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Mouvement de traduction gréco-arabe

Le mouvement de traduction gréco-arabe aux IIIe-Ve siècles de l’Hégire (IXe-XIe EC) a certainement joué un rôle majeur dans la formation de l’Islam comme culture, mais aussi dans l’histoire des rapports interculturels dans l’aire méditerranéenne. L’évaluation de ces deux rôles a fait l’objet d’âpres débats au cours des siècles, dans les mondes musulmans comme en Europe occidentale. Ainsi en 2008-2009, l’« affaire Gougenheim » secouait le monde universitaire, éditorial et médiatique français : dans un « essai de vulgarisation » intitulé Aristote au Mont Saint-Michel. Les racines grecques de l’Europe chrétienne, Sylvain Gougenheim, universitaire médiéviste non spécialiste de l’islam, entreprenait de réfuter le rôle de passeurs généralement attribué aux savants arabes dans la (ré)appropriation des savoirs de l’Antiquité grecque par l’Occident latin à la fin du XIIe siècle, et par conséquent toute « dette » de l’Occident envers les Arabes, mais encore de dénier toute valeur scientifique et portée culturelle au mouvement de traduction. Il réactualisait les thèses développées par Ernest Renan dans L’islamisme et la science (1883)  : l’islam comme religion serait foncièrement hostile à la rationalité, à l’universalité et donc à l’hellénisme ; la langue arabe serait par elle-même inapte à exprimer une pensée rationnelle et scientifique ; les traducteurs des œuvres grecques en arabe n’étaient pas musulmans mais chrétiens ; en conséquence, l’islam comme religion n’a pas été un moteur mais un frein pour ce mouvement de traduction, la pensée grecque n’a pu être réellement intégrée par l’Islam comme culture, la civilisation européenne est sa seule héritière et ne doit qu’à elle-même son essor scientifique. Le succès critique et commercial du livre de Gougenheim suscita une vigoureuse réplique de spécialistes rassemblée dans Les Grecs, les Arabes et nous. Enquête sur l’islamophobie savante (Büttgen et alii). Au-delà de cette polémique, les discours sur le mouvement de traduction gréco-arabe restent souvent partagés entre l’« islamophobie savante » et l’apologie d’un « islam des Lumières ». Ce fait historique sans précédent se trouve ainsi au cœur d’un conflit d’interprétation touchant à la notion d’humanisme en Islam ou de l’Islam.

Nous tâcherons ici de rassembler les données objectives et de questionner les biais historiographiques sur les causes, les produits et les enjeux du mouvement de traduction gréco-arabe. Nous examinerons successivement ses prémices et conditions historiques ; les acteurs, promoteurs et auteurs des traductions, ainsi que leurs motivations ; les textes et les corpus traduits ; les jugements portés sur ce mouvement de traduction, dans le monde musulman et dans la recherche historique.

 Racines et prémices historiques

Les premières traductions à Byzance et en Perse

Avec les conquêtes (futûḥ) effectuées sous les trois premiers califes Abû Bakr, ‘Umar b. al-Khaṭṭâb et ‘Uthmân b. ‘Affân (entre 11/632 et 35/656), les Arabes prirent possession de l’Égypte, de la Syrie et de la Perse, soit des principaux centres d’activité philosophique et scientifique de l’Antiquité tardive. En Égypte, Alexandrie était le haut lieu des études aristotéliciennes et néoplatoniciennes, surtout depuis la fermeture des écoles philosophiques d’Athènes en 529. En Grande Syrie (bilâd al-shâm), Antioche et Édesse abritaient des écoles théologiques chrétiennes frottées à la philosophie grecque, tandis que la ville de Ḥarrân était le foyer des Sabéens adeptes du néoplatonisme, de l’astrologie chaldéenne et des mathématiques grecques (Tardieu a). Après la fermeture de l’école d’Édesse par l’empereur de Rome en 489, les lettrés chrétiens nestoriens s’exilèrent en Perse, à Nisibe, qui devint le centre d’une école théologique où l’on traduisait, enseignait et commentait l’Organon d’Aristote en syriaque. En Perse, la cité de Gundishâpûr, fondée par le souverain sassanide Shâpur I (r. 242-272) lors de la lutte pour la conquête d’Antioche, est dite avoir hébergé une activité médicale et de traduction (du grec et du sanskrit en persan et en syriaque) conduite par des nestoriens (Meyerhof b, p. 17-29) ; mais sa réputation de centre du savoir médical pourrait être surfaite (Savage-Smith, p. 160-1). Quant à l’épisode rapporté par l’historien byzantin Agathias (m. 586) d’un éphémère refuge en Perse, sous le règne de Chosroês I (r. 531-579), des néoplatoniciens Damascius, Simplicius et quelques autres, après la fermeture de l’Académie d’Athènes par l’empereur chrétien Justinien en 529, sa réalité historique est douteuse (Tardieu b, p. 128-132). Il est plus probable que ces philosophes s’installèrent à Ḥarrân où ils fondèrent une école de philosophie païenne, rivale de celle, théologique et nestorienne, de Nisibe (Tardieu a, p. 23).

Dans l’empire byzantin comme en Perse, les traductions de la philosophie et de la science grecques avaient donc commencé avant l’arrivée de l’islam, le syriaque faisant office de koinè scientifique. À Byzance, la première traduction de l’Organon d’Aristote par le clerc nestorien Serge de Resh‘ayna (m. ca 530) se reflète dans l’enseignement logique de Paul le Perse, logicien du VIe siècle (Hugonnard-Roche a ; Teixidor). Mentionné par erreur parmi des traducteurs de textes médicaux du grec en arabe, un contemporain de Serge, Théodore (Thâdrus) évêque de Kharkh près de la future Bagdad, fut sans doute l’auteur de traductions syriaques (IAU, p. 259). Même après la conquête musulmane, des chrétiens monophysites comme Sévère Sebokht (m. 47/667) et Jacques d’Édesse (m. 70/708) continuent à traduire pour leur propre compte les œuvres d’Aristote. Le mouvement de traduction syriaque garde une certaine autonomie jusqu’à l’époque ‘abbasside, où il devient un intermédiaire dans le transfert gréco-arabe.

La christianisation de l’empire romain et l’hellénisation de la Perse ont ainsi créé les conditions préalables du mouvement de traduction gréco-arabe une fois l’empire assis sur ses bases. Mais ce mouvement intellectuel, culturel et politique allait naître de son impulsion propre.

  Les débuts de l’empire musulman

À en croire l’historiographie musulmane, l’intérêt des élites musulmanes conquérantes à l’égard des savoirs antiques conservées dans ces régions ne fut pas immédiat. Selon plusieurs sources, le calife ‘Umar b. al-Khaṭṭâb (r. 13-23/634-644) ordonna d’abord d’anéantir les bibliothèques des nations conquises. Il existe deux versions de ce récit, divergeant sur le lieu et l’identité des acteurs secondaires. L’historien Ibn al-Qifṭî (m. 646/1248) raconte que Jean le Grammairien, alias Jean Philopon (m. ca 570), présenté comme contemporain de la conquête de l’Égypte, réclama au conquérant et gouverneur ‘Amr b. al-‘Âṣ la restitution des livres de philosophie confisqués à Alexandrie. ‘Amr s’en remit au « commandeur des croyants » ‘Umar, dont la réponse ne tarda pas : « À propos de ces livres, s’il s’y trouve quelque chose de conforme au Livre de Dieu, alors le Livre de Dieu [nous] en dispense ; et s’il se trouve quelque chose qui contredit le Livre de Dieu, il n’y en a nul besoin. Ordonne donc de les détruire » (Ibn al-Qifṭî, p. 354-356). Une seconde version, rapportée par Ibn Khaldûn (m. 808/1406), situe l’événement à Ctésiphon en Perse sous le gouverneur Sa‘d Ibn Abî Waqqâs. La réponse du calife y est différente dans la forme mais non sur le fond : « Jette [ces livres] à l’eau. Si leur contenu indique la bonne voie, Dieu nous en a donné une direction meilleure. S’il indique la voie de l’égarement, Dieu nous en a préservés » (Ibn Khaldûn, p. 943-944). Cette version se rattache à un autre récit rapporté dans le Fihrist d’Ibn al-Nadîm (m. 380/990-1), selon lequel les sciences des Perses avaient été d’abord pillées par les Grecs après le triomphe d’Alexandre sur Darius, le dernier roi achéménide, en 331 AEC (Ibn al-Nadîm, p. 392).

S’il a pu y avoir des destructions de livres religieux non monothéistes (Ibn Abî Dâwûd al-Sijistânî, p. 564), le récit de la destruction massive des corpus antiques sur l’ordre de ‘Umar est probablement forgé. Comme tel, il n’en est pas moins signifiant. D’abord, il n’aurait pas été formé et diffusé s’il n’avait pas correspondu à une opinion recevable par les théologiens sunnites, lesquels tiennent ‘Umar pour un « calife bien guidé ». Ce pseudo-fait est d’ailleurs pris comme argument par Renan (p. 13-14) pour soutenir que la race arabe était originellement étrangère à la philosophie, et par Gougenheim (p. 129) pour illustrer l’antipathie de l’islam pour le savoir grec. Mais peut-on le tenir pour une expression de l’« orthodoxie » de l’islam aux époques plus tardives ? Al-Kindî au IIIe/IXe siècle, comme Ibn Rushd au VIe/XIIe, n’en feront aucun cas quand ils défendront ouvertement l’harmonie entre la raison grecque et la révélation coranique, mais encore l’obligation religieuse d’avoir recours aux sources anciennes (voir infra, 4.1.).

Sur la foi d’un autre récit présent dans le Fihrist d’Ibn al-Nadîm, on a supposé une première traduction de livres d’alchimie du grec et du copte en arabe sous la dynastie omeyyade de Damas, commandée à des philosophes d’Alexandrie par Khâlid b. Yazîd (m. après 85/704), fils du deuxième calife omeyyade. Bien que ce dernier fut l’ennemi juré des shî‘ites pour avoir ordonné le massacre de l’imâm al-Ḥusayn et des siens à Karbalâ’ en 61/680, Ibn al-Nadîm, lui-même shî‘ite, souligne la vertu et l’amour sincère des sciences qui animaient le jeune prince (p. 392). Ce récit a pourtant, lui aussi, toutes les chances d’être une légende (Ullmann a).

D’après l’historien andalou Ibn Juljul (m. ca 383/994), les traductions médicales auraient commencé sous le calife omeyyade ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azîz (r. 99-101/717-720), par un médecin juif originaire d’Alexandrie et converti à l’islam, ‘Abd al-Malik b. Abjar al-Kînânî, et par un autre médecin juif de Perse, Mâsarjawayh ou Mâsarjis. Le premier texte médical traduit du syriaque en arabe aurait été les Pandectes du monophysite Ahrun d’Alexandrie (Ahrun al-Qass), composés un siècle plus tôt (Ibn Juljul, p. 61 ; IAU, pp. 153 et 209 ; Ibn al-Qifṭî, p. 324-325 ; Savage-Smith, p. 161). D’autres documents littéraires, comme la correspondance apocryphe entre Aristote et Alexandre le Grand, traduction de la littérature perse des « miroirs des princes » par les secrétaires de l’empire, témoignent d’une phase « préscientifique » du mouvement de traduction gréco-arabe à l’époque omeyyade (Gutas b, p. 53-54).

 Un récit d’al-Fârâbî

L’historien de la médecine Ibn Abî Uṣaybi‘a (m. 668/1269-70) rapporte un récit détaillé attribué au philosophe Abû Naṣr al-Fârâbî (m. 338/950) sur la transmission de l’enseignement d’Aristote de la Grèce à l’Islam :

« La philosophie se diffusa à l’époque des rois des Grecs et, après la mort d’Aristote, à Alexandrie (…). Quand [Aristote] mourut, son enseignement demeura en l’état. Treize rois se succédèrent et, sous leur règne, douze professeurs de philosophie, l’un d’eux connu sous le nom d’Andronicos [de Rhodes, Ier siècle AEC]. Le dernier de ces rois fut la femme [Cléopâtre] vaincue par Auguste, roi de Rome [r. 27 AEC-14 EC], qui la tua et s’empara de son royaume. Comme [Auguste] s’établit [à Alexandrie], il inspecta les bibliothèques et y trouva des manuscrits des livres d’Aristote, copiés à son époque et à l’époque de Théophraste [m. 288 AEC, premier scholarque du Lycée après Aristote] (…). Il ordonna que l’on recopiât les manuscrits copiés du temps d’Aristote et de son élève, que l’on prodiguât l’enseignement d’après ces livres et que l’on abandonnât le reste. Andronicos fut chargé d’y mettre bon ordre. [Auguste] lui ordonna de copier un exemplaire qu’il emporterait avec lui à Rome et un autre qu’il enverrait à l’école d’Alexandrie. Il lui ordonna aussi de désigner un professeur pour lui succéder à Alexandrie et de l’accompagner lui-même à Rome. L’enseignement se poursuivit donc en deux lieux, et il en fut ainsi jusqu’à l’arrivée des chrétiens. L’enseignement fut alors aboli à Rome tandis qu’il se maintenait à Alexandrie. L’empereur des chrétiens décida d’examiner l’affaire et les évêques tinrent un concile pour délibérer sur ce qu’il convenait de conserver ou de supprimer dans cet enseignement. Ils jugèrent qu’il était permis d’enseigner les livres de logique jusqu’aux dernières figures assertoriques (al-ashkâl al-wujûdiyya) [les syllogismes examinés dans les Premiers analytiques d’Aristote, I, 1-7], mais pas au-delà, car pour eux, il y avait là un danger pour le christianisme, tandis que dans ce qu’ils autorisaient, il y avait de quoi contribuer au triomphe de leur religion. L’exotérique de l’enseignement (al-ẓâhir min al-ta‘lîm) demeura donc selon cette mesure, et le reste fut étudié en cachette jusqu’à l’arrivée de l’islam, bien plus tard. L’enseignement fut alors transféré d’Alexandrie à Antioche où il demeura longtemps, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un professeur. Deux hommes s’instruisirent de lui et quittèrent [Antioche] en emportant les livres. L’un était de Ḥarrân, l’autre de Merv. De ce dernier s’instruisirent Ibrâhîm al-Marwâzî et Yuḥannâ b. Ḥaylân. Du ḥarrânien s’instruisirent l’évêque Israël et Quwayrîrî. Deux d’entre eux se rendirent à Bagdad : Ibrâhîm [al-Marwâzî] pour s’y occuper de la religion, Quwayrîrî pour se vouer à l’enseignement [de la philosophie]. Yuḥannâ [b. Ḥaylân] s’occupait aussi de sa religion (…). À cette époque, l’on enseignait encore jusqu’aux dernières figures assertoriques ». (IAU, p. 558-559)

Ibn Abî Uṣaybî‘a ajoute qu’al-Fârâbî étudia lui-même auprès de Yuḥannâ b. Ḥaylân (m. ca 307/920) la logique d’Aristote jusqu’à la fin du Livre de la démonstration, avant que les savants musulmans ne fussent autorisés et encouragés à étudier le reste du corpus aristotélicien (IAU, p. 559).

Pour al-Fârâbî, l’Islam comme culture montra ainsi sa supériorité en favorisant la renaissance de la philosophie grecque alors que les chrétiens byzantins l’avaient censurée. La translatio studiorum d’Alexandrie à Bagdad apparaît comme une chaîne de transmission continue de maître à étudiant, dans laquelle l’entreprise de traduction est une simple translation (naql) d’un contenu identique (Brague b, p. 300-1). Ce schème, repris par l’historien de la médecine Max Meyerhof (a), fait fi de l’intermédiaire syriaque et minimise le fait que les traductions arabes n’apparurent que deux siècles après l’avènement de l’islam, suite à la révolution ‘abbasside et au transfert de la capitale de Damas à Bagdad (en 145/762), d’un monde sémitique hellénisé à une aire dominée par l’influence culturelle perse (Rashed, p. 1085).

 Les acteurs du mouvement de traduction gréco-arabe

C’est sous les califes ‘abbassides al-Manṣûr (r. 136- 158/754-775), al-Mahdî (r. 158-169/775-785), Hârûn al-Rashîd (r. 170-193/786-809) et surtout al-Ma’mûn (r. 198-218/813-833), que l’intérêt pour les sciences anciennes et étrangères reçut une impulsion nouvelle pour susciter un véritable mouvement culturel. Avant d’évoquer ses différents acteurs, rappelons quel en fut le support et la condition matériels : le papier, dont l’introduction dans le monde islamique au début de l’époque abbasside, probablement en provenance de Chine, eut une importance comparable à celle de l’introduction de l’imprimerie en Europe occidentale à partir du XVIe siècle (Kennedy, p. 32-33). Son moindre coût et sa facilité d’usage ont permis l’activité intense qui va être décrite, sa vulnérabilité au temps a causé la disparition de nombre de ses produits, nous rendant dépendants de copies et de témoignages plus tardifs pour tâcher de la reconstituer.

Les patrons et commanditaires

La dynastie ‘abbasside se démarqua du régime omeyyade caractérisé par le privilège de l’arabité et la répression des minorités religieuses. La révolution ‘abbasside s’était appuyée sur de nombreux éléments shî‘ites, mais ceux-ci ne devaient rien gagner au changement avant la période bouyide (334-447/945-1055). Le nouveau régime favorisa en revanche les élites des nations conquises, perse et chrétienne au premier plan.

Le rôle pionnier d’al-Manṣûr est souligné par de nombreux historiens comme l’andalou Ṣâ‘id al-Andalusî (m. 462/1070) (p. 213). Le fondateur de Bagdad, apparemment convaincu que le cours de l’histoire politique était déterminé par les astres, s’intéressait en premier lieu à l’astronomie, indissociable de l’astrologie. Selon une information d’al-Bîrûnî (m. 346/957-8) dans son Taḥqîq mâ li-l-Hind (p. 320), al-Manṣûr reçut en 154/770 une délégation indienne avec un astronome possédant un traité en sanskrit, lequel fut adapté en arabe, en présence de l’Indien, par Muḥammad al-Fazârî (m. ca 185/802) et Ya‘qûb b. Ṭâriq, sous le titre de Zîj al-Sindhind (Table astronomique indienne) (al-Bîrûnî, p. 320 ; al-Andalusî, p. 216). Il aurait commandé à un certain al-Biṭrîq (le Patrikios) des traductions d’ouvrages grecs anciens, notamment de Ptomélée (Ibn al-Nadîm, p. 397 ; Fakhrî, p. 37). Ibn Khaldûn (m. 808/1406) raconte qu’al-Manṣûr rechercha à Gundishâpûr des traducteurs d’œuvres scientifiques et demanda à l’empereur byzantin de lui envoyer des ouvrages de mathématiques, parmi lesquels il reçut le Livre des éléments d’Euclide, qu’Ibn Khaldûn présente comme « le premier ouvrage grec à être traduit en arabe par les musulmans » (Ibn Khaldûn, pp. 945 et 953), mais qui ne le fut en réalité que sous le règne de Hârûn al-Rashîd. Al-Manṣûr aurait commandé au célèbre ‘Abdallâh Ibn al-Muqaffa‘ (m. 139/757 ou 142/760), des traductions d’ouvrages de logique d’Aristote (les Catégories, de l’Interprétation et les Premiers analytiques) et de Porphyre (l’Isagogé), en plus de sa traduction, du pehlevi en arabe, du livre de fables indiennes Kalîla wa dimna (al-Qifṭî, p. 220 ; al-Andalusî, p. 215 ; Fakhrî, p. 35).

Al-Mahdî, successeur d’al-Manṣûr, est dit pour sa part avoir commandé une traduction des Topiques d’Aristote. Hârûn al-Rashîd, sans doute sous l’influence de son éducation par les Barmakides, routinisa l’activité de traduction, notamment dans sa vaste bibliothèque appelée khizânat al-ḥikma (« le dépôt de la sagesse »). Conservateur de cette bibliothèque, Abû Sahl al-Faḍl al-Nawbakhtî, fils de l’astronome particulier d’al-Manṣûr et membre d’une grande famille perse et shî‘ite, traduisit pour lui des livres d’astronomie du persan en arabe (Ibn al-Nadîm, p. 438 ; Pingree a). Hârûn al-Rashîd chargea aussi son médecin particulier, Yuḥannâ Ibn Mâsawayh (m. 243/857), de traduire des ouvrages médicaux anciens, probablement du pehlevi (Ibn Juljul, p. 65 ; IAU, p. 223 ; al-Qifṭî, p. 380 ; Fakhrî, p. 36-37). Les trois califes mentionnés auraient fait venir de Gundishâpûr à Bagdad des médecins chrétiens nestoriens, persans et juifs ; pendant huit générations, des membres de la famille Bakhtîshû‘ ou Bukhtîshû‘, de confession chrétienne nestorienne, leur servirent de médecins et de conseillers et traduisirent pour eux des textes médicaux (Goodman, p. 480 ; Savage-Smith, p. 163 ; Sourdel).

Avec le calife al-Ma’mûn, le mouvement de traduction gréco-arabe allait s’institutionnaliser dans le cadre d’une politique culturelle, intellectuelle et idéologique, des plus résolues. Ce calife appuya l’école de théologie rationaliste mu‘tazilite au point d’en faire la doctrine de l’islam officiel et d’appliquer une forme d’inquisition appelée miḥna (examen). Il désigna un temps ‘Alî al-Riḍâ, le huitième imâm des shî‘ites imâmites, comme son futur successeur, mais celui-ci mourut en 203/218. Les traditionalistes ḥanbalites dénonceront en vrac son soutien au mu‘tazilisme, ses sympathies shî‘ites et sa promotion des sciences rationnelles ; les shî‘ites, eux, l’accuseront d’avoir empoisonné l’imâm al-Riḍâ et dénonceront aussi sa politique culturelle. Ces réactions, dont nous verrons des exemples plus loin (4.1), indiquent que le patronage des traductions gréco-arabes doit être mis en relation avec les autres grandes lignes de la politique religieuse et idéologique d’al-Ma’mûn.

D’après Ibn al-Nadîm, al-Ma’mûn envoya une mission officielle à l’empereur byzantin pour obtenir des manuscrits scientifiques. L’ambassade était formée des traducteurs al-Ḥajjâj b. Yûsuf b. Maṭar (m. 228/833), Yaḥyâ (ou Yuḥannâ) b. al-Biṭrîq, un certain Salm, probablement originaire de Ḥarrân, directeur de la « Maison de la sagesse » (bayt al-ḥikma), et Yuḥannâ Ibn Mâsawayh. Parmi les manuscrits rapportés au calife, al-Ma’mûn choisit ceux à traduire, sans doute sous le conseil de ces spécialistes (Ibn al-Nadîm, p. 397-398 ; Dunlop).

Nombre d’historiens modernes ont attribué à al-Ma’mûn la fondation de la bibliothèque du Bayt al-ḥikma, et conféré à celle-ci un rôle central dans le mouvement de traduction (Fakhrî, p. 42-43 ; Goodman, p. 484 ; Cruz Hernandez, p. 167-168). Plus vraisemblablement, cette bibliothèque, appartenant à l’administration ‘abbasside et formée sur le modèle d’une institution sassanide, existait déjà avant le règne d’al-Ma’mûn, avec pour fonction d’abriter l’activité et les produits des traductions du persan en arabe. Sous al-Ma’mûn, elle semble avoir étendu ses activités aux recherches astronomiques et mathématiques, à en juger d’après les noms de Muḥammad b. Mûsâ al-Khwârizmî (m. ca 235/850) et de Yuḥannâ Ibn Mâsawayh associés à ce lieu durant cette période (Vadet). Pour Houari Touati, le Bayt al-ḥikma n’était rien de plus, mais rien de moins non plus, qu’« une bibliothèque dans laquelle traducteurs et savants versés dans l’astrologie, la philosophie ou la médecine ont pu travailler à un moment ou à un autre. Son nom ne renvoie pas tant à une quelconque institutionnalisation ou systématisation du mouvement de traduction des corpus antiques et de leur étude qu’à la forme de collection des livres à laquelle cette bibliothèque voulait s’identifier, à savoir la polymathie. » (Touati b) Mais si le Bayt al-ḥikma n’a pas joué un rôle aussi central qu’on l’a pensé, son existence témoigne bien de l’effervescence intellectuelle et de la fécondation interculturelle au cœur du mouvement de traduction (Balty-Guesdon ; Micheau, p. 233-236 ; Gutas b, p. 95-105 ; Touati a, p. 163-172).

Selon un célèbre récit encore rapporté par Ibn al-Nadîm, al-Ma’mûn initia le mouvement de traduction suite au rêve qu’il fit d’une rencontre avec Aristote et du dialogue suivant : « – Ô sage, demanda le calife, qu’est-ce que le bien (al-ḥusn) ? – Ce qui est bon selon la raison (al-‘aql). – Et ensuite ? – Ce qui est bon selon la Loi (al-shar‘). – Et ensuite ? – Ce qui est bon selon la masse (al-jumhûr). – Et ensuite ? – Ensuite, il n’y a pas d’ensuite. » (Ibn al-Nadîm, p. 397). Dimitri Gutas montre que ce récit, sans doute forgé dans l’entourage du calife, était à l’origine sans lien avec le mouvement de traduction, dont il apparaît bien plutôt comme une conséquence sociale. Il témoigne en effet de ce que l’autorité d’Aristote, mais aussi l’aristotélisme dans sa version mu‘tazilite, étaient déjà assimilés, comme il apparaît dans les réponses du sage au calife. Ce serait la source d’Ibn al-Nadîm, Yaḥyâ b. ‘Adî (m. 363/974), traducteur et philosophe chrétien, qui aurait pour la première fois utilisé ce récit pour justifier le mouvement de traduction (Gutas b, p. 154-160).

Outre les califes, il faut mentionner le rôle important des mécénats privés. À Bagdad, les trois frères Banû Mûsâ Ibn Shâkir, des mathématiciens fortunés, rivalisaient avec al-Ma’mûn dans la quête et la traduction des manuscrits de science grecque, dépêchant à Byzance leur propre mission qui comptait dans ses rangs le fameux Ḥunayn b. Isḥâq. Outre ce dernier, ils salariaient des traducteurs comme Ḥubaysh al-A‘sam et Thâbit b. Qurra, pour un salaire estimé considérable de 500 dinars par mois (Badawi, p. 16 ; Endress a, p. 47 ; Gutas b, p. 206-207 ; Hill ; Pingree b).

Les savants eux-mêmes, comme Qusṭâ b. Lûqâ de Baalbek (m. 300/912), prospectaient et rapportaient des manuscrits pour leur compte (IAU, p. 303 ; Gutas b, p. 214). Le philosophe musulman Ya‘qûb b. Isḥâq al-Kindî (m. ca 252/866), qui ne semble pas avoir lui-même maîtrisé le grec et le syriaque, dirigeait un cercle de traducteurs chevronnés à Bagdad et appliquait sa réflexion aux traductions philosophiques ou scientifiques qu’il commandait.

Le milieu politique et intellectuel du mouvement de traductions n’était pas exempt de dissensions et de rivalités. Tandis que les Banû Mûsa entretenaient des liens amicaux avec les cercles iraniens et le parti de la Shu‘ûbiyya, al-Kindî, « le philosophe des Arabes », manifestait un parti-pris anti-shu‘ûbî et anti-persan. Tous bénéficièrent des faveurs d’al-Ma’mûn en travaillant en partie pour lui, en partie à leur compte. Leur hostilité réciproque devait prendre un tour plus violent sous al-Mutawakkil (r. 218-247/833-861), avec la disgrâce définitive des mu‘tazilites et celle, provisoire, d’al-Kindî (IAU, p. 261-2 ; Endress a, p. 47).

L’histoire des traductions révèle que sous les premiers califes al-Manṣûr et al-Mahdî, la demande concernait essentiellement les sciences utiles (médecine, astronomie, mathématiques), l’intérêt pour la philosophie en tant que telle n’apparaissant que sous al-Ma’mûn. Selon Endress, la philosophie comme corpus de textes et système d’instruction pénétra d’abord la société urbaine et de cour en tant que méthodologie et idéologie des sciences professionnelles utiles : mathématiques, astronomie et médecine. Les mathématiciens étaient platoniciens et pythagoriciens ; les astronomes chérissaient la cosmologie aristotélicienne conjointe à l’autorité de Ptolémée ; Galien, l’autorité médicale suprême, était également platonicien. Dans un second temps seulement s’est développé un intérêt propre pour la philosophie (Endress b, p. 320-322). Le désir de savoir suivait ainsi chez les Arabes musulmans le cours décrit par Aristote au début de sa Métaphysique : « Presque tous les arts qui s’appliquent aux nécessités, et ceux qui s’appliquent au bien-être, étaient déjà connus, quand on commença à rechercher une discipline de ce genre [la philosophie] » (Aristote, p. 9). Mutatis mutandis, il en va de même pour la médecine : si les médecins de Gundishâpûr et d’ailleurs furent d’abord appelés pour des raisons pratiques d’urgence, l’intérêt se porta progressivement au savoir médical lui-même ; les médecins étrangers ne furent plus uniquement sollicités comme praticiens, mais aussi comme traducteurs chargés de rendre accessibles en arabe les livres médicaux grecs, persans et indiens (Mestiri, p. 62-3).

Est-ce à dire que les califes et les mécènes ne visaient, dans la recherche de la philosophie, « aucun intérêt étranger » (Aristote, p. 9) ? Sans doute pas. Il est aisé de recenser les intérêts idéologiques du pouvoir ‘abbasside dans ce mouvement culturel. À l’époque d’al-Manṣûr, l’histoire du pillage de la science perse ancienne par Alexandre (cf. supra, 1.2), récit attribué à Abû Sahl b. Nawbakht mais d’origine probablement sassanide, permettait à l’idéologie impériale de présenter les traductions gréco-arabes comme une réappropriation de l’antique héritage perse et de récupérer ainsi le nationalisme persan (Ibn al-Nadîm, p. 392 ; Gutas b, p. 75-84). L’on a aussi vu chez al-Fârâbî que la promotion des traductions gréco-arabes était censée illustrer la supériorité de l’empire musulman sur l’empire byzantin, connu pour avoir interdit la philosophie et les sciences grecques ; selon l’expression de Gutas, le philhellénisme ‘abbasside est indissociable de l’anti-byzantinisme (Gutas b, p. 138-153 ; Brague b, p. 301-303).

On a souvent insisté sur le besoin ressenti par les savants musulmans d’acquérir des méthodes d’argumentation face aux théologiens des autres religions du Livre, déjà formés à la logique aristotélicienne ; on peut y ajouter le besoin, ressenti par le pouvoir, d’établir une orthodoxie contre la multiplication des courants musulmans minoritaires, notamment shî‘ites. Le calife al-Mahdî aurait commandé la traduction des Topiques pour répondre aux exigences de la dispute théologique (jadal) alors que l’islam était devenu une religion prosélyte dans un contexte multiconfessionnel ; il aurait aussi commandé aux théologiens dialecticiens (jadaliyyûn) de composer des ouvrages contre les hérétiques, notamment d’origine iranienne, mazdéens, manichéens, bardésanites, marcionites. L’introduction de la cosmologie dans les débats théologiques internes au kalâm ont également pu motiver les traductions du Timée de Platon et de la Physique d’Aristote ; elle en a en tous cas déterminé la réception à l’époque d’al-Ma’mûn (Rashed, p. 1191-1193). Dans la politique d’al-Ma’mûn, la valorisation de la connaissance rationnelle, à travers les traductions du grec comme par le soutien aux mu‘tazilites, servait à faire pièce à la fois au traditionalisme des « gens du ḥadîth » et à l’ésotérisme shî‘ite attribuant à ‘Alî et aux imâms de sa descendance une science divine supra-rationnelle (Amir-Moezzi a, b). On note ainsi une production massive d’ouvrages de kalâm, ou « théologie de la controverse », à l’époque du mouvement de traduction (Gutas b, p. 115).

Aussi puissants que fussent ces intérêts d’en haut, ils n’auraient pu suffire à impulser un tel mouvement sans une forte demande et une capacité équivalente de traduction, c’est-à-dire sans l’existence préalable d’un milieu savant constitué. Roshdi Rashed insiste ainsi sur le contexte culturel, technique et scientifique ayant réclamé et produit ces traductions, voyant dans le mécénat politique une cause simplement adjuvante (Rashed, p. 1088). Les traducteurs, notamment ceux envoyés en mission de prospection de manuscrits, étaient déjà des experts dans les disciplines considérées, et leur activité participait d’un véritable programme de recherche (Bellosta, p. 408). Ainsi, les travaux originaux des astronomes arabes ont vraisemblablement commencé dans le cours même du mouvement de traduction (Djebbar, p. 165-166). Gutas (b, p. 212) en convient : « ce fut le développement d’une tradition scientifique et philosophique arabe qui engendra une demande massive de traductions du grec (et également du syriaque et du pehlevi, et non, comme on le suppose généralement, les traductions qui donnèrent naissance à la science et à la philosophie ». On observe aussi que la demande de sciences rationnelles (logique, mathématique, physique, philosophie) émane d’abord, au IIe/VIIIe siècle, des savants religieux s’occupant des sciences linguistiques, d’exégèse et de kalâm. Puis, au IIIe/IXe siècle, elle vient davantage des scientifiques et philosophes eux-mêmes, lesquels, comme al-Kindî, exercent parfois un contrôle direct sur le travail de traduction.

Après al-Ma’mûn, sous al-Mutawakkil (r. 232-247/847-861) et ses successeurs, le mouvement de traduction ne bénéficie plus du même soutien étatique et institutionnel, sans se voir pour autant condamné. Il se poursuit sur un mode mineur, à l’initiative de savants et de mécènes désormais rodés, au rythme de la demande scientifique. Un second mouvement de translatio studiorum a lieu en Adalousie, de Bagdad ou directement de Byzance à Cordoue, sous les califes ‘Abd al-Raḥmân II (r. 207-238/823-852), ‘Abd al-Raḥmân III (r. 300-350/912-961) et al-Ḥakam II (r. 350-366/961-976). On y retraduit des ouvrages déjà arrivés en arabe et on y effectue des traductions inédites à partir du latin (voir infra, 3.2). L’ère des traductions s’achève au milieu du Ve/XIe siècle, sans doute moins en raison de la réaction antirationaliste que du parachèvement du programme des savants eux-mêmes (Goodman, p. 494-497).

En résumé, le mouvement de traduction gréco-arabe fut promu par des califes, des mécènes privés et des savants de haut rang. Leurs intérêts étaient à la fois idéologiques, sociaux et scientifiques, selon des dosages variables. Les acteurs principaux de ce mouvement restent les traducteurs eux-mêmes, dont certains ont déjà été évoqués.

Les traducteurs et leurs techniques

Dimitri Gutas souligne que sous les premiers califes ‘abbassides, après la traduction initiale de certaines œuvres grecques par le canal des traductions en pehlevi, on ne trouva pas d’emblée de professionnels pour traduire du grec en arabe. Al-Mahdî, pour obtenir une traduction des Topiques, dut faire appel vers 165/782 au patriarche nestorien Timothée Ier (780-823), qui se fit assister par un secrétaire chrétien nommé Abû Nûḥ (Brock). Les premiers traducteurs du grec mentionnés par les sources étaient ainsi des ecclésiastiques qui, le plus souvent, devaient confier la tâche à d’autres. L’offre et la compétence des traducteurs augmentèrent avec la demande croissante de traductions gréco-arabes pour les besoins des savants et philosophes. La professionnalisation était exigée par le développement de la recherche scientifique, même si les traducteurs ne constituèrent sans doute jamais un corps professionnel au sens moderne.

Ibn al-Nadîm mentionne quarante-cinq traducteurs du grec ou du syriaque, seize traducteurs du persan, deux du sanskrit et un du nabatéen (Ibn al-Nadîm, p. 398-399). Parmi les premiers, un certain Stéphane l’ancien pour le prince omeyyade Khâlid b. Yazîd ; al-Biṭrîq pour al-Manṣûr ; son fils Yaḥyâ ou Yuḥannâ b. al-Biṭrîq pour al-Ma’mûn ; Sallâm et al-Abrash pour les Barmakides ; al-Ḥajjâj b. Maṭar (m. 228/833) ; ‘Abd al-Masîḥ Ibn Nâ‘ima al-Ḥimsî (m. 220/835), du cercle d’al-Kindî ; Abû Nûḥ b. al-Ṣilt ; Usṭâth (Eustache) pour al-Kindî ; Ḥunayn b. Isḥâq (m. 260/873) ; son fils et élève Isḥâq b. Ḥunayn (m. 298-9/911) ; Ḥubaysh al-A‘sam, neveu et élève de Ḥunayn ; Iṣṭifan b. Bâsîl, élève de Ḥunayn ; Thâbit b. Qurra al-Ḥarrânî (m. 288/901) ; Qusṭâ b. Lûqâ de Baalbek (m. 300/912). Parmi les traducteurs du persan, Ibn al-Muqaffa‘, et parmi les traducteurs du sanskrit, un certain Minka.

Ibn Abî Uṣaybi‘a mentionne également Jûrjiyûs b. Jibra’îl (m. ca 152/769-70), originaire de Gundishâpûr, comme le premier à avoir traduit des ouvrages médicaux pour al-Manṣûr ; Mûsâ b. Khâlid, traducteur de plusieurs des seize petits traités de Galien, éclipsé par Ḥunayn b. Isḥâq ; Muḥammad b. Mûsâ l’astronome, de la famille des Banû Mûsâ ; et Ibn al-Munajjim, secrétaire et commensal d’al-Ma’mûn (IAU, pp. 163-165 et 256-259).

Les traducteurs étaient principalement des non-musulmans maîtrisant les langues grecque, syriaque et/ou pehlevie, experts en sciences mathématiques et naturelles, y compris la médecine. Ḥunayn b. Isḥâq, médecin, et son fils Isḥâq, plus enclin à l’astronomie, étaient des chrétiens nestoriens. Thâbit b. Qurra, philosophe et mathématicien, membre du cercle d’al-Kindî, était ṣâbéen. Qusṭâ b. Lûqâ, élève de Ḥunayn b. Isḥâq et membre du cercle d’al-Kindî, expert en mathématiques, en sciences naturelles et en médecine, appartenait au milieu chrétien hellénisé de Syrie et était melkite ou orthodoxe, tout comme al-Biṭrîq et son fils Yaḥyâ ou Yuḥannâ à la première génération de traducteurs, et le logicien Abû Bishr Mattâ b. Yûnus (m. 328/940) à la dernière. ‘Abd al-Masîḥ Ibn Nâ‘ima al-Ḥimsî et Yaḥyâ b. ‘Adî étaient tous deux jacobites.

Ḥunayn b. Isḥâq, originaire de la communauté chrétienne de Ḥîra, les ‘Ibâd, était probablement d’éducation bilingue, arabe et syriaque. On dit qu’il se perfectionna en arabe à Baṣra, foyer des grammairiens et lexicographes comme al-Khalîl b. Aḥmad (m. ca 175/791) dont il rapporta le Kitâb al-‘ayn. Ibn Abî Uṣaybi‘a relate que Ḥunayn, élève de médecine à l’école de Yuḥannâ b. Mâsawayh, se serait vu disputer par celui-ci et aurait disparu de la capitale pendant deux ans, peut-être à Alexandrie, pour revenir féru de grec et connaissant des vers d’Homère par cœur (IAU, p. 234-236 ; Strohmaier). Il le dit même expert en quatre langues : l’arabe, le syriaque, le grec et le persan (IAU, pp. 236 et 256). Ḥunayn b. Isḥâq nous a renseignés sur sa méthode de traduction : après une première traduction d’après un manuscrit unique, il procédait à une collation des manuscrits disponibles en vue d’établir un seul texte correct, sur la base duquel il corrigeait la première traduction (Badawi, p. 18 ; De Libera, p. 81-82). Lui et son fils Isḥâq traduisaient Aristote et Galien en arabe en se basant sur leurs traductions syriaques antérieures. Selon le biographe Ṣalâḥ al-Dîn al-Ṣafadî (m. 763/1364), Ḥunayn aurait inauguré une méthode de traduction partant du sens global de la phrase et libérée du mot à mot (De Libera, p. 82). Comme l’estime Manfred Ullmann, réfutant les arguments de Renan et de Gougenheim : « Ḥunayn a considérablement contribué en tant que traducteur à donner à l’arabe les ressources d’une langue scientifique : il n’a pas seulement enrichi la terminologie scientifique avec des traductions pertinentes, il a également transformé la syntaxe de l’arabe pour faire de cette langue un instrument capable d’exprimer des idées complexes et abstraites » (Ullmann b, p. 15-16). Ḥunayn b. Isḥâq composa aussi les Nawâdir al-falâsifa (connu par l’abrégé Âdâb al-falâsifa) qui est la première anthologie de maximes sapientiales (gnomologie) apparue en islam, comprenant des sentences attribuées à Socrate, Platon, Aristote, Alexandre le Grand, Diogène le Cynique, Pythagore (dont la traduction intégrale des « Vers d’or », œuvre de la première communauté pythagoricienne), Hippocrate, Homère, Hermès et d’autres.

Après Ḥunayn b. Isḥâq et son école de traducteurs, le mouvement de traduction se poursuit sur un mode mineur avec encore quelques générations de traducteurs savants et philosophes. Mentionnons Abû ‘Uthmân al-Dimashqî, traducteur de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote (Goodman, p. 491) ; Qusṭâ b. Lûqâ, traducteur d’Aristote et du Pseudo-Plutarque ; Abû Bishr Mattâ b. Yûnus, maître d’al-Fârâbî, traducteur des commentaires d’Aristote par Alexandre d’Aphrodise ; Yaḥyâ b. ‘Adî (m. 363/974), disciple d’Abû Bishr Mattâ, traducteur de la Poétique d’Aristote ; Abû ‘Alî ‘Îsâ b. Isḥâq b. Zur‘a (m. 399/1008), physicien, traducteur d’Aristote et de Proclus ; al-Ḥasan b. Suwar dit Ibn al-Khammâr (m. 408/1017), philosophe et traducteur-éditeur d’Aristote ; enfin, Abû l-Faraj b. ‘Abdullâh b. al-Ṭayyib (m. 423/1043), traducteur et commentateur d’Hippocrate, Aristote et Galien entre autres (Goodman, p. 491-494 ; Fihrist, p. 424-426 ; IAU, p. 292-294).

Les traductions gréco-arabes passaient le plus souvent par l’intermédiaire syriaque. Après avoir d’abord fait appel à des traductions effectuées pour elles-mêmes dans le cadre du mouvement syriaque autonome, on réalise de plus en plus de nouvelles traductions syriaques en vue d’une arrivée en langue arabe, comme pour l’Organon d’Aristote dans l’école de Ḥunayn b. Isḥâq (voir infra 3.3). Si l’arabe supplante définitivement le syriaque comme koinè scientifique au milieu du IIIe/IXe siècle, un Yaḥyâ b. ‘Adî traduit encore du syriaque en arabe dans la deuxième moitié du IVe/Xe siècle (IAU, p. 292-3).

Le travail était largement collectif : les traductions littérales de certains spécialistes de la langue-source maîtrisant moyennement l’arabe étaient retouchées par des savants également linguistes et stylistes de l’arabe ; d’autres traductions d’ouvrages scientifiques étaient revues et corrigées par des spécialistes de la discipline. En mathématiques et en astronomie, les premières traductions n’ont pas été jugées suffisantes par les spécialistes postérieurs. Ainsi la traduction par Isḥâq b. Ḥunayn des Éléments d’Euclide, réalisée après deux essais d’al-Ḥajjâj b. Maṭar jugés insatisfaisants, fut elle-même révisée par le mathématicien Thâbit b. Qurra. Quant à l’Almageste de Ptolémée, il ne connut pas moins de quatre traductions arabes comme nous le verrons. Ces traductions successives sont le fruit du développement de l’activité scientifique, de l’enrichissement de la langue arabe et de la découverte de nouveaux manuscrits (Djebbar, p. 131). La division du travail, ou plutôt la répartition des rôles, semble avoir été assez souple puisque l’on retrouve les mêmes noms (comme Ḥunayn b. Isḥâq ou Thâbit b. Qurra) à différentes fonctions, sans doute en fonction des exigences de chaque texte et des intérêts propres des savants-traducteurs.

  Le corpus gréco-arabe

À quelques exceptions près, les Arabes traduisirent tous les ouvrages de philosophie, de sciences exactes et de médecine disponibles dans les anciens foyers d’enseignement intégrés à l’empire. La prédilection des mécènes, traducteurs et savants des IIIe/IXe – IVe/Xe siècles pour l’héritage grec s’explique d’abord par la large pénétration de la civilisation hellénique dans tout le monde méditerranéen et proche-oriental depuis les conquêtes d’Alexandre. L’influence de la pensée grecque se fait d’ailleurs sentir, avant le mouvement de traduction ou indépendamment de lui, dans les courants ésotériques du shî‘isme et de la mystique, sinon déjà dans le Coran (Cruz Hernandez, p. 165 ; Amir-Moezzi b, p. 271-276). Cependant, les cultures savantes perse et indienne, en langues pehlevie et sanskrite, sont également mises à contribution, particulièrement dans les domaines de l’astronomie et de la médecine.

En sciences mathématiques (arithmétique, géométrie, astronomie)

En géométrie
D’Euclide (III AEC), le Livre des éléments (Uṣul al-handasa) connut deux traductions par al-Ḥajjâj b. Maṭar (l’une dite « hârûnienne », l’autre « ma’mûnienne »), puis une troisième par Isḥâq b. Ḥunayn, revue par Thâbit b. Qurra (Fihrist, p. 427) ; le Livre des données (al-mu‘ṭiyyât), fut traduit par Isḥâq b. Ḥunayn, le Livre sur la division des figures (K. fî l-qisma) par Thâbit b. Qurra.

D’Archimède (III AEC), Ibn al-Nadîm mentionne dix livres. Retenons le Livre de la sphère et du cylindre (al-kura wa l-usṭuwâna) et le Livre sur la mesure du cercle (tarbî ‘ al-dâ’ira), traduits par Thâbit b. Qurra ; le Livre sur la division de la figure appelée stomachion (fî qismat al-shakl al-musammâ bi-Siṭumâshiyûn), traduction anonyme (Ibn al-Nadîm, p. 428).

D’Apollonius (III AEC), les Coniques (K. al-Makhrûṭât) furent presque entièrement rassemblés et traduits à l’initiative des Banû Mûsâ (IIIe/IXe) (Ibn al-Nadîm, p. 429). Ceux-ci racontent comment ils trouvèrent ce fleuron de la géométrie grecque dans un état de corruption et de dispersion désastreux. Parvenus à rassembler les quatre premiers livres, ils les donnèrent à traduire à Ibn Abî Hilâl, puis confièrent les trois livres suivants à Thâbit b. Qurra ; mais ils ne purent jamais mettre la main sur le livre VIII, reconstitué deux siècles plus tard par Ibn al-Ḥaytham (m. 430/1040) (Ibn al-Nadîm, p. 429 ; Djebbar, p. 118-119).

En astronomie

Cinq traditions préislamiques, grecque, indienne, persane, syriaque et babylonienne, sont à l’origine des premiers travaux des astronomes arabes. Les écrits babyloniens concernaient principalement l’astrologie et la tradition syriaque n’était sans doute que le prolongement de l’héritage grec, tandis que la tradition persane était d’inspiration indienne. Sous l’impulsion d’al-Manṣûr, on commença à traduire des traités indiens (al-Andalusî, p. 216-7 ; Djebbar, p. 161 ; supra, 2.1).

De la tradition grecque, onze petits traités d’Euclide, Théodose, Autolycus, Aristarque, Hypsiclès et Ménélaüs, considérés comme propédeutiques à l’étude de Ptolémée et connus sous le nom de « petite collection astronomique », ont été traduits en arabe au cours du IIIe/IXe siècle par les plus compétents des traducteurs scientifiques : Ḥunayn b. Isḥâq, Isḥâq b. Ḥunayn, Thâbit b. Qurra et Qusṭâ b. Lûqâ. C’est le cas du Livre des Ascensions [des signes zodiacaux] (Anaphorikos = K. al-Maṭâli‘) d’Hypsiclès (m. ca 120 AEC), traduit sur commande d’al-Kindî et dans son cercle, et du Livre des figures sphériques (Al-Ashkâl al-kuriyya) de Ménélaüs (m. ca 140 EC), sur les outils mathématiques de l’astronomie, traduit par Isḥâq b. Ḥunayn.

De Ptolémée, l’Almageste (al-Majisṭî) connut une série de cinq traductions (Fihrist, p. 430) dont la plupart n’ont pas été conservées : une première, commandée par Yaḥya b. Khâlid al-Barmakî (tuteur puis vizir de Hârûn al-Rashîd), probablement du grec en syriaque ; une deuxième, sans doute pour al-Ma’mûn, du syriaque en arabe, par al-Ḥasan b. Quraysh, révisée par Abû Ḥassân et Salm, puis par Thâbit b. Qurra ; une troisième, pour al-Ma’mûn, du grec en arabe par al-Ḥajjâj b. al-Maṭar et un certain Halyâ b. Sarjûn ; une quatrième du grec en arabe par Isḥâq b. Ḥunayn ; et une cinquième, révisée par Thâbit b. Qurra sur la traduction précédente (Fihrist, p. 430 ; Ibn al-Ṣalâḥ, 155 du texte arabe). De Ptolémée encore, le Livre des hypothèses (K. al-Manshûrât), perdu dans sa langue originale, fut partiellement traduit par un inconnu dont le travail fut corrigé par Thâbit b. Qurra. Le Planisphärium (R. fî Taṣṭîr al-kura [Épître sur la projection de la sphère]) fut traduit par un inconnu et commenté plus tard par Maslama al-Majrîṭî en Andalousie (m. 398/1007-8 à Cordoue). Du Phaseis, ou Livre sur l’apparition des étoiles fixes (Kitâb fî ẓuhûr al-kawâkib al-thâbita), une traduction fut effectuée au début du IVe/Xe siècle qui ne nous est pas parvenue. Les Tables faciles furent également traduites et utilisées par al-Khwârizmî puis par Qusṭâ b. Lûqâ au milieu du au IIIe/IXe siècle, mais ces traductions ne nous sont pas parvenues (Morelon, p. 37-38).

En médecine

Si de premières traductions médicales ont eu lieu à l’époque omeyyade supra 1.1), c’est à l’époque ‘abbasside que le corpus médical grec, hippocratique et galénique, est systématiquement traduit.

Ḥunayn b. Isḥâq est l’auteur de la quasi-totalité des traductions d’ouvrages médicaux en syriaque et en arabe. Des seuls ouvrages de Galien, il aurait fait 95 traductions en syriaque et 34 en arabe, selon ses propres dires dix ans avant sa mort ; et ses traductions syriaques furent encore utilisées ultérieurement pour des traductions en arabe. La prééminence de Galien pour les Arabes s’explique par l’héritage du monde hellénistique oriental où la médecine galénique dominait ; ainsi, les Arabes possédaient à l’époque plus de textes galéniques et pseudo-galéniques que nous n’en possédons aujourd’hui (Ullmann b, p. 16). Les traductions d’Hippocrate, en nombre assez restreint, ont suivi celles de Galien. Son Serment (al-‘ahd), traduit par Ḥunayn, fut dès lors prêté par tous les médecins arabes ; sa Loi et ses aphorismes furent également traduits en arabe, attachant définitivement l’éthique et la sagesse médicales à son nom, comme en témoigne sa présence dans les histoires des sages (Terrier b, p. 319-333). Le Serment d’Hippocrate arabe reflète en plusieurs passages-clés une adaptation monothéiste, dont Ibn al-Nadîm (p. 456) suggère qu’elle est l’œuvre de Ḥunayn. Quant à Galien, Ibn Abî Uṣaybî‘a (p. 43-45) mentionne douze de ses livres Au programme des étudiants en médecine : 1. Des embryons ; 2. De la nature de l’homme ; 3. Des airs, des eaux et des pays ; 4. Des saisons ; 5. Introduction à la connaissance ; 6. Des maladies aigues ; 7. Des douleurs des femmes ; 8. Des maladies contagieuses appelées épidémies ; 9. Des humeurs ; 10. De la fracture et de la réduction ; 12. Le Qâṭîṭriyûn, ou L’officine du médecin (ḥânût al-ṭibb) (le onzième titre est manquant).

Dans le domaine de la pharmacopée, la Materia medica de Dioscoride (m. ca 90 EC) fut traduite, augmentée de deux livres apocryphes sur les plantes vénéneuses et les animaux venimeux. La version la plus diffusée était celle d’Iṣṭifan b. Bâsîl révisée par son maître Ḥunayn b. Isḥâq (Ullmann b, p. 19). Un siècle plus tard, en 340/951-2, l’œuvre fut retraduite en Andalousie, probablement à partir du latin, par Ibn Juljul (Lévi-Provençal, III, p. 507).

Le même Ibn Juljul, dans ses Générations des médecins et des sages (Ṭabaqât al-aṭibbâ’ wa l-ḥukamâ’), composé à la même date que le Fihrist d’Ibn al-Nadîm (377/987), nous renseigne sur le second mouvement traduction à Cordoue, principalement axé sur la science médicale. Il mentionne et utilise des sources traduites du latin en arabe comme les Aphorismes d’Hippocrate (traduits sous le calife ‘Abd al-Raḥmân II), la Chronologie de Paulus Orosius (m. 417 EC), la Chronique de Jérôme (m. 420 EC) et les Étymologies d’Isidore de Séville (m. 636 EC) (Ibn Juljul, p. 1-4).

En philosophie

De Platon, Ibn al-Nadîm mentionne plusieurs traductions qui ne nous sont pas parvenues et dont on ignore si elles étaient complètes : le Sophiste, les Lois (par Ḥunayn b. Isḥâq, puis par Yaḥyâ b. ‘Adî), le Timée (par Ibn al-Biṭrîq, révisée par Ḥunayn b. Isḥâq, corrigée par Yaḥyâ b. ‘Adî), la République (par Ḥunayn b. Isḥâq) (Fihrist, p. 401-402). Vraisemblablement, l’on ne traduisit pas les dialogues intégraux de Platon, mais leurs résumés et paraphrases par Galien. Du Timée arabe, il subsiste des fragments et des commentaires ; son influence sur les débats théologiques et philosophiques fut considérable (Steinschneider, p. 20-22 ; Arnzen ; Terrier a). Du Criton et du Phédon, les passages relatifs à la mort de Socrate se retrouvent dans de nombreuses « histoires des sages » (Terrier b, p. 423-427 et 448). Une paraphrase du Banquet fut également transmise par al-Kindî (Gutas a). Les Lois et la République firent l’objet de paraphrases par les philosophes al-Fârâbî, al-‘Âmirî (notamment dans son Kitâb al-sa‘âda wa l-is‘âd) et Ibn Rushd, qui n’étaient pas hellénistes et ne s’embarrassaient pas de considérations philologiques. Platon se vit aussi attribuer de nombreux apocryphes, des recueils de sentences ou d’admonestation morales, ainsi que des traités d’alchimie.

L’œuvre authentique traduite d’Aristote, augmentée des apocryphes, est bien plus considérable. Comme le souligne Alain de Libera (p. 72), le transfert linguistique et culturel du syriaque à l’arabe entraîna la substitution, à l’Aristote logicien des Syriaques, d’un Aristote arabe proliférant et polymorphe : logicien, physicien, métaphysicien, théologien et même mystique.

Les œuvres traduites (Ibn al-Nadîm, p. 404-410) sont d’abord celles qui composent l’Organon – dont le regroupement n’est pas le fait d’Aristote lui-même, mais de scholarques tardifs du Lycée –, littéralement « l’instrument des sciences théorétiques » (âlat al-‘ulûm al-naẓariyya). Ce sont : a) la Rhétorique (par Isḥâq b. Ḥunayn), b) les Premiers Analytiques (par Ḥunayn b. Isḥâq et son fils d’après leurs traductions syriaques, puis par Yaḥya b. ‘Adî), c) les Seconds Analytiques (par Abû Bishr Mattâ b. Yûnus d’après la version syriaque d’Isḥâq b. Ḥunayn), d) l’Herméneutique (par Isḥâq b. Ḥunayn d’après la version syriaque de son père), e) les Catégories (par Ḥunayn b. Isḥâq Ḥunayn b. Isḥâq), f) les Topiques (par le patriarche nestorien Timothée, puis par Yaḥyâ b. ‘Adî d’après la version syriaque d’Isḥâq b. Ḥunayn), g) les Réfutations sophistiques (par Ibn Nâ‘ima al-Ḥimsî, puis par Yaḥyâ b. ‘Adî d’après une version syriaque antérieure (Ibn al-Nadîm, p. 405-407). Le philosophe et médecin de confession nestorienne Ḥasan b. Suwâr dit Ibn al-Khammâr (m. ca 410/1019), disciple de Yaḥyâ b. ‘Adî, établit une version de l’Organon dont les notes comparent les diverses traductions, citant des fragments parallèles ou des extraits d’autres versions syriaques (Hugonnard-Roche b).

Aux traductions des livres d’Aristote composant l’Organon s’ajoutent : h) la Poétique (par Abû Bishr Mattâ, puis par Yaḥyâ b. ‘Adî, du syriaque) ; i) la Physique (par Sallâm et al-Abrash sous Hârûn al-Rashîd, puis par Yaḥyâ b. ‘Adî, Qusṭâ et d’autres d’après des version syriaques de Ḥunayn b. Isḥâq et d’autres) ; j) De Caelo (par Yaḥyâ b. al-Biṭriq, révisée par Isḥâq b. Ḥunayn, puis par Abû Bishr Mattâ) ; k) De generatione et corruptione (par Isḥâq b. Ḥunayn d’après la version syriaque de son père) ; l) Les Météorologiques (par Abû Bishr Mattâ, puis par Yaḥyâ b. ‘Adî) ; m) le traité De l’âme (par Yaḥyâ b. al-Biṭriq dans le résumé de Thémistius, puis par Isḥâq b. Ḥunayn d’après la version syriaque de son père), qui joua un rôle non moins déterminant que le Timée de Platon dans le devenir de la philosophie islamique ; n) De sensu e sensato = Parva naturalia (par Abû Bishr Mattâ) ; o) l’Histoire des animaux (par Yaḥyâ b. al-Biṭriq, puis par Yaḥyâ b. ‘Adî) ; p) la Métaphysique (divers traducteurs et différentes traductions pour les différents livres, notamment Usṭâth (Eustache), Yaḥyâ b. al-Biṭrîq, Yaḥyâ b. ‘Adî, Isḥâq b. Ḥunayn) (Ibn al-Nadîm, p. 409-410). La traduction de la Métaphysique effectuée par Eustache, chrétien d’origine grecque, pour al-Kindî, fut le texte de base du Grand Commentaire d’Averroès (De Libera, p. 74). Last but not least, q) L’Éthique à Nicomaque, connut au moins une traduction du syriaque par Isḥâq b. Ḥunayn, et de nombreux passages seront paraphrasés en arabe par Yaḥyâ b. ‘Adî et Ibn Miskawayh dans leurs traités d’éthique (ta‘dhîb al-akhlâq) respectifs. Les traductions syriaques d’après lesquelles ont été faites les traductions arabes de c), f), g) h) et peut-être aussi b), proviennent principalement de l’école de Ḥunayn (Badawî a, p. 20). La seule œuvre importante du corpus aristotélicien à ne pas avoir été traduite en arabe est la Politique, confondu avec un ouvrage apocryphe bientôt mentionné (Brague a ; Pines ; Syros).

De l’école péripatéticienne, les plus grands commentateurs d’Aristote furent amplement traduits avec l’œuvre du maître. D’Alexandre d’Aphrodise (IIe-IIIe siècle EC), Ibn al-Nadîm mentionne quinze traités et Ibn Abî Uṣaybi‘a quarante en plus de neuf commentaires d’Aristote, dont un grand nombre auraient été traduits par Abû ‘Uthmân al-Dimashqî (Ibn al-Nadîm, p. 411 ; IAU, p. 93-94 ; Badawî a, p. 109-114 ; Hasnawi). De Thémistius, le commentaire de la Métaphysique d’Aristote a été traduit par Abû Bishr Mattâ, celui du traité du Ciel (De Caelo) par Yaḥyâ b. ‘Adî (Ibn al-Nadîm, p. 408-409 ; Badawî a, p. 115-117).

Les œuvres apocryphes attribuées à Aristote n’ont pas joué un rôle moins important. Le Kitâb fî maḥḍ al-khayr (traduit en latin sous le titre Liber de causis) et l’Uthûlûjiyyâ (la Théologie dite d’Aristote) sont issus de textes néoplatoniciens ; nous y reviendrons. Le Sirr al-asrâr, traduit par Yaḥyâ b. Biṭrîq au début de la période ‘abbasside, fut souvent cité comme le Livre de la conduite du pouvoir politique (tadbîr al-riyâsa) d’Aristote. C’est en réalité un ouvrage polymathe embrassant des matières allant de la diététique à l’alchimie en passant par la physiognomonie (Goodman, p. 483 ; De Libera, p. 362). On y trouve notamment une série de huit maximes politiques qui auraient été inscrites sur un dôme coiffant la tombe d’Aristote (Ibn Khaldûn, pp. 258 et 1393). Son influence sur la culture islamique est dénoncée par Ibn Khaldûn dans sa Muqaddima (p. 257-8). Il fut traduit de l’arabe en latin sous le titre Secretum secretorum. De nature également syncrétique et tournée vers la sagesse politique, sont le Kitâb al-Tufâḥ (traduit en latin sous le titre De Pommo) et diverses épîtres adressées au roi Alexandre.

Toute une anthologie de textes de l’école néoplatonicienne aurait été traduite dans le cercle d’al-Kindî pour jouer un rôle déterminant dans la naissance de la falsafa avec lui et son évolution après lui (Endress a). Le plus grand maître de cette école, Plotin (m. 270 EC), est peut-être le penseur grec le plus influent dans la philosophie islamique ; pourtant, son nom resta quasiment inconnu de tous ceux qui s’en inspirèrent. Une telle omission, dès l’établissement des traductions, devait être intentionnelle, sa réputation non usurpée de païen anti-chrétien pouvant faire obstacle au projet concordiste d’al-Kindî et de ses élèves. De Plotin, une grande partie des Ennéades (IV-VI) fut traduite en arabe pour être attribuée soit à Aristote dans le fameux Uthûlûjiyyâ Arisṭâṭâlîs (Théologie d’Aristote), traduit par Ibn Nâ‘ima al-Ḥimsî, soit à un mystérieux « shaykh grec » (al-shaykh al-yûnânî) (Badawî b ; Rosenthal). De Proclus (m. 485 EC) furent traduits, toujours dans le cercle d’al-Kindî, les Éléments de théologie, intégrés pour partie dans le Kitâb al-khayr al-maḥḍ, pour partie dans l’Uthûlûjiyyâ, tous deux attribués à Aristote (Badawî c ; D’Ancona Costa). Attribués nommément à Proclus, les « sophismes sur l’éternité du monde » (al-shubah fî qidam al-‘âlam) furent connus par la traduction de la réfutation que lui adressa le philosophe chrétien Jean Philopon (VIe siècle EC), le Contra Proclum, qui allait exercer une grande influence sur le Tahâfut al-falâsifa d’al-Ghazâlî (Badawî c ; Walzer ; Sorabji, p. 210-252). Du néoplatonicien Porphyre de Tyr furent traduits l’Isagogé, commentaire des Premiers analytiques d’Aristote, par Abû ‘Uthmân al-Dimashqî, puis par Yaḥyâ b. ‘Adî ; le commentaire sur les quatre premiers livres de la Physique d’Aristote, par Iṣṭifan b. Bâsîl ; et l’Histoire des philosophes, dont l’original grec a disparu et dont des fragments subsistent jusque dans le Kitâb al-milal wa l-niḥal d’al-Shahrastânî (Ibn al-Nadîm, p. 411-412 ; Badawî a, p. 120-121 ; Segonds ; Cottrell).

Il faut enfin mentionner les traductions d’ouvrages bio-doxographiques dont l’influence sera notable dans l’histoire de la philosophie islamique. Les Placita philosophorum, attribués par la tradition à l’éclectique Plutarque (46-125 EC) et rendus par la recherche moderne à l’aristotélicien Aétius (fin du Ier siècle EC), furent traduits par Qusṭâ b. Lûqâ sous le titre Mâ yarḍâhu l-falâsifa min al-ârâ’ al-ṭabî‘iyya (« Les opinions physiques agréées par les philosophes » (Daiber). L’Histoire des philosophes de Porphyre, à laquelle était peut-être intégrée la Vie de Pythagore, a été mentionnée. Aux sources néoplatoniciennes s’ajoutent celles de la patristique chrétienne, les Arabes musulmans ignorant l’hostilité mutuelle des deux courants. Attribuée au théologien chrétien Hippolyte de Rome (vers 220 EC), la Refutatio omnium haeresium (« Réfutation de toutes les hérésies », Elenchos) fut au moins partiellement traduite, en particulier son premier livre, les Philosophumena, consacré aux hérésies philosophiques et remaniant pour partie les Placita d’Aétius. On en trouve des échos dans le Livre d’Ammonios sur les opinions des philosophes (Kitâb Ammuniyûs fî ârâ’ al-falâsifa), une doxographie en partie traduite et en partie composée directement en arabe en milieu ésotérique shî‘ite au IIIe/IXe siècle (Rudolph a, b). D’Eusèbe de Césarée (m. 340) fut traduite la Praeparatio Evangelica, réponse aux attaques du néoplatonicien Porphyre contre le christianisme ; on en retrouve des traces dans le Kitâb al-Amad ‘alâ l-abad (Le Livre du terme de l’éternité) du philosophe Abû l-Ḥasan al-‘Âmirî (m. 381/992), de l’école d’al-Kindî. Ces ouvrages de la patristique relèvent tantôt de l’historia stultitiae (« histoire des sottises »), présentant les opinions philosophiques antiques comme des erreurs à l’origine des hérésies chrétiennes ; tantôt de l’historia sapientiae (« histoire des sagesses »), présentant les opinions des philosophes anciens comme des vérités partielles préparant la « bonne nouvelle » du Christ (Gueroult, p. 73-110). Mentionnons enfin les Eclogai de Stobée (m. ca 400), qui pourraient être l’une des sources des Nawâdir al-falâsifa de Ḥunayn b. Isḥâq.

Les corpus et scientifiques et philosophiques traduits du grec en arabe s’avèrent à la fois vastes et limités. L’absence de traductions de poésie, de littérature et d’histoire grecques a souvent été soulignée, parfois pour en arguer que les Arabes n’avaient pas d’intérêt pour les « humanités » (Brague b, p. 294-295). Or le fait s’explique par la préexistence d’un double filtrage de la culture grecque : par les chrétiens orientaux, nestoriens ou jacobites, d’une part ; par les néoplatoniciens de l’autre. Comme l’écrit Ullmann (b, p. 13), « La christianisation des écoles au VIe siècle aboutit (…) à un changement des programmes. Alors qu’auparavant la poésie, la tragédie et l’historiographie grecque étaient enseignées et expliquées ainsi que la philosophie, la médecine et les sciences exactes, le programme fut désormais réduit à ces dernières matières parce que seules celles-ci étaient conformes aux nouvelles croyances religieuses et présentaient un intérêt pratique. Ainsi, quand plus tard les Arabes se mirent à l’école des Grecs pour les sciences et non les humanités, ce n’est pas parce que les humanités ne les intéressaient pas mais parce que leur flux s’était déjà tari. Les Arabes ne pouvaient acquérir que la partie du corpus du savoir grec que les chrétiens de Syrie et d’Égypte étaient alors en mesure de leur offrir ». Pour ce qui est de la poésie, il semble que les Arabes, possédant déjà une riche tradition poétique, n’aient guère ressenti le besoin d’importer quoi que ce soit en la matière, mais aussi qu’ils aient eu conscience de l’extrême difficulté de la traduction poétique. L’auteur du fameux Ṣiwân al-ḥikma, histoire des sages attribuée à Abû Sulaymân al-Manṭiqî al-Sijistânî (m. ca 374/985), avant de rapporter des traductions de vers attribués à Homère – en réalité de Ménandre (342-292 AEC) –, écrit : « Stéphane [l’ancien ?] traduisit quelques-uns de ses poèmes [Homère] du grec en arabe. Il est connu que la plus grande partie de l’éclat et du lustre de la poésie s’en va avec la traduction, et que de nombreuses significations sont altérées avec le changement de son étoffe » (al-Sijistânî, p. 193 (Badawi) ; p. 68 (Dunlop)). Homère n’en reste pas moins réputé comme l’équivalent pour les Grecs d’Imru’ al-Qays pour les Arabes, et les traductions de ses vers – ou de ceux de Ménandre – sous forme de sentences ou de maximes sapientiales (âdâb, ḥikam ), tout comme celle des « Vers d’or » des néopythagoriciens, se trouvent dans la plupart des gnomologies et histoires des sages (Terrier b, pp. 589-591 et 599-600). Quant à l’histoire, celle des Gréco-Romains était grossièrement connue par quelques Chroniques ; celle des anciens savants et philosophes grecs fut largement reconstruite dans les « histoires des sages » à des fins apologétiques, connectée à l’histoire sainte des prophètes, notamment à partir des récits néopythagoriciens (Terrier b).

  Les conflits d’interprétation sur le mouvement de traduction

À l’intérieur de l’islam

Les jugements prononcés en Islam, presque toujours post eventum, sur le mouvement de traduction gréco-arabe, sont généralement conditionnés, comme on peut s’en douter, par des intérêts idéologiques ou philosophiques, selon des tendances oscillant entre universalisme et rejet des « sciences étrangères » plutôt qu’entre rationalisme et antirationalisme. Ils portent parfois sur le travail de traduction lui-même, plus souvent sur les intentions de ses patrons et exécutants, la finalité du mouvement ou ses conséquences.

Le littérateur polymathe de tendance mu‘tazilite al-Jâḥiẓ (m. 255/868-9), contemporain des débuts du mouvement, qui considérait la poésie comme l’apanage exclusif des Arabes (Jâḥiẓ, p. 114-115), mettait en question la qualité linguistique des premières traductions et exigeait d’un bon traducteur que sa maîtrise dans les deux langues de départ et d’arrivée fût également parfaite, condition qu’il tenait pour probablement impossible (Jâḥiẓ, p. 115-117 ; Endress a, 43-44). Bien plus tard, des historiens comme Ibn Abî Uṣaybi‘a et Ibn al-Qifṭî rapportent encore que tel ou tel traducteur était moyen, maîtrisait mal l’arabe ou avait un style exécrable. Plutôt que des critiques faciles de la part d’auteurs n’ayant pas accès aux textes-sources et ignorant le grec, il faut lire là des échos du souci de rigueur qui était celui des traducteurs et de leurs patrons, comme il a été vu.

Les philosophes (falâsifa) justifièrent le mouvement de traduction par sa finalité, la connaissance rigoureuse du tawḥîd, l’unicité de Dieu, ou la philosophie comme théologie véritable. Ils avaient manifestement à se défendre contre l’accusation d’introduire des « sciences étrangères » non seulement inutiles, mais néfastes à la religion. Ainsi al-Kindî, dans un passage célèbre de son Livre sur la philosophie première (fî l-falsafa al-ûlâ), légitime le recours aux Grecs à la fois par l’historicité et l’universalité du Vrai – un argument aristotélicien –, mais aussi par l’harmonie préétablie de la philosophie et de la révélation :

« Il est évident pour nous, comme pour les plus illustres philosophes avant nous, qui n’étaient pas hommes de notre langue, que ce qui mérite le nom de vérité n’a jamais été atteint par un homme seul grâce à sa recherche personnelle, ni embrassé par l’ensemble des hommes, mais que chaque homme, ou bien n’atteint rien, ou bien n’atteint qu’une infime partie de ce qui mérite le nom de vérité. Si nous rassemblons toutes les parts modiques que chacun a pu atteindre de la vérité, cela forme un ensemble inestimable. Il faut donc que notre gratitude soit grande à l’égard de ceux qui nous ont apporté une infime part de vérité, et plus grande encore à l’égard de ceux qui nous en ont livré beaucoup. Ils nous ont fait partager les fruits de leur réflexion, nous ont ouvert la voie de la réalité cachée, nous ont fourni des prémisses qui nous facilitent l’accès à la vérité. […] Or, tout cela n’a été rassemblé que dans les cités anciennes qui se sont succédé, époque après époque, jusqu’à la nôtre […] Nous ne devons pas rougir de trouver la vérité belle et bonne et de l’approuver d’où qu’elle vienne, même de peuples lointains et de nations étrangères, car pour celui qui est en quête de vérité, rien ne passe avant la vérité, et la vérité n’est jamais amoindrie ou diminuée par la personne de qui la dit ; bien au contraire, elle ennoblit qui la dit […]. Car la science des réalités véritables des choses [la philosophie] comprend la science de la souveraineté divine, la science de l’unicité divine, la science de la vertu, la science intégrale de toute chose profitable et de la voie qui y mène, comme aussi le moyen de repousser toute chose nuisible et de se prémunir contre elle. Et qu’il faille acquérir tout cela, c’est ce que nous ont fait savoir les messagers véridiques de la part de Dieu. » (al-Kindî, p. 102-104)

Ibn Rushd alias Averroès, dans son Discours décisif où l’on atteste la connexion existant entre la révélation et la sagesse (Al-faṣl al-maqâl fî taqrîr mâ bayna l-sharî‘a wal-ḥikma min al-ittiṣâl), défend également le droit et même le devoir religieux de recourir aux écrits des anciens, ainsi que l’idée d’une coopération intellectuelle à travers les âges :

« Si d’autres que nous ont déjà procédé à quelque recherche en cette matière, il est évident que nous avons l’obligation pour ce qui est de notre voie, de recourir à ce qu’en ont dit ceux qui nous ont précédés. Il est égal que ces autres partagent ou non la même religion que nous. S’agissant de l’instrument de l’immolation rituelle, quand il remplit les conditions de validité, on ne considère pas s’il appartient à un coreligionnaire pour juger de la validité de l’immolation. Par « ceux qui ne partagent pas notre religion », j’entends ceux, parmi les Anciens, qui ont examiné ces matières avant la religion de l’islam. Puisqu’il en est ainsi (…), nous devons puiser à pleines mains dans leurs livres afin d’examiner ce qu’ils en ont dit. » (Averroès, p. 108-111)

Bien évidemment, recourir aux anciens ou puiser à pleines mains dans leurs livres, c’est se pencher sur les seules traductions effectuées des siècles plus tôt. Et plus loin :

« Ce qui sera en accord avec la vérité, nous l’accepterons de leur part, nous nous en réjouirons et leur en serons reconnaissants. Quant aux choses qui ne le seront pas, nous éveillerons sur elles l’attention, nous avertirons les gens d’y prendre garde et nous excuserons leurs auteurs. » (Averroès, p. 112-113)

Cette attitude de reconnaissance et de charité intellectuelle est considérée comme obligatoire du point de vue religieux, puisque c’est la Révélation elle-même qui appelle à la connaissance de la vérité.

Tout à leur défense du droit de cité de la philosophie hellénistique en Islam, les philosophes ne s’embarrassaient pas de scrupules philologiques et linguistiques. Plus encore, cette absence de réflexion critique sur les traductions dont ils se servaient pourrait relever d’un intérêt bien compris. C’est ce que suggère le fameux traité attribué à al-Fârâbî, L’harmonie entre les opinions de Platon et d’Aristote (al-jam‘ bayna ra’yay l-ḥakîmayn Aflâṭûn al-ilâhî wa Arisṭûṭâlîs). L’auteur s’y emploie à défendre l’unité de la philosophie contre les attaques des théologiens musulmans qui, à l’instar des chrétiens avant eux, faisaient fonds sur les divergences des philosophes pour disqualifier la philosophie en tant que telle. Pour prouver qu’Aristote adhérait à la cosmologie et à la métaphysique de son maître Platon, il s’appuie largement sur la Théologie dite d’Aristote, soit sur le Plotin arabe, évidemment plus platonicien, mais aussi plus compatible avec le dogme monothéiste, que l’authentique Aristote. L’entreprise d’harmonisation, alors vitale pour la philosophie en Islam, exigeait manifestement une attitude acritique à l’égard du mouvement de traduction (Al-Fârâbî ; Terrier a, p. 380-383).

Des doutes ont pourtant été émis par les philosophes musulmans sur l’authenticité de la Théologie d’Aristote, comme sur la fidélité de certaines traductions ; ceci non sur la base de critiques philologique, mais selon une méthode que l’on peut dire phénoménologique, attachée à sauver la cohérence spirituelle des textes. Shihâb al-Dîn al-Suhrawardî (m. exécuté en 587/1191) contesta l’attribution à Aristote de la Théologie à partir d’un bref et fameux récit d’extase qu’il contient – tiré d’Ennéades, IV, 8, 1 –, qu’il considère comme inadéquat à « l’état spirituel » d’Aristote et correspondant bien plutôt à celui de son maître Platon (K. al-Talwîḥât, p. 112-113 ; Aflûṭîn, p. 22). L’argument sera repris à la période moderne, en Iran safavide shî‘ite, par Shaykh Bahâ’î (m. 1030/1621) et Quṭb al-Dîn Ashkevarî (m. entre 1088/1677 et 1095/1684) entre autres. À la même époque, le philosophe Mîr Dâmâd (m. 1040/1631), qui admettait sans réserve l’attribution de la Théologie à Aristote, contestait en revanche l’interprétation faite des Idées platoniciennes par les disciples et commentateurs de Suhrawardî, et jugeait que cette mésinterprétation pouvait être due à « une forgerie contre [Platon et les platoniciens] (…) de la part des traducteurs qui ont rendu confuse la philosophie au commencement de sa traduction et de sa transmission du grec en arabe » (Mîr Dâmâd, p. 163-4). Reste que de tels doutes ou soupçons ne s’accompagnent jamais d’un retour au grec et représentent plutôt des exceptions qui confirment la règle.

Sans surprise, les critiques formulées à l’encontre du mouvement de traduction vinrent principalement d’adversaires de la philosophie, issus de tous les courants doctrinaux de l’islam. Commençons par celle du prédicateur ismâ‘îlien Abû Ḥâtim al-Râzî (m. ca 322/933-4) dont le débat avec son homonyme le philosophe Abû Bakr b. Zakariyyâ al-Râzî (m. 311/923 ou 320/932) est resté célèbre. Contre la thèse, formulée par ce dernier, d’une auto-fondation rationnelle des sciences, Abû Ḥâtim soutient que toute science et toute sagesse remontent en dernière instance à une source prophétique. Pour ce faire, il n’hésite pas à dénoncer la falsification de l’attribution des textes scientifiques traduits : « Quant aux livres dont [Abû Bakr al-Râzî] prétend qu’ils sont de leurs imâms [les savants et philosophes grecs], nous disons qu’ils sont en réalité des vestiges laissés par des sages véridiques assistés par Dieu. Les noms (…) auxquels ces livres sont attribués, comme Galien, Hippocrate, Euclide, Ptolémée et d’autres, ne sont que des surnoms tirés des noms des sages qui ont établi ces livres » (al-Râzî, p. 273-275).

En islam sunnite, l’hostilité de principe au mouvement de traduction, accusé d’avoir introduit des doctrines étrangères et impures dans l’islam, devait souvent aller de pair avec la dénonciation des hérésies shî‘ites. Ainsi le néo-hanbalite Ibn Taymiyya (m. 728/1328), farouche adversaire du shî‘isme comme de la philosophie, déclarait-il : « Je ne crois pas que Dieu pardonnera à al-Ma’mûn. Il faudra qu’il soit confronté à ce qu’il s’est proposé de faire avec cette communauté en introduisant les sciences philosophiques parmi ses hommes » (cité dans Râghib Iṣfahânî, introduction, p. 33).

Ibn Khaldûn adopte une attitude plus ambivalente mais in fine guère moins défavorable à l’intégration des sciences rationnelles d’origine étrangère, grecque ou perse. Son récit rappelle en creux celui d’al-Fârâbî :

« Après la destruction de la puissance grecque, le pouvoir passa aux empereurs romains, qui adoptèrent la religion chrétienne et abandonnèrent les sciences rationnelles, comme l’exigent les religions et les lois religieuses [nous soulignons]. Mais ces sciences purent être conservées grâce aux recueils où elles étaient consignées, et ceux-ci furent préservés dans leurs bibliothèques. Plus tard, les empereurs romains s’emparèrent de la Syrie, et ces ouvrages scientifiques continuèrent à être préservés, jusqu’à ce que Dieu apportât l’islam. »

Après la conquête, les musulmans ne portèrent d’abord que peu d’intérêt aux sciences et aux arts, puis ils désirèrent acquérir les sciences philosophiques, « poussés à les rechercher en raison de l’aspiration de la pensée humaine à ce genre de sciences », et la volonté des califes al-Manṣûr et al-Ma’mûn fit le reste. Ibn Khaldûn juge toutefois que l’influence que ces sciences exercèrent sur l’islam fut funeste et conclut que « la faute retombe, en cela, sur ceux qui l’ont commise » (Ibn Khaldûn, p. 944-946).

Soulignons toutefois qu’Ibn Khaldûn ne manque pas lui-même de puiser à l’héritage aristotélicien – l’homme, animal politique – et galénique – le concept de nature – dans sa théorie de la civilisation (‘imrân). Comme il en allait déjà chez al-Ghazâlî, les critiques de la philosophie ne sont pas ceux qui la connaissent et s’en servent le moins. Reste que le propos cité est révélateur d’une mentalité répandue chez les savants religieux de l’islam, un certain déni de l’héritage du mouvement de traduction gréco-arabe, déni symétrique à celui des savants occidentaux vis-à-vis du legs philosophique et scientifique arabe.

En milieu shî‘ite imâmite, on rencontre aussi une réaction hostile au mouvement de traduction. Ainsi le théologien Muḥammad Bâqir al-Majlisî (m. 1111/1699), auteur de la monumentale encyclopédie de ḥadîths imâmites Biḥâr al-anwâr, écrit-il : « La diffusion (tashhîr) des livres des philosophes parmi les musulmans fait partie des innovations blâmables (bida‘) des califes de la tyrannie (khulafâ’ al-jawr) [les califes ‘abbassides] hostiles aux imâms de la religion, afin de détourner les gens de ces derniers et de la claire Révélation. C’est ce que montre le récit d’al-Ṣafadî dans son Commentaire de la Lâmiyyat [al-Ghayth al-musajjam fî sharḥ lâmiyyat al-‘ajam] : « Al-Ma’mûn, ayant conclu un armistice avec certains rois chrétiens (…), leur réclama leurs archives (khizâna) de livres des Grecs. Ils en possédaient une collection dans une demeure (bayt) qu’ils ne montraient à personne. Ces rois rassemblèrent leurs élites d’entre les hommes d’opinion prépondérante et les consultèrent sur cette affaire. Tous conseillèrent de ne pas envoyer cette expédition [de livres], sauf un seul métropolite (maṭrân), qui dit : « Expédie ces livres. Jamais ces sciences n’ont pénétré un État [régi par] une Loi révélée (dawla shar‘iyya) sans le corrompre et établir la dissension parmi ses savants » » ». (Majlisî, vol. 57, p. 197). Le colportage par Majlisî de cette « légende noire » a ceci d’ironique que son œuvre fait suite à une véritable « renaissance philosophique » en Iran safavide shî‘ite, avec des auteurs comme Shaykh Bahâ’î, Mîr Dâmâd, Mullâ Ṣadrâ (m. 1045/1635-6) et Quṭb al-Dîn Ashkevarî, convaincus de l’harmonie préétablie de la sagesse grecque ancienne avec l’enseignement spirituel de leurs imâms.

Dans la recherche académique moderne

Entre les historiens des idées en Islam, d’autres partis pris épistémologiques et politiques ont entraîné des différences non moins profondes dans la compréhension et l’appréciation de ce mouvement. Le débat a porté sur ses causes et leur poids respectif, mais aussi sur sa valeur culturelle, voire inter- et transculturelle. Sur la question des causes, l’on retrouve une opposition classique du matérialisme et de l’intellectualisme, entre l’approche de Dimitri Gutas qui privilégie une explication politico-économique faisant la part belle à l’appareil idéologique d’État, et celle de Roshdi Rashed qui insiste sur le dynamisme interne de la vie intellectuelle, l’importance de la demande savante dans l’offre de traductions (Rashed, p. 1087).

Quant à la valeur culturelle de ce mouvement, peut-on parler à son sujet d’un « humanisme arabe », selon l’expression de Mohammed Arkoun, et même d’un « humanisme islamique », au sens d’islamicate chez Marshall Hodgson ? Roger Arnaldez voyait, dans cette appropriation des grands acquis scientifiques et intellectuels des civilisations passées, un projet de « civilisation universelle » et la première mise en œuvre d’une coopération scientifique internationale, au sein de l’empire et sous l’égide de l’Islam (Arnaldez, p. 74-75). Gerhard Endress parle lui d’une « société internationale » (Endress a, p. 43), et Hélène Bellosta note « le cosmopolitisme de ce monde qui regroupe des savants venus d’horizons divers, de religions diverses, de langues maternelles diverses » (Bellosta, p. 408). Dimitri Gutas conclut que l’importance la plus fondamentale du mouvement de traduction gréco-arabe est « qu’il démontra pour la première fois dans l’histoire que la pensée scientifique et la pensée philosophique sont internationales, et qu’elles ne sont liées ni à une langue ni à une culture particulières » (Gutas b, p. 288-289).

Rémi Brague, au contraire, considère l’appropriation islamique de l’héritage antique comme un processus, non d’inclusion ou d’intégration, mais de « digestion » ou d’assimilation, faisant perdre toute indépendance à son objet :

« La méthode islamique d’appropriation ne peut se déployer qu’au prix d’une dénégation de l’origine : la culture islamique se veut un commencement absolu, et refoule la conscience de devoir quelque chose à la situation antérieure qu’elle caractérise comme l’époque de l’ignorance (jâhiliyya) », en voulant pour preuve le « laisser disparaître » des manuscrits originaux après leurs traductions (Brague b, p. 282).

Suivant cette vue, le mouvement de traduction s’expliquerait en dernière instance par deux facteurs en tension : d’un côté les efforts d’une minorité marginale de savants non musulmans et de musulmans hétérodoxes pour penser malgré l’islam, de l’autre le supersessionisme de l’islam, selon lequel cette religion est appelée à se substituer à toutes les religions antérieures, qui, appliquée sur le plan culturel, commandait d’absorber les acquis d’autres civilisations pour mieux les dominer et les effacer. Mais suivant cette vue, l’on comprend mal qu’al-Kindî et Ibn Rushd aient pu être si assurés de l’orthodoxie de leur recours aux Grecs en tant que tels. On comprend mal aussi que les « historiens de la sagesse » comme Ibn al-Nadîm, Ibn Juljul, Ṣâ‘id al-Andalusî et d’autres, aient attribué les fondations de la science et de la sagesse, non au seul « miracle grec » comme il est souvent fait dans la littérature européenne, mais au concours successif des nations égyptienne, chaldéenne, indienne et grecque, avec ou sans intervention prophétique, certes en procédant à une « naturalisation » ou à une « ḥanîfisation » des grandes figures de la pensée grecque (Hermès, Pythagore, Socrate, Platon, Aristote, Alexandre), mais en reconnaissant aussi, dans tous les sens du terme, leur altérité culturelle, religieuse et linguistique. Il semble bien plutôt qu’avec ce mouvement de traduction et ses suites, une large part de l’intelligentsia arabo-musulmane renonça sciemment à l’idéologie religieuse du supersessionisme pour constituer l’Islam comme culture universelle.

 Conclusion

Le mouvement de traduction gréco-arabe aux IIIe/IXe-Ve/XIe siècles représente un phénomène intellectuel et social sans précédent et d’une importance décisive. Il permit la formation d’une large culture intellectuelle ainsi que d’une catégorie d’intellectuels non religieux en Islam, concurremment et parfois conjointement à celle dont l’adab a permis la constitution. Il rendit possible, tout à la fois, l’intégration d’idées étrangères à la pensée islamique et l’intégration de savants non musulmans à la société musulmane. Cette intégration ne fut ni une assimilation, où l’autre cesse d’être tel pour devenir le même, ni une simple importation ou une « immigration choisie », mais une fécondation mutuelle par laquelle la culture intégrante, l’Islam en formation, ne s’est pas moins transformée que celle qu’elle intégrait, l’hellénisme, qui connut ainsi une première renaissance. Le mouvement de traduction participa ainsi de l’émergence d’une société multiculturelle et d’une civilisation à vocation universelle, enrichie des contacts, emprunts et échanges avec d’autres, qui fit de l’espace méditerranéen, déjà « berceau des civilisations », un creuset vivant de cultures et d’humanités.

Mathieu Terrier

 Biographie

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Pour citer :
Mathieu Terrier, « Le mouvement de traduction gréco-arabe aux IIIe-Ve / IXe-XIe siècles », in Houari Touati (éd.), Encyclopédie de l’humanisme méditerranéen, Octobre 2020, URL = https://www.encyclopedie-humanisme.com/?Mouvement-de-traduction-greco-arabe