Mais que les « Frères » lui aient attribué une signification radicalement différente ne veut pas dire « falsification », mais seulement « élaboration » d’un original qui est introduit dans un contexte historique absolument nouveau.

L’idée que la magie est l’apanage exclusif de l’imām se trouve à la base de ce changement de perspective. Dans la même épître, les Ikhwān comptent la magie parmi les sciences secrètes destinées aux élus, avec la médecine, l’alchimie et le « livre des secrets des hommes et des femmes », cf. Rasāʾil Ikhwān al-Ṣafāʾ, vol. IV, p. 286, 22-287, 2 ; 305, 8-14). En effet, les opérations magiques ou alchimiques peuvent être considérées comme des formes de « création ». Grâce à la connaissance ésotérique du Livre sacré reçue du prophète, l’imām est le seul qui soit en mesure d’accomplir cette sorte de « création » sinon à partir de rien du moins à partir de quelque chose (bien qu’à strictement parler, on ne trouve pas de « création à partir du rien » dans le Coran même).


 Thèmes platoniciens réélaborés par les penseurs musulmans

La deuxième question à aborder est la suivante : comment, par qui, et pour quelles raisons la pensée de Platon a été réélaborée dans le milieu arabo-islamique.

On peut détecter des traces de Platon chez quasiment tous les grands penseurs musulmans, à commencer par Abū Yūsuf Ya‘qūb ibn Isḥāq al-Kindī (m. ca. 252/866). Le platonisme du premier « philosophe des Arabes » est perceptible dans le syncrétisme qu’il en a réalisé avec certaines doctrines d’Aristote ou des néoplatoniciens.

Comme le remarque Gerhard Endreß, il n’y a pas de textes de Platon ou d’Aristote à la base des références d’al-Kindī à ces auteurs, mais on aurait bien pu trouver dans sa « librairie » – outre, bien sûr, la Theologia Aristotelis – le Phédon, le Timée dans la version de Yaḥyā ibn ‘Adī, le Banquet, le Criton, l’Apologie de Socrate et les gnomologes attribués à Platon.

Du Phédon vint le Kitāb al-tuffāḥa (le « Livre de la pomme »), qui rapporte le dialogue d’Aristote mourant avec ses disciples (cf. Rasāʾil Ikhwān al-Ṣafāʾ, vol. IV, p. 35, 18-21). On y discute l’idée qu’après la mort, l’âme du philosophe trouverait la demeure éternelle des âmes bénies (Endreß, Building the Library of Arabic Philosophy, p. 328-333).

Platon a souvent été considéré comme celui qui a transmis la mathématique pythagoricienne. Cependant du Menon on décèle présence moins dans la théorie kindienne – néoplatonicienne – exprimée dans l’ouvrage intitulé « Ce dont l’âme se souvient de ce qu’elle possédait dans le monde de l’Intellect » que dans l’Épitre de Thābit ibn Qurra « Sur l’argument attribué à Socrate à propos du rectangle et de son diamètre », bien qu’elle n’ait rien à voir avec la doctrine de l’anamnèse (Endreß, Building the Library of Arabic Philosophy, p. 328).

Le Commentaire de Plutarque au Timée fut à son tour discuté par le médecin et philosophe Abū Bakr al-Rāzī (m. ca. 313/925) qui utilisa largement ce dialogue. Mais il cite aussi d’autres dialogues platoniciens, tout comme l’historien et voyageur Abū ’l-Ḥasan ‘Alī ibn al-Ḥusayn al-Mas‘ūdī (m. 345/956), le philosophe Abū ‘Alī ibn Sīnā (le latin Avicenne, m. 429/1037), le savant Abū Rayḥān al-Bīrūnī (m. 440/1048) et le philologue et philosophe Ibn al-Sīd al-Baṭalyusī (m. 521/1127) (Klibansky, The continuity of the Platonic tradition, p. 14).

Parmi les éléments reliés à la République figure, par exemple, la représentation du soleil comme principe premier (Endreß, Building the Library of Arabic Philosophy, p. 331). L’ouvrage inspira aussi l’idée, partagée par tous les philosophes musulmans, que l’Intellect actif (filiation du noùs poietikòs aristotélicien) est « séparé » du monde sublunaire, et non plus inhérent à l’âme humaine ; ou la tripartition de l’âme humaine (Hasse, Plato arabico-latinus, p. 41), associée aux quatre vertus cardinales. Il s’agit d’éléments qui se retrouvent déjà chez al-Kindī et qui furent ensuite différemment réélaborés par les philosophes musulmans.

L’influence de Platon est manifeste aussi chez Avicenne, surtout dans les connotations religieuses de sa pensée selon laquelle les limites de la pratique islamique sont dépassées par le but de la vision philosophique de Dieu (ibid., p. 457-459).

Outre les falāsifa tels qu’al-Kindī, al-Fārābī et Avicenne, parmi les penseurs et propagandistes ismaéliens, Ḥamīd al-Dīn al-Kirmānī (m. après 995/1020) semble avoir eu accès aux commentaires de Proclus au Timée et au Parménide grâce à une source intermédiaire, sans doute une doxographie (De Smet, Les Bibliothèques ismaéliennes, p. 489).

Dans l’Occident islamique, Averroès (en arabe Abū ’l-Walīd Muḥammad Ibn Rushd (m. 595/1198) emprunta au Timée (67c-71d) l’emplacement de la raison dans le cerveau, du thymòs (les émotions/le courage) dans le cœur et de la passion dans le foie (Hasse, Plato arabico-latinus, p. 39).

À partir des Arabes, le platonisme fut transmis aux Latins au 12e siècle, via des penseurs juifs (Klibansky, The continuity of the Platonic tradition, p. 17). Bien que la tradition platonicienne au Moyen Âge latin sorte du domaine de cet article, on voudrait néanmoins évoquer la traduction du Kitāb al-tuffāḥa en persan et en hébreu. De cette dernière langue, l’ouvrage aurait été traduit en latin, sur ordre du roi Manfred, sous le titre de Liber de Pomo et connu une large circulation. Quant au Démiurge du Timée (voir infra), à la suite des Arabes, il fut appelé dator formarum (« donneur de forme » = traduction de l’arabe wahhāb al-ṣuwar) par les Scolastiques du 13e siècle (Hasse, Plato arabico-latinus, p. 42-45).

Enfin, il faut rappeler la reprise, à partir de l’Averroès latin, de l’opposition établie dans le Somnium Scipionis de Macrobe entre le premier moteur immobile d’Aristote et l’âme automotrice de Platon, qui selon Averroès ne peut cependant expliquer le mouvement physique terrestre (Hasse, Plato arabico-latinus, p. 40).

 Sources indirectes et réélaborations platoniciennes

Aussi surprenant que cela puisse paraître, il y a peu de traces de la doctrine platonicienne de la réminiscence (anamnesis), brièvement citée dans l’Épitre 42 Sur les opinions et les religions des Ikhwān al-Ṣafā’ (cf. Rasāʾil Ikhwān al-Ṣafāʾ, vol. III, p. 424, 13-17).

Sans doute du fait qu’il vivait à une époque où la pensée islamique était à ses débuts, al-Kindī garda les domaines de la religion islamique et de la philosophie bien séparés, en considérant cette dernière, en cas de discordances évidentes entre conclusions philosophiques et préceptes religieux, comme la « servante de la théologie » (ancilla theologiae). Mais déjà quelques décennies plus tard, des idées contenues dans d’autres dialogues platoniciens sont réélaborées d’une façon très proche de la religion islamique. Dans cette réélaboration, les Ikhwān al-Ṣafā’ continuent à jouer un rôle important.

L’Apologie de Socrate, comme chacun le sait, contient le récit de la condamnation à mort de Socrate. Les raisons qui entrainèrent cette condamnation sont associées par les Arabes à l’accusation portée contre Socrate d’avoir voulu détourner les jeunes Athéniens de l’adoration des idoles – c’est-à-dire, de la religion officielle – en leur proposant un autre modèle de religiosité à suivre (une forme de monothéisme, à leur avis) (cf. Rasāʾil Ikhwān al-Ṣafāʾ, vol. IV, p. 34, 4-17 ; 73, 14-17).

Le Criton parle des vaines démarches des disciples de Socrate pour convaincre leur maître de prendre la fuite. Le respect du philosophe pour le nomos (ar. nāmūs, qui peut dans ce cas être assimilé à la sharī‘a islamique) est justement considéré comme une préfiguration du respect que le croyant musulman doit avoir pour la Loi révélée par Dieu ; on peut donc bien comprendre pourquoi les Arabes furent vivement attirés par le personnage de Socrate et par sa volonté de demeurer fidèle au nomos, jusqu’à l’extrême sacrifice de la vie (cf. Rasāʾil Ikhwān al-Ṣafāʾ, vol. IV, p. 34, 17-35, 11 ; 73, 17-74, 2).

Le Phédon aussi, centré sur l’immortalité de l’âme, devait beaucoup préoccuper les Arabes, même s’il faut remarquer que la théorie de la transmigration des âmes (tanāsukh) qui y est décrite ne pouvait être admise par la religion musulmane ; du dialogue, les Arabes privilégièrent donc surtout le moment où Socrate imagine son bonheur futur, en compagnie des bénis dans l’au-delà. En effet, le bonheur éternel du philosophe auprès de ses semblables rappelait ce qui était présenté comme l’idéal du sage musulman, c’est-à-dire « l’imitation de Dieu à mesure de la capacité humaine » (cf. Rasāʾil Ikhwān al-Ṣafāʾ, vol. IV, p. 58, 14-15 ; 175, 10-11 ; 271, 4-6 ; 304, 20-23). Une telle imitation – différemment décrite par les auteurs musulmans – préludait au bonheur éternel au paradis d’un échantillon duquel les « élus » pouvaient se réjouir déjà durant la vie terrestre.

Le Cratile, par contre, est important comme réaction à la conception grecque archaïque, partagée par les penseurs musulmans, selon laquelle le nom reflète la vraie nature de l’objet auquel il correspond. Il serait donc imposé par nature. À cette conception, on opposait une autre, plus récente, selon laquelle le nom est donné par convention. Elle avait été établie par Démocrite et, justement, par Platon dans ce dialogue. La conception « archaïque » (venue cependant aux Arabes non des Grecs, mais plutôt, semble-t-il, de sources cabalistiques) joue un rôle important dans le Coran même. Le verset 30 de la sourate II, qui dit que « Dieu enseigna les noms à Adam », est précisément interprété comme une légitimation de la recherche philosophique et scientifique dont l’origine première – la connaissance des noms, et donc des choses – aurait été révélée par Dieu au premier homme. Par conséquent, Adam devient le premier prophète aussi bien chez les sunnites que chez les shiites.

Le Timée, dialogue cosmologique et cosmogonique, est parmi les plus célèbres en philosophie musulmane, parce qu’il y introduit la figure du « Démiurge » (ṣāni’) (27c-31b). Le premier penseur qui emprunta cette idée est certainement Abū Bakr al-Rāzī, lequel, en dépit de son anti-prophétisme, continue de croire en un Dieu créateur. C’est sans doute grâce à l’influence de Platon qu’il ajoute à Dieu quatre principes éternels, désavouant ainsi la radicalité du monothéisme islamique. Et surtout, c’est en vue du Démiurge platonicien – qui assemble les formes dans la chòra, l’ « espace » constituant, selon Platon, la matrice de la matière (47e-48e) – qu’al-Rāzī établit que le processus de la création s’est produit non pas à partir du rien, mais à partir de quelque-chose, tout en faisant remarquer que la création « à partir de quelque-chose » est beaucoup plus difficile à réaliser que la création « à partir du rien ».

De quelle que façon que ce soit, dans sa représentation de l’origine du monde, et surtout de l’œuvre du Demiurge, le Timée paraissait extrêmement proche de l’hypothèse musulmane en faveur de la création ; ou, au moins, ses contenus cosmologiques semblaient les plus faciles à être conciliés avec cette hypothèse.

D’autre part, ce dialogue offrait l’occasion pour développer de nombreuses conceptions « naturalistes », comme par exemple les doctrines sur la sensation (61c-67c), les couleurs (67c-69a), et peut-être même la structure corpusculaire de l’univers (56c). À cela, fait pendant l’histoire de la transmission du Timée, qui semble avoir eu au moins deux traductions, dont l’une, sans doute, à caractère médical. Et c’est seulement en arabe que nous est parvenu le compendium du Timée par Galien (29-200/216 ap. J.-C.) (Kraus – Walzer, Galeni Compendium Timaei Platonis). Cela a de l’importance non seulement parce qu’il s’agit de l’un des nombreux cas où le monde arabe nous a restitué un ouvrage dont l’original était perdu, mais surtout parce que le texte galénique peut bien avoir été à l’origine de la lecture arabe en un sens cosmologique faite du dialogue original, (Baffioni, Sulle tracce di sofìa, p. 181 ss.).

Un développement très important de la pensée de Platon se retrouve à partir du 10e siècle dans les élaborations politiques des auteurs musulmans. La République est un dialogue extrêmement important pour la philosophie islamique parce qu’il décrit une vision politique – le gouvernement du philosophe – qui séduit de nombreux penseurs. On a en outre affirmé – erronément – que la Politique d’Aristote ne fut pas connue des Arabes. Si l’on peut douter de cela, en revanche, il n’y a pas de doute que Platon fut en philosophie islamique le premier point de repère pour la politique. Les Lois aussi étaient connues du monde arabe (al-Fārābī, par exemple, en écrivit un compendium (Gabrieli, Compendium Legum Platonis), mais peut-être seulement d’une façon partielle.

Si la philosophie politique chez les musulmans prend son origine dans Platon, elle connaît des développements particuliers grâce à différents auteurs. Comme chacun le sait, le philosophe de la République choisit finalement de montrer la vérité aux hommes. Dans la pensée musulmane, on trouve cette solution, mais également celle qui lui est opposée. Car le choix du gouverneur n’est pas toujours optimiste. La communication du message, en outre, a lieu seulement dans les cas où une cité utopique est décrite ou, du moins, un type de gouvernement idéal est « attendu ». Les plus proches de Platon sont les philosophes shiites de l’Orient islamique, c’est-à-dire les Ikhwān al-Ṣafā’ et al-Fārābī (Walzer, Platonismus in der islamischen Philosophie, p. 451-457).

Al-Fārābī assigne à la politique une place absolument prééminente dans son curriculum des sciences. Dans ses ouvrages politiques, et en particulier dans Les opinions des habitants de la cité vertueuse, il décrit la « cité idéale » en la comparant à d’autres régimes possibles. Selon lui, le bien le plus haut à poursuivre est le bonheur qu’on obtient en avançant dans les connaissances. La cité parfaite doit garantir l’achèvement d’un tel but, tout d’abord en gardant le bien commun, et ensuite par l’exercice réciproque de la vertu. D’autres régimes auront en vue d’autres fins : les aristocraties et le timocraties poursuivront la gloire, les ploutocraties la richesse, les monarchies héréditaires l’éducation, les tyrannies la conquête, les démocraties le plaisir. Mais l’aspect le plus intéressant – qui distingue ultérieurement ce penseur de la perspective platonicienne – est qu’al-Fārābī décrit les cités corrompues en utilisant une terminologie religieuse. La cité « ignorante » (jāhiliyya) est celle qui ne connaît pas la vérité à l’égard de Dieu, la vie future et le bonheur authentique, et qui, de ce fait, poursuit de faux plaisirs. La cité « renversée » (mubaddala) est celle dont les habitants ont connu ces vérités, mais n’ont pas été capables d’œuvrer à l’achèvement de ces biens, et sont donc retombés dans une vie dévoyée. La cité « pécheresse » (fāsiqa) est celle qui à l’origine vivait selon les principes de la religion, mais qui s’en est ensuite écartée. La cité « qui erre » (ḍālla), enfin, a reçu uniquement une image fausse de Dieu, car elle a fait confiance à un faux prophète.

L’élément fondamental qui assure une solution positive à la fondation d’une cité idéale est que le guide de la cité n’est plus, comme chez Platon, le philosophe, mais plutôt le prophète ou, pour être plus précis, l’imām. L’imām est en effet assimilé au philosophe car il possède la signification cachée du Coran. Il a la tâche de montrer aux hommes que la recherche du bonheur coïncide avec la recherche de l’union (ittiṣāl) avec l’Intellect actif. Al-Fārābī lui attribue des caractères très semblables à ceux qui sont conférés dans la République au philosophe (Baffioni, « The platonic “virtues of the ruler” » ; Martini Bonadeo, « Al-Fārābī, 6. La politica », p. 425). En conformité avec la tradition du califat et de l’imamat, al-Fārābī discute également de la qualité de ceux qui se substituent au gouvernant idéal après sa mort.

Les Ikhwān al-Ṣafā’ mettent eux-aussi la politique à l’avant-dernière place parmi les sciences théologico-métaphysiques de leur encyclopédie. À leur avis, seul le guide qui est prophète ou imām peut garantir que la vie de l’État se déroule selon les préceptes de la loi religieuse et que, par conséquent, cet État garde son pouvoir dans le monde d’ici-bas. Plus concrets qu’al-Fārābī (sans doute à cause des idées qu’ils partageaient avec l’ismaélisme), les Ikhwān al-Ṣafā’ théorisent un déroulement cyclique de la réalité où bons et mauvais régimes se succèdent l’un à l’autre. Les premiers sont ceux dont les guides sont des prophètes ou des imāms, ou bien ceux aidés par un conseil de pieux qui garantissent le succès du règne. Les membres de ce conseil pourraient être, comme l’indiquent quelques contextes, les Ikhwān eux-mêmes. Outre des principes shiites, ils s’appuient ici évidemment sur le cinquième principe mu‘tazilite (« ordonner le bien et interdire le mal »). Eux-aussi attribuent au gouvernant idéal des qualités quasi identiques à celles évoquées par al-Fārābī (Baffioni, « Temporal and Religious Connotations » ; Ead., «  History, Language and Ideology » ; Ead., «  Prophecy, imamate and political rule »).

Bien qu’on trouve parfois chez eux des échos très nets de Platon, al-Fārābī et les Ikhwān al-Ṣafā’ vont bien au-delà de l’œuvre qui les a inspirés, parce que leur intention est de donner une base doctrinale à l’assimilation du prophète au philosophe. Il ne faut pas oublier que, pour les philosophes musulmans, le salut est garanti par l’achèvement de la connaissance. Lorsque cette connaissance est complète, l’âme du philosophe coïncide avec l’Intellect actif. C’est aussi la caractéristique du Prophète (auquel est attribuée la perfection de la faculté imaginative qui manque au philosophe). Par conséquent, le mal radical est l’ignorance (le paganisme est défini en Islam comme l’« âge de l’ignorance »). Cela veut dire qu’un savant peut atteindre le bonheur dans quelque mesure déjà durant la vie terrestre, alors que l’âme dépourvue de connaissances est destinée à périr après la mort n’ayant plus à disposition le corps qui, moyennant les sens, est la première voie vers la connaissance. De telles idées, partagées par exemple par al-Fārābī et Avicenne, sont pour la plupart plus clairement aristotéliciennes que platoniciennes (comme preuve supplémentaire de la conciliation entre les deux penseurs réalisée en Islam). Il vaut d’autre part la peine de rappeler que la conception providentialiste n’exclut pas (par exemple, chez les Ikhwān al-Ṣafā’) la recherche du bien-être dans ce monde, outre le bonheur dans l’au-delà.

En al-Andalus, on repère les autres plus importantes théorisations politiques alternatives à celles produites en milieu shiite. Dans l’Occident musulman, il y a aussi des allusions aux gouvernements historiques y compris à ceux qui sont contemporains des différents auteurs. Et ce sont ces gouvernements qui, à cause de leur iniquité, nous donnent une explication du pessimisme de ces auteurs et des raisons qui les poussent à nier la réalisation d’un gouvernement des savants sur terre. À cause des expériences vécues par leurs auteurs, ces théorisations perdent donc de vue la représentation d’une cité idéale. Selon Le régime du solitaire d’Ibn Bājja (m. 533/1138), par exemple, le philosophe est un solitaire contraint par la corruption de l’endroit où il vit de se réfugier chez ses semblables banni de la société. On comprendra bien, cependant, que, du fait que l’homme est un animal social (encore selon la vision d’Aristote), la solitude n’est certainement pas à rechercher : elle n’est qu’une conséquence occasionnelle de la corruption de la société où le philosophe se trouve contraint de vivre. Ibn Bājja lui aussi distingue entre sociétés parfaites et sociétés imparfaites : seul l’État des solitaires qui se joignent les uns aux autres à l’intérieur de l’État corrompu est parfait. Certes, pour survivre, ses artisans accompliront les actions propres aux êtres humains, mais, en tant qu’État à l’intérieur de l’État, ils poursuivront leur but ultime, qui est l’union avec l’Intellect actif (voire aussi Geoffroy, « La formazione della cultura filosofica dell’Occidente musulmano, 5. Ibn Bāǧǧa (Avempace) », p. 694).

Le thème de l’État idéal est aussi traité dans ce que l’on a appelé le « roman philosophique » d’Ibn Ṭufayl (m. 581/1185) : Ḥayy ibn Yaqẓān. Ḥayy est né par génération spontanée sur une île déserte (ou il y a été abandonné par sa mère dans sa fuite). Il parcourt donc sans aucun guide les étapes de son développement physique et mental, jusqu’à atteindre la vision mystique de Dieu. À un moment donné, se réfugie dans l’île Absāl, parti en ascète en quête d’une expérience mystique de la divinité. Les deux personnages se rencontrent et, après avoir surmonté une série de difficultés, ils arrivent non seulement à la compréhension réciproque, mais ils communiquent l’un à l’autre leurs expériences spirituelles. Parvenus à la conclusion qu’il n’y a qu’une seule réalité transcendante, ils décident de la communiquer aux habitants de l’île d’où Absāl est venu. Ḥayy et Absāl partent alors en voyage vers l’île en question. D’abord bien accueillis par les habitants, ils se rendent bientôt compte que toute tentative de rapprocher ces derniers de leur propre vérité est vouée à l’échec. Enseigner aux masses la vérité cachée derrière le voile des religions révélées n’aboutit qu’à multiplier les doutes et les conflits dans la mesure où tous les hommes ne sont pas des êtres supérieurs. Dans tout cela, il faut reconnaître l’action de la providence divine. Ḥayy et Absāl retournent donc à leur île pour dans la solitude se consacrer à la contemplation.

La conclusion pessimiste du roman, affermie par l’allusion à l’autorité établie, ne nous permet pas, naturellement, d’y voir la préfiguration d’une « double vérité » : la vérité est une seule (il s’agit de la vérité islamique), bien qu’exprimée sous des aspects différents. Mais au contraire d’al-Fārābī, Ibn Ṭufayl théorise une philosophie asociale : l’inspiré se replie sur soi-même, la majorité des gens n’étant pas en mesure d’accueillir son message (Baffioni, « Perfect Cities and Political Regimes » ; Ead., « Città perfette e regimi politici »).

Dans l’Occident musulman (cf. Bashier, The story of Islamic philosophy), la paraphrase de la République par Averroès eut aussi une grande importance. Elle nous est parvenue uniquement en hébreu et, de là, en latin (Klibansky, The continuity of the Platonic tradition, p. 17). Averroès y fait allusion aux régimes historiques, mais en raison de la nature de l’ouvrage, il se conforme essentiellement au texte platonicien (tout en faisant entrevoir une conception du monde différente fondée sur la religion islamique) (Geoffroy, « Averroè », p. 732-733).

 Œuvres apocryphes et doxographies

Une partie considérable des œuvres attribuées à Platon est constituée par les apocryphes. Klibansky parle d’écrits de physiognomonie, d’alchimie et de magie qui sont ensuite passés au monde latin (The continuity of the Platonic tradition, p. 16-18). Le Liber vaccae (« Livre des vaches ») sur la magie – fragment d’une traduction des Lois accomplie entre 850 et 900 – et le Liber quartorum sur l’alchimie (dont le titre qui fait allusion à la division en tétralogies des dialogues de Platon est rendu en arabe par Kitāb al-rawābi‘) sont dignes d’une attention particulière, bien qu’ils aient été négligés en dépit de l’importance que Klibansky a attribuée aux pseudo-épigraphes. Le Liber quartorum contient une réélaboration du Timée du point de vue alchimique (Plato arabico-latinus, p. 53-64 ; il cite aussi, à la p. 53, A. Neschke-Hentschke éd., Images de Platon et lectures de ses œuvres : Les interprétations de Platon à travers les siècles, Louvain, 1997 et T. Kobusch éd., Platon in der abendländischen Geistesgeschichte : neue Forschungen zum Platonismus, Darmstadt, 1997, qui ne semblent pas utiles pour notre recherche ; outre W. Beierwaltes, Platonismus in der Philosophie des Mittelalters, voir infra, Bibliographie ; Hasse examine ensuite les développements de ces ouvrages dans la tradition latine en les confrontant aux réélaborations arabes de Platon).

La tradition arabe attribue à Platon, comme à la plupart des philosophes et savants anciens, une collection de dits gnomiques (Klibansky, The continuity of the Platonic tradition, p. 17-18 ; Hasse, Plato arabico-latinus, p. 45 ; sur les gnomologes, voir Gutas, Greek Wisdom Literature in Arabic, p. 116-157, qui donne l’édition de l’ouvrage intitulé par l’auteur The Philosophic Quartet [Mukhtār min kalām al-ḥukamā’ al-arba‘a al-akābir (sic)] ; commentaire aux pages 332-380 ; Id., Pre-Plotinian Philosophy in Arabic, p. 4949-4954 contenant une liste de gnomologes, p. 4954-4957 contenant une liste de doxographes ; Adrados, Greek wisdom literature and the Middle Ages). Dans la tradition latine, les Bocados de Oro – une traduction du Mukhtār al-ḥikam (« Choix de dits sapientiels ») de l’encyclopédiste al-Mubashshir ibn Fātik (m. 480 ?/1087 ?) – acquirent une importance cruciale. Les Nawādir al-falāsifa (« Anecdotes concernant les philosophes ») de Ḥunayn ibn Isḥāq furent aussi traduites en espagnol (Hasse, Plato arabico-latinus, p. 46-47). Les maximes sapientielles attribuées à Platon sont compilées soit dans des collections de dits de sages antiques ou séparément jusqu’à constituer un sous-genre littéraire connu sous différents noms : adab aflāṭūn, ḥikam aflāṭūn, waṣāya aflāṭūn, ou simplement aflāṭūniyyāt dans le style de la tradition littéraire antique inaugurée par Platon en personne des sokratoi logoi qui s’est perpétuée en augmentant au fil du temps de différents ‘‘enrichissements’’ jusqu’à atteindre Bagdad au IXe siècle où elle a connu son étape ultime de développement.

Les données qu’on a présentées devraient avoir montré jusqu’à quel point la compréhension et l’assimilation de plusieurs aspects de la pensée de Platon dans le monde arabo-islamique furent pleines et complètes : à cette condition seule ces doctrines ont pu ensuite être réélaborées d’une façon pleinement conforme à la pensée islamique, y compris dans sa dimension religieuse.

CARMELA BAFFIONI

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Pour citer :
Carmela Baffioni, « Platonisme arabe », in Houari Touati (éd.), Encyclopédie de l’humanisme méditerranéen, printemps 2014, URL = http://www.encyclopedie-humanisme.com/?Platonisme-arabe&var