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Avicennisme arabo-islamique

 Introduction

Ibn Sīnā, né approximativement en 980 à Afshana, petit village près de Bukhara, mort en 1037 à Hamadhan, est l’un des penseurs les plus marquants de l’humanité. Philosophe avant tout, mais aussi médecin et homme de science, il a rédigé un corpus impressionnant tant par son volume que par la richesse de son contenu. Rien d’étonnant, donc, que sa pensée ait suscité un grand intérêt et influencé de façon profonde toute la postériorité intellectuelle en terre d’Islam (Gutas, 2002 ; Wisnovsky, 2004 ; Endress, 2006). Précisons déjà que cette influence se traduisit tout autant par l’acceptation que par la réfutation, deux attitudes reconnaissant l’importance de la doctrine considérée. Cette influence s’étend sur une très longue période dans différentes parties du monde arabo-islamique ; elle ne s’arrête donc pas avec ce que l’on a longtemps tenu pour la « destruction de la philosophie », tout spécialement celle d’Ibn Sīnā, par al-Ghazālī (m. 1111). Il faudrait d’ailleurs parler chez al-Ghazālī, plutôt que d’une fin de la philosophie, de l’ébauche d’un nouveau projet intégrant, de façon critique, une large partie de la philosophie avicennienne dans la pensée théologique ou « kalamique » (Janssens, 2001 ; Griffel, 2009). Ce n’est qu’avec Fakhral-Dīn al-Rāzī (m. 1209) que cette nouvelle synthèse – que l’on pourrait qualifier de véritable ‘philosophie islamique’ – trouve sa première expression nette et complète, laquelle influencera à son tour des générations de penseurs (Shihadeh, 2005, p. 178-179). L’avicennisme fit également école, après le quatorzième siècle, dans l’Empire ottoman et en Inde, mais aussi et surtout en Iran, dans l’école dite de l’Ishrāq (« Illumination »), d’après l’œuvre de Shihābal-Dīn Suhrawardī (m. 1191), et l’école dite d’Ispahan autour de Mīr Dāmād (m. 1631) et Mullā Ṣadrā Shīrāzī (m. 1641) au dix-septième siècle (Corbin, 1972). Les recherches à ce sujet ont à peine commencé. Il reste un vaste nombre d’écrits à éditer et à étudier. Même s’agissant des auteurs les plus connus, tels al-Ghazālī ou Fakhr al-Dīn al-Rāzī – auxquels on pourrait ajouter Suhrawardī et Mullā Ṣadrā –, leur appréciation du système avicennien est encore loin d’avoir été précisément évaluée et beaucoup d’interrogations demeurent. Cette remarque vaut aussi pour les disciples immédiats (Al-Rahim, 2009). Dans l’état actuel des choses, il est donc impossible de dresser un panorama exhaustif de l’impact de la pensée d’Ibn Sīnā sur le monde arabo-musulman après lui. Mais nous espérons démontrer la signification particulière, sinon centrale, des écrits de celui que la tradition arabo-musulmane a désigné sous le titre honorifique de Shaykh al-ra’īs, « le souverain maître », en discutant quelques-unes de ses idées les plus originales, qui de toute évidence n’ont pas laissé indifférents les penseurs arabo-musulmans après lui.

Célèbre médecin, Ibn Sīnā fût avant tout philosophe. Selon ses propres dires, la médecine est une science facile. Reste que ses écrits médicaux sont nombreux et ont eu une grande postérité, comme en témoignent les nombreux commentaires, tant favorables que critiques, sur deux de ses ouvrages médicaux les plus importants, al-Qānūn fī l-ṭibb et al-Urjūza fī l-ṭibb. Sa vaste encyclopédie médicale qu’est le Qānūn a été analysée, en partie ou en totalité, par plus de cent auteurs en langue arabe, de la seconde moitié du onzième siècle jusqu’à la fin du dix-neuvième, dans une vaste partie du monde musulman s’étendant jusqu’à l’Inde (Zillurahman, 2004, p. 137-142 ; Hussain, 1997). Quant au poème didactique qu’est l’Urjūza, il a fait l’objet d’une petite dizaine de commentaires (Anawati, 1950, p. 114), majoritairement à l’Occident du monde musulman, dont le plus connu est celui d’Ibn Rushd.

Dans ce qui suit, nous nous concentrerons cependant sur la pensée philosophique d’Ibn Sīnā. Celle-ci intègre, comme toute philosophie à son époque, des idées que l’on appellerait aujourd’hui « scientifiques ». Nous exposerons en particulier quelques idées marquantes dans les domaines de la logique, la physique, la théorie de l’âme et la métaphysique.

 Logique

A. Conception et assentiment

En logique, Ibn Sīnā donne une place centrale à une distinction, introduite déjà par al-Fārābī de façon oblique, entre « conception » (taṣawwur) et « assentiment » (taṣdīq). La « conception » a directement rapport à la définition d’une chose ou à ce qui lui ressemble, l’assentiment au raisonnement (syllogistique) (qiyās) ou à ce qui lui ressemble (Najāt, p. 7). Fakhr al-Dīn al-Rāzī (Lubāb al-Ishārāt, p. 3) valide cette explication, en précisant que la conception est spécifique à la recherche de l’expression explicative, telle que la définition, la description ou l’image (mithāl), tandis que l’assentiment se rapporte à la preuve sous forme de déduction syllogistique, d’induction ou de raisonnement par analogie (tamthīl). En incluant l’image et le raisonnement par analogie comme éléments constitutifs possibles, il facilite incontestablement l’acceptation de ladite distinction logique en milieu kalamique. Le même Rāzī, dans un contexte où il se concentre expressément sur le premier « pilier » (rukn) de la science du kalām n’hésite pas à poser que la conception et l’assentiment forment la base de tout savoir. Mais tandis que la première s’abstient d’un jugement qui tranche entre affirmation et négation, la seconde en offre un (Muḥaṣṣal, p. 25). Certes, al-Ghazālī avait déjà en quelque sorte frayé le chemin en ce sens, en insistant sur la nécessité de respecter les règles de la logique et en intégrant des considérations logiques dans des textes de fiqh (droit), tout en démontrant leur validité pour le kalām (Janssens, 2010). Mais il n’innove pas beaucoup en logique et se contente de reproduire en grande partie le système avicennien, en y ajoutant quelques éléments farabiens et/ou en modifiant la terminologie (Janssens, 2002).

Si la logique, selon Ibn Sīnā, a pour objet propre les intelligibles seconds, son but final est bien la production des deux états de connaissance que sont le « concept » et l’« assentiment ». Mais il complique les choses quand, à plusieurs reprises, il reformule cette distinction en termes de « conception » et de « conception accompagnée d’assentiment », impliquant que la conception pure exclut l’assentiment (Najāt, p.112, 6-9), le précède nécessairement (voir Ta‘līqāt, p.23-6) et en constitue une condition. Quṭbal-Dīn al-Rāzī (m. 1311) et, à sa suite, Mullā Ṣadrā al-Shīrāzī(m. 1650), consacreront chacun un traité entier à ces deux notions. On y trouve de multiples références à des positions antérieures – Mullā Ṣadrā mettant à contribution des informations présentes chez Quṭb al-Dīn, qui à son tour avait largement puisé dans le commentaire du Kitāb al-talwīḥāt de Suhrawardī par Ibn Kammūna (d. 1284) –, sans que l’on puisse en identifier les tenants avec une certitude absolue. Mullā Ṣadrā (R. al- taṣawwur wa l-taṣdīq, p. 53-54) mentionne trois interprétations : (1) la conception comme condition ou (2) comme part de l’assentiment, ou (3) l’identification de l’assentiment avec le jugement (ḥukm). Il attribue la première aux ‘philosophes’, sans doute al-Fārābī et Ibn Sīnā, et la seconde aux ‘modernes’, mentionnant d’abord l’Imām (Fakhr al-Dīn) al-Rāzī, avant de noter plus loin (p. 98) que cette opinion est seulement « attribuée » à ce dernier. Quant à la troisième opinion, il ne précise pas de noms mais vise, selon toute vraisemblance, des auteurs tels Naṣral-Dīn al-Ṭūsī (m. 1274), Najmal-Dīn al-Kātibī (m. 1276) ou Sirāj al-Dīn al-Urmawī (m. 1283) (Lameer 2006, p. 65-67). Mullā Ṣadrā rejette avec force ces trois interprétations. Aux deux premières, il objecte de ne pas valoriser correctement la différence entre existence et essence, à la troisième d’identifier une passion de l’âme avec une action. Avec Quṭb al-Dīn al-Rāzī, il opte pour une approche métaphorique de la relation entre assentiment et jugement. Mettant à contribution la nette distinction articulée par Ibn Sīnā (Shifā’, Ilāhiyyāt, V, 5, p. 237,5-238,1) entre la vraie différence spécifique (pour laquelle nous n’avons pas de nom) et son substitut, il précise que le jugement fonctionne comme ce substitut de la vraie différence, qui est inexprimable et est contenue dans la définition de l’assentiment. Ceci lui permet d’affirmer que la vraie différence spécifique tombe sous la catégorie de la passion de la même façon que la conception absolue.

Comme le remarque Lameer (Lameer, 2006, p. 96), plus qu’à la logique pure, Mullā Ṣadrā s’intéresse à la doctrine de l’âme et à une interprétation métaphysique, due à Ibn Sīnā, de la doctrine aristotélicienne de la double façon de désigner les choses qualifiées. Il élabore ainsi une nouvelle théorie, ayant toutefois des points d’appui solides dans la pensée avicennienne. Nettement plus en rupture avec celle-ci est la position défendue par certains auteurs dont Athir al-Dīn al-Abharī (m. 1265) et al-Kātibī, une position vraisemblablement initiée par Afḍal al-Dīn al-Khūnajī (m. 1249), selon laquelle le sujet propre de la logique n’est pas les intelligibles seconds comme le soutenait Ibn Sīnā (voir plus haut), mais bien la conception et l’assentiment. Elle suscitera une réaction de la part des « avicenniens purs », dont l’exemple type est al-Ṭūsī, qui note toutefois que la conception et l’assentiment font partie des premiers intelligibles (Street, 2008). Comme le note Street, l’enjeu de la querelle est difficile à déterminer de façon exacte. Pourrait-on y voir une opposition entre une logique très ouverte à la langue, un peu comme chez al-Fārābī, et une autre plus formelle, et dans ce sens plus ‘pure’, bien que non déliée complètement de la langue, fidèle à Ibn Sīnā ? Quoi qu’il en soit, il est incontestable que le débat se déroule en lien direct à la pensée de ce dernier.

B. Élaboration d’une logique modale

Une innovation majeure d’Ibn Sīnā en logique est la construction d’une logique modale dans laquelle il distingue six conceptions de modalité : la proposition nécessaire de manière absolue (‘alā l-iṭlāq) ; la proposition conditionnellement nécessaire, soit selon la durée de l’essence, désignée dans la tradition postérieure comme proposition dhātiyya (« essentielle »), soit selon la durée de l’être qualifiable du sujet par ce qui est établi comme l’accompagnant (ma‘ahu), désignée dans la tradition postérieure comme proposition waṣfiyya (« descriptive »), soit selon la durée de l’existence du prédicat, soit selon un temps déterminé, soit selon un temps indéterminé (Ishārāt, SD I, p. 264-266 ; F, p.32-3 ; Najāt, p. 35-36). Sous cette division, on peut détecter des motifs métaphysiques, par exemple, la distinction entre le « nécessaire en soi » et le « possible en soi, nécessaire par autrui » (Schöck, 2008), ou celle entre essence et existence, sur lesquels nous ne pouvons nous arrêter ici. Il faut souligner, en revanche, qu’Ibn Sīnā ne discutera en détail que les deux premiers modes du conditionnellement nécessaire et, avant tout, celui qualifié de dhātī (Street, 2000, p. 215) ; pour lui, ce dernier dépend de la façon dont les choses existent, non de la façon dont elles sont décrites.

Ibn Rushd, qui n’avait pas une haute opinion du système avicennien, défendra un point de vue sensiblement différent, en établissant un lien direct entre les classes de propositions et les types de termes qui s’y trouvent présents (Street, 2008). En outre, en construisant sa logique modale sur la base d’une logique assertorique, Ibn Rushd se révèle définitivement non-avicennien (Street, 2004, p. 564). Al-Kātibī, tout en acceptant la distinction avicennienne entre proposition dhātiyya et proposition waṣfiyya, ne suivra pas non plus Ibn Sīnā dans la caractérisation du terme-sujet comme impliquant aussi bien ce qui est supposé mentalement que ce qui existe de manière extra-mentale et comme complètement ancrée dans l’opérateur de nécessité (Street, 2008). De plus, il ne respecte pas comme Ibn Sīnā une séparation stricte entre les lectures dhātī et waṣfī. Pour Ibn Sīnā, seule la première permettait d’interpréter correctement la syllogistique aristotélicienne, la lecture waṣfī ayant avant tout une fonction interprétative servant à expliquer, voire à justifier la syllogistique non-modale d’Aristote. Quant à al-Kātibī, comme une large part de la postérité avicennienne, y compris al-Ṭūsī, il ne s’occupe plus de ‘sauver’ Aristote, mais introduit une plus grande différenciation dans les propositions waṣfiyya et celles conditionnées extérieurement (Street, 2000, p. 219). Dans les siècles qui suivent la mort du Shaykh al-ra’īs, on assiste donc à une modification – selon les cas, plus ou moins profonde – du système avicennien. Cette révision semble avoir été entamée par Fakhr al-Dīn al-Rāzīet trouver sa base ultime dans sa pensée (Street, 2005).

C. Catégories : entre logique et métaphysique

L’étude des catégories, selon Ibn Sīnā, appartient plus à la métaphysique qu’à la logique ; l’ignorer ne cause pas une vraie rupture dans la progression de la connaissance logique. En d’autres termes, on pourrait directement passer du livre De l’Interprétation à celui sur le syllogisme, Les Premiers Analytiques. De plus le nombre des catégories peut être modifié sans mettre en péril la logique (Shifā’, Maqūlāt, I, 1, p.5,6-7). Ibn Sīnā affirme n’avoir inclus le traité des Catégories dans la section logique du Shifā’ que par convention (Ibid., p. 6, 9-10). En agissant de la sorte, il voulut résoudre le problème de la relation entre la science des catégories et la métaphysique, et donc celui du statut précis des catégories (Gutas, 1988, p. 265). En effet, la vérification ultime des catégories ne peut se faire sans un recours à la métaphysique. On peut voir ici l’expression de ce qu’Amos Bertolacci entend par « ontologisation de la logique ». Toutefois, comme il le rappelle, celle-ci n’implique qu’un chevauchement partiel entre logique et métaphysique et n’exclut nullement de concevoir la logique comme instrument universel de connaissance (Bertolacci, 2011, p. 51). Ce chevauchement se retrouve aussi dans le traitement des catégories. Dans le Shifā’ comme dans les ‘Uyūn al-ḥikma (p. 2-3) et le Kitāb al-Hidāya (p. 71-76, §§ 9-10), il présente un exposé – bref, il est vrai –des dix catégories en contexte logique. Alors que dans ces deux ouvrages (‘Uyūn, p. 53-55 ; Hidāya, p. 232-233, § 137), Ibn Sīnā examine en contexte métaphysique la seule différence entre substance et accident (sans approfondir de façon particulière un des neuf accidents), il n’en va pas de même dans les Ilāhiyyāt du Shifā’, où il consacre l’intégralité du livre deux à l’analyse de substance et du livre trois à celle des accidents de quantité, qualité et relation.

Cette démarche indique que les autres catégories accidentelles ne desservent pas un traitement spécial en métaphysique, mais que leur propre exposé fait effectivement partie de la logique. Si les catégories ne sont pas prises en considération dans la logique du Dānesh-Nāmeh ni des Ishārāt, ce n’est pas parce qu’Ibn Sīnā aurait déplacé totalement leur discussion à la partie métaphysique, car il n’en parle non plus dans la métaphysique des Ishārāt, alors que dans le Dānesh-Nāmeh il en traite effectivement, mais en se concentrant sur la substance, la quantité et la qualité, ne faisant qu’une brève énumération des sept autres catégories accidentelles (Dānesh-Nāmeh, ‘Ilm ilāhī,p. 29-31). Dans la Najāt (p. 512, 19-20) il affirme que l’analyse de l’état de chaque sorte de catégorie fait partie des choses purement logiques. S’il en est bien question dans la partie logique (ibid., p. 152-157), ce n’est pas à l’endroit où l’on l’attendrait spontanément, à savoir entre l’exposé des cinq prédicables et celui des propositions, mais dans le cadre de la présentation de la définition, en d’autres mots à propos d’une matière ayant trait aux Seconds Analytiques.

L’ensemble de ces éléments donne à penser qu’Ibn Sīnā continue à considérer les catégories – au moins selon un certain point de vue – comme faisant nécessairement partie de la logique. Mais pour une logique formelle, on n’en a pas besoin, pas plus d’ailleurs que de la rhétorique et de la poétique dont la signification est exclusivement ‘pratique’ (Black, 1990, passim).

Bahmanyār ibn Marzubān (m. 1066), disciple de la première génération, paraît à première vue adhérer entièrement à cette ‘ontologisation’ de la logique catégoriale. En effet, dans la seconde partie intitulée « Métaphysique » (māba‘d al-ṭabī‘a) de son Kitāb al-taḥṣīl, il discute longuement les dix catégories. Mais comme nous avons essayé de le montrer en détail (Janssens, 2007), il s’écarte de l’approche avicennienne, métaphysique, des catégories, en gardant ou en introduisant des éléments qui, d’un point de vue avicennien, sont d’ordre purement logique ou physique. Cela ne l’empêche pas d’inclure dans la première partie de son livre, consacrée à la logique, une section – brève, il est vrai (Kitāb al-taḥṣīl, p. 23-37) – ayant pour titre « Catégories » et contenant une présentation assez élémentaire des dix catégories. L’articulation de Bahmanyār est de toute évidence dominée par une volonté de donner une expression ontologique aux catégories. En ce sens, elle peut se réclamer d’une inspiration avicennienne, mais son projet ne parvient manifestement pas à aboutir dans le cadre strict établi par le ‘maître’.

Quant à al-Ghazālī, il adopte l’attitude qui fut celle d’Ibn Sīnā dans le Dānesh-Nāmeh, ce qui ne doit pas nous surprendre (voir Janssens, 1987). Plus difficile à juger est toutefois la façon dont il traite des catégories dans son Mi‘yār al-‘ilm. Dans la première partie ayant trait aux « prémisses du syllogisme », il donne un bref aperçu des dix catégories juste après avoir discuté les cinq prédicables, indiquant qu’il y reviendra de façon plus détaillée dans la quatrième et dernière partie de son ouvrage (Mi‘yār, p. 77-78). Celle-ci a pour titre « les divisions et les modes de l’être », et ces divisions ne sont autres que les catégories (Mi‘yār, p.228-239). Cela pourrait donner l’impression d’une inclinaison nette vers une approche ontologisante des catégories, d’autant plus qu’à propos des modes –cause/effet ; puissance/acte, etc. –, il discute de matières strictement métaphysiques. Toutefois, les formules utilisées par al-Ghazālī sont hautement logiques, largement reprises des Maqūlāt d’al-Fārābīet de la section logique de la Najāt (Janssens, 2002, p. 46) ; on chercherait donc en vain les éléments d’une analyse métaphysique. Ne faudrait-il pas parler d’une « logicisation » des modes de l’être plutôt que d’une « ontologisation » des catégories ? L’hypothèse est d’autant plus recevable que le Mi‘yār se présente comme un manuel de logique. Si c’est le cas, il faut reconnaître qu’al-Ghazālī n’accepte nullement la nouvelle ‘valorisation’ des catégories par Ibn Sīnā, mais se limite à une simple acceptation logique.

 Physique

Tournons-nous maintenant vers la physique, plus particulièrement quelques aspects des vues avicenniennes concernant le mouvement et le temps.

A. Le mouvement : deux conceptions

Ibn Sīnā définit le mouvement en termes aristotéliciens : « Le mouvement est la perfection première de ce qui est en puissance en tant qu’il est en puissance » (Shifā’, Samā‘, Z p. 83, 5 ; MG I, p. 110, 12). L’addition de la qualification de « première » à la définition du Stagirite s’inspire des commentateurs, Themistius, Philopon et, sans doute aussi Alexandre d’Aphrodise (Hasnawi, 1994, p. 63-6 ; Janssens, 1999, p. 97-9). Mais contrairement à ces prédécesseurs grecs, Ibn Sīnārefuse de comprendre cette première perfection en termes de passage (Shifā’, Samā‘, II, 1, Z, p. 83, 14-15 ; MG I, p. 111, 12-13). Tout en distinguant le « vrai » mouvement comme état intermédiaire du mouvement accompli qui représente la seconde perfection et n’a qu’une réalité mentale, il explique le premier en termes de mouvement instantané dans un point ou par la caractérisation d’un moment infinitésimal où la distinction entre les positions s’explique à partir de l’inclinaison (mayl) propre à chaque point (Hasnawi, 2001, p. 229-239 ; McGinnis, 2009, p. 59-64 ; Rashed, 2005, p. 300-301). Il s’agit là incontestablement d’une innovation majeure.

Bahmanyār (Kitāb al-taḥṣīl, p. 419-420) reproduit presque mot à mot ce qu’Ibn Sīnā a dit d’essentiel sur le mouvement-état intermédiaire, mais il n’évoque que de façon oblique la distinction avicennienne entre deux conceptions du mouvement (Janssens, 2010, p. 19-21). Quant à al-Lawkarī (m. 1123 ?), il reprend verbatim la quasi-intégralité de l’exposé d’Ibn Sīnā dans le Shifā’ (Bayān, Physique, f. 21r-22r), à l’exception d’une objection de nature logique contre l’idée du mouvement-état intermédiaire, difficile à saisir il est vrai (Hasnawi, 2001, p. 235). Fakhral-Dīn al-Rāzī, du moins dans ses Mabāḥith (I, p. 550-54), cite largement ledit exposé, plutôt sous forme de paraphrase. Mais contrairement à al-Lawkarī, il discute longuement les deux objections évoquées par Ibn Sīnā. Toutefois, si dans cet ouvrage, al-Rāzī semble adhérer à la doctrine avicennienne, il faudrait effectuer une analyse détaillée de ses écrits tardifs afin de pouvoir déterminer avec certitude jusqu’où il suit vraiment Ibn Sīnā. À ce propos, il est important de noter avec Marwan Rashed (p. 304) que dans le kalām tardif, les « parties indivisibles », c’est-à-dire les atomes, ressemblent de plus en plus aux « positions » avicenniennes, celles-ci résultant d’une inspiration du kalām ancien. Quoi qu’il en soit, la vision d’Ibn Sīnā occupera toujours une place importante dans la fameuse école d’Ispahan, comme en témoigne les Asfār (III, pp. 31-7) de Mullā Ṣadrā Shīrāzī. Ce dernier, plus critique que Fakhral-Dīn al-Rāzī, dont il met les Mabāḥith largement à contribution (Janssens, 2010, 30), n’ignore nullement le point de vue avicennien mais en présente clairement l’essentiel (selon la version du Shifā’).

B. Mouvement dans la catégorie de « position »

Une autre innovation significative dans la doctrine du mouvement est l’acceptation par Ibn Sīnā de son existence dans la catégorie de « position » et pas seulement dans celles de « quantité », de « qualité » et de « où » (Shifā’, Samā‘, II, 3, Z 103, 8- 106, 3 ; MG I, 145 - 148, 8). Il se distingue ainsi clairement de toute la tradition qui le précède, y compris Aristote lui-même. Mais s’il introduit cette notion de mouvement de position, c’est par un souci hautement aristotélicien, celui de sauvegarder la définition du lieu comme la limite du corps enveloppant (Physique, IV, 4, 212a5) tout en admettant l’existence d’un mouvement dans la sphère extrême. Le mouvement de cette dernière est de toute évidence circulaire. Mais contrairement au « Premier Maître », Ibn Sīnā qualifie ce genre de mouvement de génériquement différent du mouvement linéaire dans la mesure où, dans une rotation, la position figure en puissance prochaine à la fois comme terminus a quo et comme terminus ad quem (McGinnis, 2006, p. 153). Dans les sphères célestes, cette position est fixée par convention. Le principe de la distinction des positions se trouve uniquement dans la faculté imaginative de la sphère, de sorte que la puissance se distingue à peine de l’existence purement imaginale (Rashed, 2005, p. 302). On peut donc admettre l’existence de contraires dans les mouvements célestes – condition nécessaire à tout mouvement. En même temps, il est clair que la sphère ultime céleste ne possède pas de lieu, dont elle n’a pas besoin pour se mouvoir puisqu’elle se meut circulairement.

Cette doctrine hautement novatrice, car en rupture totale avec toute la tradition précédente, reçut un accueil favorable dans les milieux académiques en terre d’Islam. Bahmanyār (Kitāb al-taḥṣīl, p. 428, 5-14) fut le premier à y donner son plein assentiment, estimant que cette théorie est la seule façon d’expliquer le mouvement de la sphère extrême. Mais il ne signale nulle part la nouveauté de cette doctrine dont il se contente de reproduire plus ou moins fidèlement la version brève donnée par Ibn Sīnā dans son Najāt (Janssens, 2010, p. 20-21). Après lui, al-Lawkarī (Bayān, Physique, f. 24r-25r), suivant son habitude, copia presque littéralement l’exposé avicennien, non sans en modifier quelque peu l’ordre, omettant surtout la dernière partie où Ibn Sīnā souligne qu’un changement, même lié à un lieu, n’est pas nécessairement un changement de type local. De son côté, Fakhr al-Dīn al-Rāzī (Mabāḥith, I, p. 581, 20 – 582, 19) accepte le point de vue avicennien en condensant l’exposé du Shifā’. En même temps, il note que nonobstant les prétentions d’Ibn Sīnāle premier à avoir soutenu cette idée n’est pas lui mais al-Fārābī – toutefois, l’œuvre à laquelle il fait référence, les ‘Uyūn al-masā’il, est d’attribution incertaine (Janssens, 2010, p. 29). Enfin, chez Mullā Ṣadrā Shīrāzī, l’idée fondamentale d’un mouvement selon la « position » est toujours présente et reconnue comme valide ; il se borne à réutiliser la formulation du Kitāb al-taḥṣīl de Bahmanyār (ibid., p.31).

C. Le temps

Au sujet du temps, Ibn Sīnā défend sans ambiguïté une conception réaliste (McGinnis, 2009, p.71-75). Dans le Shifā’, il s’efforce même d’élaborer une preuve irréfutable de l’existence du temps en se basant sur la réalité du mouvement et des faits cinématiques ; ainsi, la traversée d’une distance à des vitesses diverses implique l’existence d’une grandeur, à savoir le temps, car elle ne peut être ni la distance même, ni le corps mobile, ni le mouvement, ni quelque chose de subsistant en soi-même (Shifā’, Samā‘, II, 11, Z, p. 155 - 156, 17 ; MG I, p. 229-231). Ibn Sīnā rejette aussi catégoriquement toute vision atomique du temps et se révèle un fervent défenseur de sa continuité. Plus précisément, le « maintenant » (le nunc) produit en fluant un rangement d’instances antérieures et postérieures (Shifā’, Samā‘, II, 12, Z, p. 164, 4 – 17 ; MG I, p.244, 5 - 245, 5), rangement qui n’est autre que le temps (McGinnis, 2003, p. 8). Toutefois, le « maintenant » n’existe en acte que pour l’imagination de la faculté estimative (Shifā’, Samā‘, II, 12, Z, p. 160, 5-6 ; MG I, p.237, 4-6). En conséquence de cette continuité du temps, Ibn Sīnāfait état d’un renouvellement permanent de l’avant et de l’après pour chaque chose qui commence (ḥadīth). Il précise que l’antériorité n’est ni le non-être ni l’agent de ce qui est instauré (Ishārāt, SD III, p.71, 4 - 75, 2 ; F,p.151, 5 – 12). Cet « avant » est donc quelque chose en soi, ce qui semble pointer vers le temps dont Ibn Sīnā affirme qu’il est interruption et renouvellement permanents, suggérant ainsi l’absence de commencement de l’existence du temps, sans en préciser les raisons (Mayer, 2007, p. 128).

Fakhr al-Dīn al-Rāzī objectera que l’avant n’est pas réel, car s’il l’était, chaque temps, en tant que renouvellement permanent d’avants et d’après, présupposerait un autre temps. Naṣral-Dīn al-Ṭūsī rejettera pour sa part cette critique en soulignant que l’avant et l’après se présentent comme une adjonction (luḥūq) du temps, en d’autres mots comme des épiphénomènes de ce dernier des effets « mentaux » pointant vers l’existence du temps réel comme pur « fluxus » (ibid., p. 134-146). Al-Suhrawardī (m. 587/1191), contemporain de Rāzī, admet l’infinité du temps en arguant d’une part que le temps ne peut pas avoir commencé à être car il y aurait alors un avant possédant une réalité positive et présupposant l’existence d’un autre temps, d’autre part que le temps ne peut pas avoir un terme car cela impliquerait l’existence d’un après présupposant encore l’existence d’un autre temps (Kitāb Ḥikmat al-Ishrāq, 179-80, §§ 184-85 ; tr. 170-71). Suhrawardī s’inspire sans doute ici de la Najāt (p. 229, 9-15) ou d’un texte semblable d’Ibn Sīnā. Quoi qu’il en soit, il accepte l’idée, remontant à Aristote, de l’éternité du temps ; et comme Ṭūsī, il conçoit l’avant et l’après comme des entités ‘mentales’ à comprendre par rapport à un ‘maintenant’, lequel est instantané et imaginé par l’estimation (ibid.,p. 181, § 185 ; trad. p. 171). Dans la tradition ishrāqī, l’idée de l’absence de commencement du temps se retrouve chez Mullā Ṣadrā Shīrāzī. Celui-ci insiste sur ceci que tout avant fait nécessairement partie d’un temps et que le seul Créateur précède le temps (Asfār, III, p. 124-125). Mullā Ṣadrā fait de la modulation de l’être le but prochain du temps ainsi que du mouvement (ibid., III, p. 118-24). Cette idée, telle quelle, est absente chez Ibn Sīnā, mais Mullā Ṣadrā n’hésite pas à mettre à contribution quelques passages des Ta‘līqāt, faisant de la conservation de la nature de la sphère le but propre de son mouvement (Janssens, 2002b, p. 6). Toutefois, il se distingue surtout du Shaykh al-ra’īs en qualifiant le temps comme le verbe de l’ange, à savoir l’ange de la Révélation, émanant de la liberté divine (Jambet, 2002, p. 210).

 Psychologie

En matière de psychologie, scrutons de nouveau sur deux théories avicenniennes « pionnières » : celle de l’aperception de soi et celle des cinq sens internes, en particulier de la faculté estimative (wahm).

A. Aperception de soi

Ibn Sīnā défend l’idée d’une présence ontologique à soi-même, d’une conscience préréflexive qui est ‘aperception de soi’ (Ta‘līqāt, p. 79-80). Certes, il n’adhère pas à cette doctrine sans ambiguïté dans tous ses ouvrages ; par exemple, dans ses Mubāḥathāt, il assimile parfois mais pas toujours l’aperception par l’homme de son ipséité à une intellection (Sebti, 2006, p. 113-17). Mais à plusieurs reprises, il se prononce en faveur d’une ‘aperception de soi’ dépassant toute réflexion et indiquant l’existence d’un « moi » (Kaukua, 2007, p. 101-111). Avec cette aperception, Ibn Sīnā tend à sauvegarder l’unité du sujet humain, c’est-à-dire avant tout de l’âme, car dans sa conception dualiste de l’homme celui-ci se réduit essentiellement à son âme. En ce sens, son fameux argument de « l’homme volant » établit entre autres choses l’existence de l’âme comme immatérielle, assurant ainsi l’unité du sujet humain pensant (Black, 2008, p. 81-2). C’est cette immatérialité qui permet à l’âme humaine, contrairement à celle des animaux, de prendre comme objet de réflexion cette aperception primitive de soi, alors que celle-ci fonctionne comme principe immatériel d’individuation (Kaukua-Kukkonen, 2007, p. 111). Bref, pour Ibn Sīnā, il existe une connaissance de soi qui est le fait de l’intellect et une autre qui est naturellement innée. Mais faute d’avoir développé une conception de l’aperception de soi qui réconcilierait ces deux modes de perception, les penseurs arabes de sa postérité se virentconfrontésà cette aporie (Marcotte, 2006, p. 535).

L’un des premiers à s’être confronté à la conception avicennienne de l’aperception de soi est sans doute Abū l-Barakāt al-Baghdādī (m. 1152). L’étude séminale que Sh. Pines lui a consacrée nous dispense d’exposer sa réflexion en détail. Rappelons-en seulement quelques points marquants. En conformité partielle avec Ibn Sīnā, Abū l-Barakāt définit l’aperception de soi comme une connaissance primitive, indépendante des sens, de l’âme comme identique au « moi » (Pines, 1954, p. 63). Toutefois, sa pensée manifeste une rupture radicale avec celle du Shaykh al-ra’īs, quand il élabore une nouvelle psychologie où à chaque type d’acte ne correspond plus une faculté différente (selon le principe « ex uno non fit nisi unum »), mais où les actes dépendent tous d’une conscience, ou d’une certitude intime, que c’est mon « moi » –un et indivisible– qui réalise chacun de ces actes, tels voire, entendre, etc. (ibid., p. 70). Cette unité fondamentale du sujet est soutenue jusqu’au bout, soit à la négation de l’existence de l’intellect en tant qu’entité différente de l’âme (ibid., p. 89-90).

La façon dont Suhrawardī s’inspire d’Ibn Sīnā au sujet de l’aperception de soi est extrêmement complexe. Il ne fait guère de doute que comme son prédécesseur, il accepte l’idée d’une aperception de soi primitive, soit d’une présence permanente de l’âme à elle-même (Marcotte, 2006, 536 ; Kaukua, 2011, p. 147). En des termes proches de l’argument de l’homme volant, Suhrawardī souligne que rien de physique ou de corporel ne constitue la véritable ipséité de l’homme (Kitāb Ḥikmat al-Ishrāq, 112, § 116 ; tr. 103). L’aperception de soi exclut en outre, pour nos deux auteurs, la médiation d’une quelconque entité (Marcotte, 2006, 544). Il est, par contre, plus difficile de saisir les rapports précis entre la conception préréflexive de l’aperception de soi chez Ibn Sīnā et la conception d’une connaissance « présentielle », elle aussi préréflexive, chez Suhrawardī. Certes, dans les deux cas, l’identité personnelle du « moi » est un élément-clé (ibid., p. 550-51), mais pour Ibn Sīnā, cette identité consiste dans l’existence d’une âme qui est substance immatérielle, alors que Suhrawardīla conçoit comme une lumière, invitant à penser l’expérience de soi comme partie intégrante de la « Manifestation (divine) » (Kaukua, 2011, p. 156).

Pour Suhrawardī, le sujet peut se connaître dans sa véritable nature par la simple présence à soi-même, en transcendant la distinction sujet/objet ; telle est du moins l’interprétation qui semble avoir prévalu dans la tradition ishrāqī postérieure, notamment chez Shams al-Dīn al-Shahrazūrī (m. après 1288) et Mullā Ṣadrā Shīrāzī (Privot, 2004, p. 294-97). Ajoutons que cette voie ishrāqī avait été ouverte par Bahmanyār qui, déjà, faisait de l’aperception de soi comme saisie réflexive le fondement de toute activité psychique, sensible et intellectuelle, lui attribuant ainsi une fonction primordiale dans la théorie de la connaissance, faisant de tout acte cognitif est un acte par lequel l’âme s’auto-constitue (Sebti, 2005/6, p. 207-211).

Toute autre que l’interprétation ishrāqī est l’appréciation de la doctrine avicennienne chez Fakhral-Dīn al-Rāzī. Celui-ci voit dans les affirmations du Shaykh al-ra’īs - dont il offre dans ses Mabāḥith une systématisation à partir des fragments des Mubāḥathāt– l’expression de la volonté de prouver le caractère séparé de l’âme, le fait qu’elle soit une substance en soi (Janssens, 2012, p. 572-573). Dans ses Maṭālib (VII, p. 85-86), al-Rāzī exprime des critiques prononcées contre Avicenne. Il note la présence de faiblesses logiques dans la soi-disant preuve de l’immatérialité de l’âme. Il insiste sur le caractère foncièrement relationnel de la connaissance tout en contestant radicalement la conception avicennienne de la connaissance comme présence d’une forme intelligée dans l’essence de celui qui connait. Il pointe ainsi vers un problème bien réel dans la théorie épistémologique du Shaykh al-ra’īs : la difficulté à fixer le lien précis entre le processus matériel d’acquisition du savoir et l’intellection proprement dite (Eichner, 2011, p. 124).

Fakhr al-Dīn al-Rāzī, s’inspirant sans doute de la troisième remarque du troisième groupe des Ishārāt, admet en revanche que l’aperception de soi, étant non acquise, montre que l’âme n’est pas identique aux organes corporels (Mabāḥith, II, 225 ; Maṭālib, VII, p. 105-107). Dans les Mabāḥith, il cite à ce propos le fameux argument de l’homme volant, mais n’en fait plus mention dans ses Maṭālib. Al-Rāzī insiste sur le fait que cette preuve ne suffit pas à établir l’incorporéité de l’âme (Mabāḥith, II, p. 225), alors que ceci constituait pour Ibn Sīnā un but, sinon le but principal de l’argument de l’homme volant (Hasse, 2000, p. 80-87). Pour Rāzī, d’autres preuves sont requises qu’il n’hésite pas à présenter (Janssens, 2012, p. 565-566). Enfin, il est important de noter qu’al-Rāzī, dans son Kitāb al-nafs, au sujet de la connaissance de soi, met l’accent sur la réforme pratique ou morale de soi (sous l’influence d’al-Ghazālī) plutôt que sur un mode de conscience intellectuelle (Kaukua-Kukkonen, 2007, p. 115).

B. Sens internes, en particulier l’estimation

Tout aussi novatrice est la doctrine avicennienne des cinq sens internes : le sens commun, l’imagination rétentive, la faculté imaginative, l’estimation et la mémoire – avec une certaine fluctuation dans la terminologie selon les ouvrages. Sous l’influence évidente de Galien, Ibn Sīnā diversifie la notion aristotélicienne d’imagination et localise chacune des sens internes dans l’une des trois cavités du cerveau (Strohmaier, 1988). Sa principale nouveauté consiste dans l’introduction de l’« estimation » (wahm). Son objet n’est pas la forme venant des sens extérieurs, mais ce qui résulte de la perception des sens internes eux-mêmes, c’est-à-dire « l’intention » (ma‘nā) qui, malgré son caractère non-sensible, ne possède pas l’universalité des notions générales mais se présente comme une sorte d’« attribut connotationnel » (Sebti, 2006, 66-8 ; Hasse, 2000, p. 127-41). C’est par elle qu’Ibn Sīnā peut expliquer le phénomène de ‘l’instinct’ animal dont l’illustration la plus célèbre est la peur que la brebis a du loup même si elle n’en a jamais vu. Cette notion lui sert aussi à rendre compte de certains comportements animaux basés sur des expériences, plaisantes ou déplaisantes, subies dans le passé. La faculté de l’estimation joue encore un rôle important dans l’activité cognitive de l’homme dans la mesure où ses objets, les ma‘nā-s, sont une sorte de proto-intelligibles. Enfin, il y a l’estimation qui opère (al-wahm al-‘āmil), associée en particulier, mais pas exclusivement, à la thaumaturgie prophétique (Hall, 2006, p.533-544).

Bahmanyār attache davantage d’importance à la doctrine des cinq sens internes quand il intègre à son exposé la discussion de l’intellect théorique et pratique, déplaçant le centre de gravité de la doctrine avicennienne de l’âme, de son immortalité et de son lien avec le corps à l’unité de l’activité psychique (Sebti, 2005/6, p. 193). Al-Ghazālī, de son côté, articulera les cinq sens internes de la façon suivante : sens commun (ḥiss mushtarik), mémoire rétentive (ḥâfiẓa), imagination composante (appelée mutakhayyila, « sensitivement imaginative », chez les animaux, mufakkira, « cogitative »,chez l’homme), estimative (wahmiyya) et remémorative (dhâkira) (Tahâfut, p.182, 5 - 184. 3), révélant ainsi une inspiration avicennienne. Cependant, il utilise souvent la seule dénomination de mufakkira pour désigner l’imagination composante ; il mentionne parfois les deux formes de mémoire après les trois facultés imaginatives fondamentales ; enfin, dans son énumération des sens internes de la seconde section du Livre des Merveilles du Cœur de l’Iḥyā’, il omet la faculté estimative.

Par ailleurs, il est remarquable qu’al-Ghazālī accepte la conception avicennienne de la thaumaturgie prophétique, notamment l’accentuation du rôle de l’action estimative, non sans insister sur le fait que celle-ci peut transgresser les lois habituelles de la nature, autrement dit, qu’elle implique la possibilité de changer des qualités essentielles (Tahâfut, 168, p. 16-31 ; Griffel, 2004, p. 114-116). Il s’agit là d’une des trois propriétés de la prophétie selon la théorie élaborée par Ibn Sīnā, mise à contribution, avec quelques modifications, par al-Ghazālī lui-même (al-Akiti, 2004).

L’évocation des cinq sens internes selon le modèle avicennien se retrouve également chez Fakhral-Dīn al-Rāzī dans ses Mabāḥith (II, p. 238,3-239,1), chez Sayf al-Dīn al-Āmidī (m. 1233) dans son Kitāb al-Mubīn (p. 360-63) et chez Mullā Ṣadrā Shīrāzī dans ses Asfār (VIII, p. 205-221). Le premier offre un compendium de l’exposé d’Ibn Sīn ādans le Kitāb al-nafs du Shifā’, en introduisant une distinction nette entre les qualités perceptive et opérative de ces cinq sens, seule la seule faculté imaginative étant qualifiée d’opérative (Janssens, 2012, p. 568 ). Quant à al-Āmidī, dans son Livre des définitions, il se contente de reproduire presque littéralement l’exposé de la Najāt (identique à celui des Aḥwāl al-nafs) (Janssens, 2009, 312). En revanche, Mullā Ṣadrā apporte quelques développements et légères modifications au système. Il définit l’estimation comme la perception de l’universel liée à une restriction particulière (Asfār, VIII, p. 218, 11-2). Ailleurs, il n’hésite pas à la qualifier d’une sorte de « intellect déchu de son rang » (ibid., III, p. 362, 2). Suhrawardī, de son côté, s’oppose radicalement à une division en cinq sens internes, car il conteste le principe même que de la multiplicité des opérations, l’on puisse conclure à une multiplicité des facultés (Kitāb Ḥikmat al-Ishrāq, 209-10, § 222 ; tr. 197-98). Pour lui, et Quṭb al-Dīn al-Shīrāzī (m. 1311) à sa suite, les facultés de l’imagination, de l’imaginative et de l’estimative ne sont qu’une seule et même faculté se laissant interpréter selon trois significations différentes (ibid., p. 210, § 224 ; trad. p. 198 et 386).

Une critique plus véhémente de la façon dont Ibn Sīnā fait des « intentions » l’objet propre de l’estimation se trouve chez Ibn Taymiyya. Pour lui, Ibn Sīnā ne respecte plus la distinction entre le domaine de l’intelligible ou de l’universel, du ressort de l’intellect, et celui de l’existence sensible des particuliers, du ressort de l’estimation n’hésitant pas, pour justifier cette accusation, à falsifier une affirmation du Shaykh al-ra’īs dans ses Ishārāt (Marcotte, 2002, 48-55).

  Métaphysique

A. Un projet de métaphysique intégrée

En tant que métaphysicien, Ibn Sīnā a une réputation solide. S’il n’ a peut-être pas fondé une métaphysique intégrée – comprenant une ontologie et une théologie, spécifiant « l’être en tant qu’être » comme objet premier et Dieu comme objet ultime dont l’existence est à établir (Shifā’, Ilāhiyyāt, I, 1-2) –, il n’est pas douteux qu’il ait été le premier à en concevoir le projet. La structure des Ilāhiyyāt du Shifā’ démontre assez la centralité de l’être. S’y trouvent combinées une ontologie – sous-divisée en une ontologie des espèces (les catégories de la substance, de la quantité, de la qualité et de la relation), une ontologie des propriétés (antériorité/postériorité, puissance/acte, etc.), une ontologie des causes, c’est-à-dire une théologie, et une hénologie, ou ontologie de l’un (Bertolacci, 2006, 153-80). Avant de discuter les éléments de ce projet, Ibn Sīnā présente quelques remarques préliminaires, parmi lesquelles la fameuse distinction entre essence et existence qui allait donner lieu à des interprétations très divergentes, tant chez les commentateurs anciens que chez les chercheurs modernes, tant sur la qualification de cette distinction – réelle ou conceptualiste ? – que sur la signification de l’affirmation avicennienne de ‘l’accidentalité’ de l’existence. Rappelons que le but premier de la démarche d’Ibn Sīnā était de dresser une ligne de démarcation nette entre le seul être nécessaire en soi, c’est-à-dire Dieu, et tous les autres êtres crées. Ces derniers sont purement possibles, n’ont aucune densité ontologique par eux-mêmes, ne peuvent pas participer à l’être que par le biais d’une cause, qui, ultimement, est la cause des causes. Malgré leur possibilité fondamentale, ils deviennent alors eux aussi nécessaires, non pas en eux-mêmes mais par autrui, car Dieu seul est nécessaire par soi.

Sans surprise, Ibn Sīnā met à contribution cette distinction et ses implications pour prouver l’existence de Dieu. Selon son argument, les possibles ont besoin d’une cause à la fois pour les originer et les maintenir dans l’existence ; une telle chaine de causes ne peut régresser à l’infini, ni linéairement, ni circulairement ; le nécessaire par soi existe donc, puisque l’on ne peut douter qu’au moins une chose existe (Davidson, 1987, p. 281-310). Avicenne conçut cette ‘nouvelle’ preuve parce qu’il estimait que les commentateurs avaient compris à tort le célèbre argument du moteur immobile d’Aristote comme offrant une réelle démonstration de l’existence de Dieu. Sans doute, le Stagirite était lui-même à blâmer car il ne s’était pas prononcé clairement à ce sujet (Commentaire sur Lambda, p. 23, 21 – 24, 2) ; or, il s’agissait d’une preuve physique alors que l’établissement de l’existence de Dieu appartient en propre à la métaphysique (Shifā’, Ilāhiyyāt, I, 1, p. 6, 1-13). Ibn Sīnā ne considérait pas la preuve du moteur immobile comme invalide, mais comme en contexte physique et ayant une fonction seulement propédeutique (Bertolacci, 2007, p. 77)

Le projet d’une métaphysique englobante fut aussitôt ébranlé dans le Kitāb al-taḥṣīl du disciple d’Avicenne Bahmanyār ibn Marzubān. En effet, celui-ci se limite dans la seconde partie, intitulée māba’da l-ṭabī‘a, littéralement « cequi (vient) après la physique », à ce qui constituait pour Ibn Sīnā la seule ontologie. Quant à la « théologie », il l’intègre dans la troisième partie qu’il désigne par l’expression al-‘ilm bi-aḥwāla’yān al-mawjūdāt, « la science concernant les états des essences des choses existantes ». Il y intègre un compendium des livres naturels d’Aristote (Du Ciel, De la Génération et de la corruption, Les Météorologiques et de l’Âme). Il donne ainsi l’impression d’établir un lien plus étroit entre l’établissement de l’existence de Dieu et la physique. Toutefois, il s’abstient de mentionner l’argument du moteur immobile pour formuler la preuve de l’existence de Dieu en termes de causalité, se rapprochant ainsi d’Ibn Sīnā.

Quoi qu’il en soit, il est clair que la théologie ne fait pas partie pour lui de la métaphysique, mais d’une étude des « êtres » que l’on pourrait presque qualifier de « naturelle » (Janssens, 2003, p. 196). Certes, on peut penser que Bahmanyār s’est inspiré de la division avicennienne entre « science universelle » et « science divine » (Logique des Orientaux, p. 7, 6 et p. 8, 9-10). Mais Avicenne offrait là une quadruple distinction du savoir théorique basé sur le rapport des choses à la matière. Rien de comparable ne se trouve chez Bahmanyār, qui de plus n’utilise nulle part la terminologie de la « science universelle » (al-‘ilm al-kullī) et de la « science divine » (al-‘ilm al-ilāhī), terminologie remontant ultimement à al-Fārābī (Fī Aghrāḍ,p. 35, 8-21) qui indiquait clairement que la science divine ‘entrait dans’ la science universelle (ibid., p. 16-17). Comme la distinction avicennienne se fonde sur l’exposé farabien, on peut se demander si elle implique réellement une dissolution de l’unité de la métaphysique ; la partie traitant des deux sciences concernées n’a pas été conservée, mais rien ne justifie, dans les œuvres existantes, une telle modification. On y trouve l’expression de « science divine » (‘ilmilāhī) (Dānesh-Nāmeh, ‘Ilm ilāhī,p. 8, 6) ou de « philosophie divine » (al-falsafa l-ilāhiyya) (‘Uyūn, p. 17,5) pour exprimer la partie « théologique » de la science suprême, en d’autres mots la métaphysique (Bertolacci, 2006, p. 604-605), rapprochée dans les deux cas de la connaissance de la « souveraineté divine » (rubūbīya).

Al-Lawkarī reprend en partie la distinction entre la « science universelle », liée à la métaphysique, et la « science divine », traitant des « choses seigneuriales » mentionnées dans le livre appelé « Théologie » (Bayān, al-‘ilm al-ilāhi,p. 4, 3-9) – sans doute une référence à la pseudo-Théologie dite d’Aristote, qui semble former un complément naturel et indispensable à la théologie, faible somme toute, du livre Lambda de l’authentique Métaphysique d’Aristote. Pour al-Lawkarī, l’inclusion de la théologie dans la métaphysique ne présente aucun caractère de nécessité mais s’avère recevable pour des raisons de brièveté (Bayān, al-‘ilm al-ilāhi, p. 265). Après une paraphrase de la quadruple division des sciences théoriques mentionnée par Ibn Sīnā dans sa Logique des Orientaux, al-Lawkarī insiste sur le caractère quadruple, et non triple, de la véritable division des sciences théoriques (Bayān, Madkhal, p. 115, 4 – 116, 15).

Toutefois, ceci ne l’empêche pas, dans son exposé d’intégrer la ‘métaphysique’ et la ‘théologie’ dans une seule science qu’est la « science divine (générale) ». Contrairement à Bahmanyār, mais en plein accord avec Ibn Sīnā, il continue à croire dans un projet intégré qui ne s’intitule pas « métaphysique », mais « divinalia » (ilāhiyyāt) ou « science divine », car c’est Dieu qui offre la raison ultime de tout ; mais dans la mesure où il attribue cette démarche à un souci de « brièveté » – affirmation dont il est difficile d’apprécier la véritable portée –, il paraît bien affaiblir le lien entre « métaphysique » et « théologie » prévalant dans les Ilāhiyyāt du Shifā’. Toutefois, al-Lawkarī assume là une voie ouverte, ou, du moins, suggérée par Avicenne. Sa fidélité au « maître » se montre dans de multiples passages copiés quasi-littéralement de divers ouvrages avicenniens, mais aussi dans son refus d’intégrer à la partie « métaphysique » des éléments étrangers aux considérations avicenniennes. En effet, le tout se ramène aux Ilāhiyyāt du Shifā’, sauf quelques passages tirés du Kitāb al-taḥṣīl de Bahmanyār pour lesquels al-Lawkarī disposait de solides indications offertes par Ibn Sīnā lui-même (Janssens, 2012b, p. 8).

Un moment important, sinon charnière, dans la dissolution de l’unité de la métaphysique, est l’élaboration de la doctrine des cinq « choses communes » (al-umūr al-‘āmma) par Fakhr al-Dīn al-Rāzī (Mabāḥith, p.6, 6 - 14). Il distingue trois « propriétés » primaires, à savoir l’être (ou l’existence), l’essence et l’unité, faisant mention d’un opposé pour le premier (le non-être) et le troisième cas (la multiplicité). Il ajoute deux « divisions de l’être » : nécessaire/possible (ou contingent) et éternel (qadīm)/ temporellement originé (ḥādith). Nonobstant une indéniable inspiration avicennienne (Shifā’, Ilāhiyyāt, I, 5, pour les trois propriétés, et I, 2, pour la division entre nécessaire et possible), ces « choses communes » ne sont plus utilisées en vue de sauvegarder l’unité de la science métaphysique, car c’est la « division de l’être » qui structure le reste de l’exposé (Eichner, 2007, p. 161). Si la division éternel/ temporellement originé paraît à première vue provenir du kalām, on ne peut exclure une inspiration avicennienne, venant cette fois de la Najāt où cette division est présentée comme appartenant à la « division de l’existant » (inqisām al-mawjūd) (p. 495, 6-9), ou d’un ouvrage de jeunesse, al-Ḥikma al-‘Arūḑiyya, où les distinctions nécessité/possibilité et éternité/origination temporelle se succèdent immédiatement dans une section consacrée à la « science universelle » (Gutas, 1988, p. 90 ; Janssens, 2010b, p. 264).

Pourtant, chez Ibn Sīnā lui-même, la distinction éternel/ temporellement originé n’est nullement première, pas plus que celle entre nécessaire et possible la distinction entre substance et accidents qui partage l’être (hastī) en premier lieu (Dānesh-Nāmeh, ‘Ilm ilāhī,p. 9, 4 - 5). Al-Ghazālī, dans ses Maqāṣid, est plus fidèle à l’articulation avicennienne en maintenant cette division comme première. Au contraire, al-Rāzī restreint l’application de la distinction substance/accident aux seuls êtres créés (Eichner, 2007, p. 164) ; mais sa démarche pourrait être inspirée par le refus avicennien de considérer Dieu comme substance, refus ressortant clairement du titre du vingt-cinquième chapitre du ‘ilmilāhī du Dānesh-Nāmeh : « Que Dieu n’est ni substance ni accident » (Dānesh-Nāmeh, ‘Ilm ilāhī,p. 77, 13). Quoi qu’il en soit, al-Rāzī reformule de façon critique le projet ontologique d’Ibn Sīnā et fait distinction plus nette entre ontologie et théologie, qui influencera tant la tradition philosophique que théologique après lui (Eichner, 2007, p. 166-190).

Quant à Mullā Ṣadrā Shīrāzī, il développe une nouvelle « synthèse » où la « sagesse divine » (al-ḥikmaal-ilāhiyya), appelée aussi « connaissance de la souveraineté divine » (al-ma‘rifa al-rubūbīya), est distinguée de la « science universelle », laquelle est identifiée à la « philosophie première » – au sens épistémologique de la primauté dans la pensée humaine (Arnzen, 2007, p. 211). Cette science universelle a une fonction propédeutique par rapport à la connaissance de la souveraineté divine, analogue à celle de la physique par rapport à la métaphysique (Asfār, VI, p. 380). Ainsi, pas plus que ces deux dernières, « science universelle » et « science divine » ne constituent une seule science. Toutefois, dans la mesure où l’« être »peut être prédiqué de Dieu dans un sens transcendantal et non général, il reste possible d’établir une continuité entre « science universelle » et « science divine » (Arnzen, 2007, p. 238-239).

B. La distinction entre essence et existence

Comme nous l’avons déjà indiqué, la distinction avicennienne entre essence et existence a donné lieu à des interprétations très divergentes dans la pensée postérieure en terre d’Islam. Nous nous limiterons ici à quelques-unes parmi les plus significatives d’entre elles. La première est celle d’Ibn Rushd (m. 1198). Elle attribue à Ibn Sīnā une conception de « l’accidentalité » de l’existence posant l’existence comme quelque chose d’ajouté (zā’id) à l’essence, plus précisément comme un accident attaché (‘araḍ lāḥiq) (Tahāfut al-tahāfut, 480, 20 – 481, 6). Mais si l’existant en tant que facteur de vérité (al-ṣādiq) est effectivement un accident, il n’en va nullement ainsi de l’existant référé au genre rapporté aux dix catégories (Tafsīr, III, p.1280, 8 -11).

Or, selon Ibn Rushd, Ibn Sīnā aurait confondu les deux et se serait rendu coupable d’une confusion entre ordre logique et ordre ontologique. Certains éléments de la doctrine avicennienne supportent sans doute une telle interprétation (Leaman, 1988, p. 104-116), mais il est frappant qu’Ibn Rushd ne cite jamais littéralement Ibn Sīnā. Ses remarques sur ce point semblent avoir été inspirées par la façon dont al-Ghazālī avait reformulé la théorie avicennienne, notamment l’affirmation de la priorité de la quiddité sur l’existence, faisant de celle-ci quelque chose d’essentiellement « relié » à la quiddité) (Tahâfut, p.89, 15 – 90, 3).

Or Ibn Sīnā ne s’est jamais exprimé en ces termes ; bien au contraire, il offre dans les Ilāhiyyāt du Shifā’ (VIII, 4, p. 436, 13- 437, 9) un argument visant à démontrer la non-priorité de la quiddité sur l’existence (Tahâfut, p.237, note 7). La « fondamentalité de l’essence » (aṣālat al-māhiyya) dans la distinction avicennienne aurait aussi été défendue par Suhrawardī, selon les dires de Mullā Ṣadrā al-Shīrāzī (Rizvi, 1999, 220) ; mais on peut s’interroger sur le bien-fondé d’une telle lecture. En effet, Suhrawardī accepte au maximum une distinction notionnelle entre essence et existence : possible en pensée, elle est dénuée de signification dans la réalité, car l’esprit ne découvre aucune dualité dans les choses existantes (al-Talwīhāt, p.22-24 ; Fakhry, 1983, p. 295). En outre, Suhrawardī remplace la métaphysique péripatéticienne– qui, dans une large mesure, était celle d’Ibn Sīnā – de la contingence substantielle par une théorie faisant de la lumière le principe existentiel primaire, source de manifestation immédiate, ce qui enlève à la distinction entre essence et existence une grande part de sa pertinence pour la compréhension de la réalité (Rizvi, 2000, p. 95-98).

Dans ce sens, il n’est pas surprenant que Suhrawardī critique toute description de cette distinction en termes d’attribution, comme c’est notamment le cas chez Fakhral-Dīn al-Rāzī (Eichner, 2007, p. 178). Toutefois, quand Mullā Ṣadrā al-Shīrāzī souligne de façon explicite la fondamentalité de l’existence (aṣālat al-wujūd) en affirmant qu’il n’est rien pour nous hormis l’être (Asfār, I,p. 217, 7-8), il apporte une accentuation absente de Suhrawardī – ce qui ne signifie pas pour autant qu’il y ait rupture totale entre leurs vues à cet égard (Bonmariage, 2007, p. 45-53). Mullā Ṣadrā, inspiré par un passage des Ishārāt (SD III, p. 30-34 ; F, p. 142, 17 – 143, 3), mais surtout par le commentaire de Naṣral-Dīn al-Ṭūsī, parvient à repenser l’analogie ou la modulation de l’existence en faisant de celle-ci non plus un concomitant de la quiddité, mais l’acte d’être lui-même (Jambet, 2002, p. 139-143 ; Bonmariage, 2007, p. 64-66).

C. Preuve métaphysique de Dieu

Quant à la nécessité de prouver l’existence de Dieu dans la métaphysique, objet de remarques explicites et insistantes d’Ibn Sīnā, Ibn Rushd s’y oppose vigoureusement. Dans son Grand Commentaire sur la Physique (A 83, B 22), comme dans celui sur les Analytiques seconds (A 70), il déclare légitime l’établissement d’une preuve quia de Dieu, ou du moins, des êtres séparés dont Dieu fait partie (Bertolacci, 2007, p. 84-96). C’est qu’Ibn Sīnā, mettant à contribution la distinction entre être nécessaire et être possible, utilise une idée dérivée du kalām et introduit donc quelque chose d’étranger au projet philosophique conçu par Aristote. Il est remarquable que dans sa critique, Ibn Rushd soit à nouveau influencé par la reformulation de l’argument avicennien par al-Ghazālī (Davidson, 1987, p. 331). Quant à Mullā Ṣadrā al-Shīrāzī, il estime que la métaphysique ne peut foncièrement pas offrir une preuve valable de l’existence de Dieu, tout au plus une indication de la nature de Dieu et de ses attributs (Arnzen, 2007, p. 231) ; Dieu seul peut témoigner de Lui-même et c’est là la voie des ‘véridiques’ (al-ṣiddīqūn) (Asfār, VI, p.13, 1 – 14, 1). On peut encore détecter, à la base de cette affirmation, une influence avicennienne directe, celle des Ishârât (Namaṭ 4, dernière remarque), mais il est notable que Mullā Ṣadrā, contrairement à Ibn Sīnā, fonde cet argument sur la « réalité » et non sur le concept d’existence (Bonmariage, 2007, p. 80-81).

 Conclusion

De ce survol sommaire, il apparaît clairement que les thèses d’Ibn Sīnā ont eu une influence majeure sur toute la postérité philosophique en terre d’Islam. Avec Michot, on pourrait même faire état d’une « pandémie de l’avicennisme » (Michot, 1993), laquelle, comme nous espérons l’avoir montré, va bien au-delà du douzième siècle. Soulignons encore, pour finir, que ce qui précède ne reflète qu’une faible part de l’impact de la pensée avicennienne en terre d’Islam et que beaucoup reste à préciser, voire à être seulement défriché.

JULES JANSSENS

 Bibliographie

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[Supprimer : (Janssens, à paraître B) Janssens, Jules, "Al-Ghazālî- noétique" (à paraître dans un volume consacré à la noétique dans la pensée arabe –projet terminé de M. Sebti, CNRS, UPR 76)]
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Pour citer :
Jules Janssens, « Avicennisme arabo-islamique », in Houari Touati (éd.), Encyclopédie de l’humanisme méditerranéen, septembre 2018, URL = http://www.encyclopedie-humanisme.com/??Avicennisme-arabo-islamique-250&var